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n° 49/2023 – LGBTQ au travail

Lisa Buchter
Militer de l’intérieur : les stratégies des réseaux professionnels LGBT

En dépit de l’essor des politiques diversité en France depuis les années 2000, peu d’entreprises et d’administrations se sont saisies des questions de lutte contre l’homophobie et la transphobie. Fondé sur une analyse textuelle et longitudinale d’archives complétée par des entretiens, l’article examine les stratégies de cinq réseaux internes portés par des « salarié·e·s militant·e·s », engagé·e·s de manière visible pour la cause lgbt sur leur lieu de travail. Ces réseaux internes de grandes entreprises ou d’administrations développent eux-mêmes des ressources et des services de prévention et de sensibilisation, et utilisent comme levier la réputation des employeurs à
propos de leur engagement pour la diversité. Ces acteurs peuvent, à mesure qu’ils acquièrent une visibilité et une légitimité dans leur organisation, étendre le champ de leurs revendications et le périmètre de leurs actions, dénonçant de plus en plus vigoureusement l’inaction de leur employeur face aux discriminations à l’encontre des minorités sexuelles et de genre. Même s’ils proposent des actions modérées ou réformistes, ces réseaux participent à transformer de l’intérieur les politiques de ressources humaines.

Alice Caudron
Carrière queer et (dés)engagements professionnels : à la recherche d’une radicalité soutenable

En anglais le terme queer signifie « bizarre », « louche » mais aussi « pédé » ou « gouine ». Cette insulte est progressivement réappropriée par les personnes visées pour en faire un étendard politique, parfois traduit en France par « transpédégouines ». Cet article propose d’interroger les liens réciproques entre carrière queer (militante et sexuelle) et carrière professionnelle, en étudiant les personnes queers comme des personnes engagées dans des trajectoires sociales dont la soutenabilité n’est pas acquise a priori. L’enquête, fondée sur une soixantaine d’entretiens biographiques, fait émerger trois pôles entre lesquels les queers enquêté·e·s se répartissent, en fonction de leurs caractéristiques sociales : « une radicalité queer coûteuse », où la primauté donnée au mode de vie queer se réalise au détriment de l’emploi ; « faire carrière en queer », où la sphère professionnelle est envisagée comme un lieu de lutte nécessaire (santé, éducation et travail social) ; enfin « mettre à distance la communauté queer pour faire carrière », quand le mode de vie queer s’avère incompatible avec les normes du milieu professionnel.

Hadrien Clouet
Youmna Makhlouf, une avocate des libertés sexuelles au Liban

Au cours de cet entretien conduit à Beyrouth, l’avocate et militante libanaise Youmna Makhlouf expose le combat qu’elle mène pour la dépénalisation des rapports sexuels entre adultes consentants, actuellement entravés par le Code pénal libanais qui proscrit les « rapports charnels contre-nature ». Largement utilisé contre les personnes lgbt, cet article est de plus en plus controversé et fait l’objet d’interprétations largement variables et contradictoires, d’une cour à l’autre. Ainsi, en même temps qu’elle détaille les ressorts de la répression anti-lgbt au Liban, Youmna Makhlouf délivre une étude sociologique du droit attentive aux normes des acteurs sociaux qui le formulent et au pouvoir discrétionnaire de certains agents. En outre, elle partage sa stratégie politique de subversion des prétoires, imposant à ses interlocuteur·rice·s de tomber le masque de la neutralité magistrate.

Estelle Fisson
La diversité est-elle soluble dans la lutte des classes ? Les droits lgbt, un nouveau défi syndical

Bien qu’ils ne soient pas dupes de la rhétorique managériale qu’elles embrassent, les syndicats tentent de se réapproprier les politiques de lutte contre les discriminations en entreprise à partir des années 2000. Le présent article interroge les raisons, modalités et obstacles de la prise en compte des discriminations faites aux personnes lgbt par les syndicats ouvriers en France et en Espagne. Il s’appuie sur une enquête  ethnographique menée de 2019 à 2021 au sein de la cgt française et des cc.oo. espagnoles, et sur des archives syndicales et associatives. Ces organisations parviennent-elles à imposer une approche critique du capitalisme sur le terrain de la Gay Pride ou sur celui de la « diversité » au travail ? L’article montre qu’en se saisissant de ces enjeux, elles engendrent un syncrétisme de répertoires d’action et de revendications. La comparaison France/ Espagne enseigne que les syndicats espagnols sont mieux intégrés à l’espace de la cause lgbt et que la lutte contre les discriminations y est moins chevillée à la lutte des classes.

Alice Olivier
Des hommes de qualité. Genre et (dé)qualification dans des formations « féminines » du supérieur

Comment le travail des hommes de professions « féminines » est-il qualifié, et quels éclairages cela apporte-t-il sur les liens entre genre et qualification ? L’article explore cette question à partir d’entretiens et d’observations menés en formations de sage femme et d’assistant·e de service social, en se centrant sur la pratique professionnelle d’accompagnement. Pour accompagner les patientes et usager·e·s, les rares étudiants hommes doivent faire preuve de certaines dispositions dites « féminines ». Souvent supposées comme plus évidentes pour les femmes, ces dispositions sont construites et reconnues comme le résultat d’un travail pour eux, et sont à ce titre distinctives. Ces étudiants sont par ailleurs valorisés pour leur appartenance de sexe par de multiples  biais, révélant une qualification de la « nature masculine ». Enfin, ces hommes sont perçus et, surtout, se perçoivent eux-mêmes comme dotés d’un professionnalisme marqué, qui qualifie fortement leur travail et déqualifie celui des femmes.

Kristen Schilt
Un mec comme les autres ? Comment les hommes trans’ rendent le genre visible au travail

Cet article examine la reproduction des inégalités sexuées sur le lieu de travail par le biais d’entretiens approfondis avec des hommes trans’. Avant leur transition de genre, certains ont eu une première expérience professionnelle en tant que femme, ce qui leur donne un point de vue spécifique d’outsider within sur les avantages que les hommes