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N° 50/2023 – La reproduction et ses injustices

Sarah Franklin, propos recueillis par Delphine Gardey
40 ans de reproduction médicalement assistée : une lecture anthropologique et féministe

Dans cet entretien, Sarah Franklin revient sur son itinéraire, proposant des pistes pour aborder les transformations intervenues dans le champ de la reproduction médicalement assistée depuis 40 ans. Avec des enquêtes sur la médecine régénérative, le clonage ou les marchés de tissus et services reproductifs, Sarah Franklin est une figure incontournable de l’analyse des mutations médicales et sociales contemporaines dans le champ de la reproduction et de la parenté. Elle situe son parcours dans le sillage des pionnières de la critique féministe de l’anthropologie culturelle, des techniques et des sciences : Marylin Strathern, Shulamith Firestone ou Donna Haraway. Elle pointe les enjeux politiques et scientifiques de l’usage des technologies de la reproduction et les transformations intervenues dans la définition de la parenté. Soulignant l’importance des droits conquis par les personnes LGBTQ+, elle interroge les limites de ces transformations mobilisant la question de la « justice reproductive ».

Virginie Rozée, Élise de La Rochebrochard
La PMA en France : une reproduction des inégalités de genre ?

La procréation médicalement assistée (PMA) entretient des relations complexes avec le genre : elle permet de s’affranchir des normes dominantes de genre tout en (re)produisant une reproduction stratifiée, et donc des inégalités de sexe, classe et race. En 2010, nous avions écrit un article sur la PMA en France dans lequel nous montrions que, dans la façon dont elle était encadrée, organisée et pratiquée, la PMA reflétait la norme procréative, et excluait donc toutes celles et ceux qui ne s’y conformaient pas. Qu’en est-il aujourd’hui, après la révision de la loi de bioéthique en 2021 ? À partir de nos différents travaux de recherche, nous montrons que la loi constitue une avancée car elle est plus inclusive mais que l’accès à la PMA reste calqué sur une représentation genrée du travail procréatif.

Solène Gouilhers, Delphine Gardey, Raphaël Albospeyre-Thibeau
De la stérilisation imposée à la préservation de la fertilité des personnes trans : les médecins au travail

Cet article s’intéresse aux engagements pratiques et normatifs de soignant·e·s en faveur de l’accès à l’autoconservation des gamètes pour les personnes trans en France et en Suisse. Alors que la stérilisation était imposée aux personnes trans pour accéder à un changement de sexe légal, l’attention porte depuis peu sur la préservation de leur fertilité. À partir d’une enquête par entretiens menés auprès de médecins de la transition et de la reproduction, nous décrivons comment elles et ils s’efforcent de normaliser l’accès des personnes trans à une conservation de leurs gamètes. Par un travail d’équipement administratif, technique, spatial et relationnel qui déborde l’ordre du genre et procréatif, elles et ils développent des appuis pratiques pour rendre des infrastructures médicales de fertilité historiquement cis-hétéronormées, plus inclusives. Par ces pratiques quotidiennes de soin, elles et ils participent à façonner à la fois le droit et les lieux de soin, s’engageant en faveur des droits reproductifs des personnes trans.

Mwenza Blell, Riikka Homanen
Justice reproductive en Finlande ? Le mythe de l’homogénéité dans une social-démocratie nordique

Bien que la social-démocratie finlandaise soit fondée sur l’égalité sociale, la justice reproductive n’est toujours pas une réalité dans ce pays. Les causes de cet état de fait sont explorées à l’aide de deux ethnographies sur les technologies de procréation médicalement assistée et, plus spécifiquement, sur les manquements à l’égalité de traitement liés à la race, la classe, le genre et la sexualité. Les entretiens avec des chercheur·se·s et des professionnel·le·s de santé finlandais·e·s révèlent les affects, le poids du passé et les logiques ayant conduit à cette inégalité d’accès aux soins de santé reproductive, tels que la perpétuation du mythe de l’homogénéité blanche, l’héritage de l’eugénisme, la concentration du pouvoir et des décisions éthiques dans les mains des médecins, l’interprétation des discriminations comme des problèmes de ressources, le déni des inégalités et un attachement purement idéologique à l’État-providence invisibilisant la réalité des discriminations.

Laura Mamo
Vers une justice reproductive queer au cœur des bioéconomies transnationales

Cet article est consacré à l’expansion transnationale de la procréation médicalement assistée et pose la question des comportements responsables à adopter dans le contexte des bioéconomies du xxie siècle. Il s’intéresse plus précisément à la fois aux représentations attachées aux familles lesbiennes, gays, bisexuelles, transgenres et queers (LGBTQ+) et à la manière dont les personnes LGBTQ+ réalisent leurs projets parentaux dans les conditions actuelles. Cet article propose une grille d’analyse originale en l’espèce de la « justice reproductive queer » (JRQ), laquelle doit permettre de saisir et de dire la variabilité des oppressions et opportunités à laquelle sont confrontées les différentes velléités de fonder une famille, sans pour autant ni diaboliser, ni valoriser certaines configurations familiales particulières. En somme, une telle approche doit aider à mettre en place des comportements responsables.

 

n° 49/2023 – LGBTQ au travail

Lisa Buchter
Militer de l’intérieur : les stratégies des réseaux professionnels LGBT

En dépit de l’essor des politiques diversité en France depuis les années 2000, peu d’entreprises et d’administrations se sont saisies des questions de lutte contre l’homophobie et la transphobie. Fondé sur une analyse textuelle et longitudinale d’archives complétée par des entretiens, l’article examine les stratégies de cinq réseaux internes portés par des « salarié·e·s militant·e·s », engagé·e·s de manière visible pour la cause lgbt sur leur lieu de travail. Ces réseaux internes de grandes entreprises ou d’administrations développent eux-mêmes des ressources et des services de prévention et de sensibilisation, et utilisent comme levier la réputation des employeurs à
propos de leur engagement pour la diversité. Ces acteurs peuvent, à mesure qu’ils acquièrent une visibilité et une légitimité dans leur organisation, étendre le champ de leurs revendications et le périmètre de leurs actions, dénonçant de plus en plus vigoureusement l’inaction de leur employeur face aux discriminations à l’encontre des minorités sexuelles et de genre. Même s’ils proposent des actions modérées ou réformistes, ces réseaux participent à transformer de l’intérieur les politiques de ressources humaines.

Alice Caudron
Carrière queer et (dés)engagements professionnels : à la recherche d’une radicalité soutenable

En anglais le terme queer signifie « bizarre », « louche » mais aussi « pédé » ou « gouine ». Cette insulte est progressivement réappropriée par les personnes visées pour en faire un étendard politique, parfois traduit en France par « transpédégouines ». Cet article propose d’interroger les liens réciproques entre carrière queer (militante et sexuelle) et carrière professionnelle, en étudiant les personnes queers comme des personnes engagées dans des trajectoires sociales dont la soutenabilité n’est pas acquise a priori. L’enquête, fondée sur une soixantaine d’entretiens biographiques, fait émerger trois pôles entre lesquels les queers enquêté·e·s se répartissent, en fonction de leurs caractéristiques sociales : « une radicalité queer coûteuse », où la primauté donnée au mode de vie queer se réalise au détriment de l’emploi ; « faire carrière en queer », où la sphère professionnelle est envisagée comme un lieu de lutte nécessaire (santé, éducation et travail social) ; enfin « mettre à distance la communauté queer pour faire carrière », quand le mode de vie queer s’avère incompatible avec les normes du milieu professionnel.

Hadrien Clouet
Youmna Makhlouf, une avocate des libertés sexuelles au Liban

Au cours de cet entretien conduit à Beyrouth, l’avocate et militante libanaise Youmna Makhlouf expose le combat qu’elle mène pour la dépénalisation des rapports sexuels entre adultes consentants, actuellement entravés par le Code pénal libanais qui proscrit les « rapports charnels contre-nature ». Largement utilisé contre les personnes lgbt, cet article est de plus en plus controversé et fait l’objet d’interprétations largement variables et contradictoires, d’une cour à l’autre. Ainsi, en même temps qu’elle détaille les ressorts de la répression anti-lgbt au Liban, Youmna Makhlouf délivre une étude sociologique du droit attentive aux normes des acteurs sociaux qui le formulent et au pouvoir discrétionnaire de certains agents. En outre, elle partage sa stratégie politique de subversion des prétoires, imposant à ses interlocuteur·rice·s de tomber le masque de la neutralité magistrate.

Estelle Fisson
La diversité est-elle soluble dans la lutte des classes ? Les droits lgbt, un nouveau défi syndical

Bien qu’ils ne soient pas dupes de la rhétorique managériale qu’elles embrassent, les syndicats tentent de se réapproprier les politiques de lutte contre les discriminations en entreprise à partir des années 2000. Le présent article interroge les raisons, modalités et obstacles de la prise en compte des discriminations faites aux personnes lgbt par les syndicats ouvriers en France et en Espagne. Il s’appuie sur une enquête  ethnographique menée de 2019 à 2021 au sein de la cgt française et des cc.oo. espagnoles, et sur des archives syndicales et associatives. Ces organisations parviennent-elles à imposer une approche critique du capitalisme sur le terrain de la Gay Pride ou sur celui de la « diversité » au travail ? L’article montre qu’en se saisissant de ces enjeux, elles engendrent un syncrétisme de répertoires d’action et de revendications. La comparaison France/ Espagne enseigne que les syndicats espagnols sont mieux intégrés à l’espace de la cause lgbt et que la lutte contre les discriminations y est moins chevillée à la lutte des classes.

Alice Olivier
Des hommes de qualité. Genre et (dé)qualification dans des formations « féminines » du supérieur

Comment le travail des hommes de professions « féminines » est-il qualifié, et quels éclairages cela apporte-t-il sur les liens entre genre et qualification ? L’article explore cette question à partir d’entretiens et d’observations menés en formations de sage femme et d’assistant·e de service social, en se centrant sur la pratique professionnelle d’accompagnement. Pour accompagner les patientes et usager·e·s, les rares étudiants hommes doivent faire preuve de certaines dispositions dites « féminines ». Souvent supposées comme plus évidentes pour les femmes, ces dispositions sont construites et reconnues comme le résultat d’un travail pour eux, et sont à ce titre distinctives. Ces étudiants sont par ailleurs valorisés pour leur appartenance de sexe par de multiples  biais, révélant une qualification de la « nature masculine ». Enfin, ces hommes sont perçus et, surtout, se perçoivent eux-mêmes comme dotés d’un professionnalisme marqué, qui qualifie fortement leur travail et déqualifie celui des femmes.

Kristen Schilt
Un mec comme les autres ? Comment les hommes trans’ rendent le genre visible au travail

Cet article examine la reproduction des inégalités sexuées sur le lieu de travail par le biais d’entretiens approfondis avec des hommes trans’. Avant leur transition de genre, certains ont eu une première expérience professionnelle en tant que femme, ce qui leur donne un point de vue spécifique d’outsider within sur les avantages que les hommes en général tirent de la subordination des femmes. Ils découvrent que, en tant qu’hommes, ils reçoivent plus d’autorité, de récompenses et de respect sur le lieu de travail qu’en tant que femmes, même lorsqu’ils conservent le même emploi. Leurs expériences contribuent à éclairer la manière dont les désavantages structurels des femmes sont reproduits dans les interactions. Elles illustrent également comment le « dividende patriarcal » varie en fonction de caractéristiques telles que la race/l’ethnicité et l’apparence corporelle, car ces avantages sont moins nets pour les hommes trans’ racisés et/ou de relativement petite taille.

Laurine Thizy
Des mères de famille au chevet des avortantes : une stigmatisation renouvelée dans les centres d’interruption volontaire de grossesse

Cet article s’intéresse à la prise en charge des interruptions volontaires de grossesses telle qu’elle s’effectue dans des centres d’orthogénie de l’hôpital public. L’objectif est de  montrer que le contrôle social des avortantes est tributaire du recrutement genré des équipes médicales et soignantes. Les professionnelles de l’orthogénie, presque exclusivement des femmes déjà mères, choisissent cette spécialité délaissée moins par militantisme que pour se rendre davantage disponibles pour leur vie familiale, renonçant de fait à une activité professionnelle plus valorisée. Une telle organisation du travail amène ainsi auprès des avortantes des professionnelles ayant une conception plutôt essentialiste de la maternité et des rapports de genre. La prise en charge proposée se fonde sur un travail émotionnel de care, d’autant plus nécessaire qu’il constitue la principale source de reconnaissance au travail, en l’absence d’une importante technicité. Ce travail de care, faiblement politisé, performe cependant des attentes genrées envers les usagères et contribue paradoxalement à renouveler la stigmatisation de l’avortement.

Tessa Wright
Existe-t-il un « avantage lesbien » dans les professions dominées par les hommes ? Une analyse intersectionnelle

On suggère parfois que les travailleuses lesbiennes bénéficieraient d’un « avantage » par rapport à leurs consœurs hétérosexuelles : elles auraient des salaires plus élevés, seraient perçues comme plus compétentes et seraient moins souvent la cible d’attentions sexuelles non désirées et de harcèlement sexuel. Cet article s’interroge sur l’existence d’un tel avantage en se basant sur des enquêtes qualitatives comparant l’expérience de femmes lesbiennes et hétérosexuelles employées dans trois secteurs à prédominance masculine au Royaume-Uni : les sapeurs-pompiers, la construction et les transports. Parmi les femmes ouvertement lesbiennes qui travaillent dans ces environnements de travail masculins, certaines parviennent effectivement à s’intégrer plus facilement aux cultures masculines et à éviter les interactions sexuelles non désirées. D’autres facteurs viennent toutefois compliquer l’expérience de ces femmes, notamment la génération, la classe sociale et la culture organisationnelle. En outre, ces avantages se limitent aux lesbiennes qui sont à l’aise avec les formes de comportement  que l’on peut qualifier de « virilistes », ce qui n’est pas le cas de bon nombre d’entre elles. Ces résultats soulignent donc la nécessité d’adopter une approche intersectionnelle afin de mettre en évidence les relations entre genre, sexualité et classe sociale.

n° 48/2022 – Handicap, genre et travail

Mathéa Boudinet et Anne Revillard
Politiques de l’emploi, handicap et genre

Comment les politiques visant l’emploi des personnes handicapées prennent-elles en compte le genre ? À partir d’un travail de revue de littérature et de deux enquêtes par méthodes mixtes, cet article propose trois contributions essentielles à la réflexion. Tout d’abord, sur le plan historique, les politiques visant l’emploi des personnes handicapées ont été fondées sur un modèle de travailleur masculin, héritier notamment de la figure du mutilé de guerre. Ensuite, cet héritage a des conséquences différenciées selon le sexe, en dépit d’une neutralisation formelle des politiques sur le plan du genre, du fait des types de handicap que ces politiques ciblent en priorité. Enfin, se reproduisent au sein des politiques visant les « travailleurs handicapés » des inégalités de genre classique, liées par exemple à une attente de disponibilité totale pour la recherche d’emploi, ou encore à une hiérarchie sexuée des métiers au sein du travail protégé.

Charlène Calderaro
La critique féministe-marxiste : de l’analyse du travail domestique aux théories de la reproduction sociale

L’article retrace les grandes lignes de la pensée féministe-marxiste, en partant de ses prémices dans les années 1920 jusqu’à ses développements récents autour de la théorie de la reproduction sociale. Défini comme l’ensemble des tâches et activités quotidiennes nécessaires au maintien de la vie et à la capacité au travail, le travail reproductif est au cœur de ces évolutions théoriques. Après avoir évoqué les premières critiques féministes de l’œuvre de Marx, l’article revient sur le débat sur le travail domestique des années 1970. Il s’attache ensuite à montrer comment la pensée féministe-marxiste évolue depuis lors vers un cadre d’analyse plus large permettant d’appréhender le travail reproductif dans et en dehors de la sphère domestique : payé et gratuit, reconnu et non reconnu. Enfin, l’article dresse les évolutions récentes de la pensée féministe-marxiste qui met au jour une approche unitaire des oppressions via l’élaboration d’une théorie de la reproduction sociale.

Marc Collet et Bertrand Lhommeau
Insertion professionnelle selon le handicap et le sexe

Au cours des années 2018 à 2020, 37 % des personnes reconnues handicapées et âgées de 15 à 64 ans ont un emploi, contre 67 % des autres personnes de cette tranche d’âge. Par ailleurs, le taux d’emploi des femmes est inférieur de 6 points à celui des hommes en 2020 (62 % contre 68 %). Le handicap influence davantage les chances d’accès à l’emploi que le sexe : à caractéristiques identiques, l’accès à l’emploi n’est pas significativement différent entre les femmes et les hommes reconnu·e·s handicapé·e·s, tandis que les hommes ont 1,5 fois plus de chances d’être en emploi que les femmes parmi les personnes sans reconnaissance de handicap. Et quand elles travaillent, l’éventail des professions est très resserré pour des femmes reconnues handicapées : la moitié des emplois qu’elles occupent se concentrent sur seulement vingt professions. D’une part, handicapées ou non, les femmes exercent une variété plus réduite de métiers que les hommes. D’autre part, l’éventail des métiers des personnes reconnues handicapées est plus restreint que celui de leurs collègues.

Entretien avec Claire Desaint
Femmes handicapées, les invisibles dans l’emploi

L’emploi des femmes handicapées se heurte à des obstacles qui se multiplient en raison de leur handicap, de l’inaccessibilité, mais surtout parce qu’elles sont des femmes. Leur participation à la vie économique est freinée par des préjugés, des stéréotypes dans toutes les dimensions de l’emploi : éducation, orientation, recrutement, chômage, carrière professionnelle, articulation des temps, retraites. Elles sont peu visibles dans les publications des études et statistiques, d’où leur absence dans les politiques publiques sur le handicap et sur l’égalité femmes-hommes jusque très récemment. Les femmes handicapées font partie des populations les plus marginalisées et vivant dans la précarité. Il est temps que la société change son regard et considère les femmes handicapées non plus comme une charge, mais comme détentrices de talents, de compétences et d’expertise. Les femmes handicapées sont porteuses de changement et représentent un atout pour les entreprises et les institutions.

Dominique Masson
Les théories féministes anglosaxonnes du handicap 
Cartographie des Feminist Disability Studies

Alors que les travaux sur le sujet se font de plus en plus nombreux en études féministes du handicap anglo-saxonnes, ou Feminist Disability Studies, l’objectif de cet article est d’outiller les études féministes francophones en proposant une cartographie du développement du champ, axée sur ses grands courants et leurs propositions théoriques et conceptuelles majeures. La première partie de l’article rappelle l’essentiel des modèles médical et social du handicap. La seconde se centre sur les contributions des approches féministes matérialistes du handicap et la troisième sur celles des perspectives féministes poststructuralistes et postmodernes. La quatrième partie expose trois développements récents en Feminist Disability Studies illustrant l’influence des pensées crip et queer, la complexification des analyses intersectionnelles du handicap et l’émergence de perspectives du Sud.

Michel Lallement
Utopie concrète, travail et genre : le cas Oneida

Au xixe siècle, les utopies prennent une tournure concrète, aux États-Unis tout particulièrement. De multiples façons de vivre et de travailler tranchant avec les normes dominantes y sont alors expérimentées. En raison de la radicalité de ses choix mais aussi de sa pérennité, Oneida (New York) est probablement l’une des communautés utopiques les plus remarquables. Sous la houlette de son fondateur, John H. Noyes, elle invente de nouvelles formes d’organisations du travail (free labor) et de relations entre les femmes et les hommes (free love). L’article montre d’abord que cette aventure collective doit être analysée au carrefour des débats sur l’abolitionnisme qui précèdent la guerre de Sécession et de l’utopie de Charles Fourier (telle qu’elle s’incarne notamment à travers ses écrits sur les mondes industriel et amoureux). Il brosse ensuite un tableau en clair-obscur des innovations concernant la vie en communauté, le travail et le genre à Oneida, ainsi que de leurs principales transformations entre 1848 et 1880.

 

n° 47/2022 – Le genre face aux armées

Camille Boutron et Claude Weber
La féminisation des armées françaises : entre volontarisme institutionnel et résistances internes

L’intégration des femmes dans les forces armées se présente comme un processus inabouti. Initié dès la Seconde guerre mondiale, il connaît une accélération avec la fin de la conscription et la professionnalisation des armées à la fin des années 1990. Ce n’est cependant qu’à partir des années 2010 que le sujet se constitue en problème public. La féminisation des armées française fait l’objet d’une volonté institutionnelle affichée. Elle continue néanmoins de rencontrer de nombreuses résistances au sein du monde militaire. Au-delà des logiques de reproduction de la discrimination sexiste, notre hypothèse est que la présence de femmes dans les armées, notamment lorsqu’il s’agit d’assumer des fonctions explicitement combattantes, vient bouleverser un ensemble de représentations mettant en péril le régime de masculinité hégémonique organisant les organisations militaires et légitimant le recours à la violence armée au nom du bien public.

Clémentine Comer
Le sans-abrisme au féminin.
Quand les haltes pour femmes interrogent les dispositifs d’urgence sociale

Cet article présente les résultats d’une enquête de terrain ethnographique réalisée entre novembre 2018 et octobre 2019 dans des haltes pour femmes sans-abri à Paris. Il rend compte des difficultés à définir et accueillir un public que les acteur·trice·s institutionnel·le·s et associatifs n’avaient pas anticipé. Loin d’accueillir seulement des femmes isolées, très désocialisées, en refus d’hébergement ou éloignées des dispositifs d’hébergement existants, les haltes rendent visibles des femmes en situation de grande vulnérabilité, présentant des caractéristiques sociales très différentes de celles des hommes accueillis dans des structures d’urgence comparables. Ce faisant, ces haltes questionnent le principe de la simple mise à l’abri d’urgence au regard des besoins d’accompagnement spécifiques de ces femmes longtemps restées invisibles dans les représentations sociales, les politiques publiques et les travaux scientifiques.

Helena Carreiras, Cristina Rodrigues da Silva, Luís Malheiro
L’impact du programme des Nations unies sur les femmes, la paix et la sécurité. L’exemple du Portugal

Cet article traite de la manière dont le programme « Femmes, paix et sécurité » des Nations Unies a influencé l’élaboration des politiques nationales d’intégration de la dimension de genre dans les forces armées. Il souligne les obstacles et les conditions favorables à sa mise en œuvre. S’appuyant sur les données du cas portugais, il examine l’essor des politiques publiques au niveau du gouvernement, ainsi que les instruments et les mécanismes par lesquels les forces armées ont intégré les objectifs du programme. Nous soutenons que l’adoption de politiques publiques officielles est une condition nécessaire, mais non suffisante pour une mise en œuvre réussie. Une plus grande attention doit aussi être accordée aux moyens spécifiques par lesquels l’acceptation d’une politique publique officielle est ensuite traduite en pratique dans le travail d’une institution.

Xavier Clément
Les atteintes à la productivité des femmes en science. Le cas d’un laboratoire d’écologie québécois.

Cet article s’appuie sur une enquête de plusieurs années dans un laboratoire québécois d’écologie animale. Il s’intéresse au vécu des étudiantes, essentiellement avant leur accès au postdoctorat, et aux freins à leur entrée dans une carrière scientifique académique. On traite, d’une part, de l’inégale division/valorisation du travail et des mécanismes de blocage/dépossession du travail des étudiantes au sein du laboratoire. D’autre part, de l’élection au sein du département de certains étudiants comme futurs « Grands chercheurs » en miroir de la dévaluation des étudiantes, en relation étroite avec la constitution de réseaux de cooptation préférentielle entre hommes. Enfin dans une troisième partie, des mécanismes d’invisibilisation de cette inégalité de traitement entre les sexes. Dans un milieu officiellement égalitaire, mais dans les faits très inégalitaire, la marginalisation des femmes est produite collectivement de façon discrète, diffuse et ambivalente, d’où l’importance des approches ethnographiques qui restent rares.

Angeliki Drongiti
Le service militaire en Grèce : fabriquer de « vrais hommes »

À partir d’entretiens semi-directifs avec des appelés grecs et des militaires professionnels de l’armée de terre grecque, cet article examine le service militaire comme une expérience socialisatrice du point de vue du féminisme matérialiste et des rapports sociaux de sexe allié à l’approche goffmanienne des institutions. L’idée centrale est d’expliquer les effets de l’institution sur les individus tout en mettant en lumière les mécanismes et les fonctions institutionnelles pour fabriquer les « vrais hommes ». Ce processus de virilisation ne repose pas seulement sur des activités masculines qui servent à masculiniser les jeunes hommes : maniement des armes, exercices physiques et actes de bravoure. Au contraire, cet apprentissage à la domination se concrétise par l’expérience de la place de dominés rendant la place de dominants encore plus attractive.

Isadora Xavier Do Monte
Masculinité et maintien de la paix : les violences tuent. Le cas des Brésiliens en Haïti.

À partir de quarante entretiens semi-directifs menés avec des militaires brésiliens déployés en Haïti dans le cadre d’une mission de l’onu, cet article s’intéresse aux récits élaborés par les Casques bleus brésiliens pour décrire leurs activités de maintien de la paix. Son objectif principal est d’interroger les évolutions de la conception contemporaine du guerrier dans de nouveaux contextes d’emploi de la force militaire. Cette reconfiguration ne remet cependant pas en question les liens entre masculinité et militarité. Les militaires issus de pays périphériques comme le Brésil trouvent en effet dans le maintien de la paix de nouvelles sources d’affirmation à la fois de leurs compétences régaliennes et de leur masculinité face à un auditoire international. L’article s’interroge sur l’apport de ces nouveaux contextes d’emplois militaires à la conception contemporaine du guerrier.

n° 46/2021

Parcours
Margaret Maruani, le travail à l’épreuve du féminisme

Dossier : (Re)configurations du travail domestique
coordonné par Pauline Delage, Soline Blanchard, Isabel Boni-Le Goff et Isabelle Puech

Lorraine Bozouls

Travail domestique et production d’un style de vie.
Les femmes au foyer de classes supérieures

Cet article analyse la nature et la répartition du travail domestique au sein de ménages de classes supérieures davantage dotés en capital économique que culturel, dont les femmes sont au foyer ou éloignées d’emplois rémunérateurs. En détaillant le rapport de ces femmes au travail domestique, on éclaire des situations asymétriques peu connues, qui renseignent de manière plus large sur l’articulation des rapports sociaux de genre et de classe. Parce que les ménages concernés poussent à son paroxysme la division sexuée du travail qui prévaut dans la majorité des couples, les situations des femmes au foyer offrent un effet de loupe sur les logiques genrées. Cet article démontre que les femmes au foyer sont loin d’être « inactives » et qu’elles participent pleinement au positionnement social du ménage en réalisant notamment un travail d’éducation, de consommation et d’entretien du capital social, qui façonne le style de vie de ces ménages, ancrés au sein des classes supérieures.

 

Jérémie Brucker

L’étoffe du travailleur.
Genre et vêtement professionnel en France (années 1870-1920)

À la fin du xixe et au début du xxsiècles, le vêtement de travail fait l’objet d’une attention accrue de la part des différents acteurs du monde professionnel. Loin d’être anodin et librement choisi par les travailleurs et les travailleuses, le vêtement de travail s’inscrit dans des dynamiques socio-économiques et dans des contextes politiques, culturels et professionnels diversement astreignants. Dirigeant·e·s, législateurs/rices, acteurs/rices de la société civile et travailleurs/euses participent à des processus de codification vestimentaire qui font de la tenue de travail le produit d’une fabrique sociale à la fin du xixe siècle. Pratiques et interdits sociaux de genre tendent alors à normaliser les usages vestimentaires au sein du monde professionnel, notamment ouvrier et employé.

 

Marie Cartier, Anaïs Collet, Estelle Czerny, Pierre Gilbert, Marie-Hélène Lechien, Sylvie Monchatre et Camille Noûs

Allez, les pères !
Les conditions de l’engagement des hommes dans le travail domestique et parental

À partir d’une recherche sur trente couples hétérosexuels, cet article interroge les conditions sociales de l’investissement des pères dans le travail domestique et parental, entre genre et classe. Il souligne le rôle des horaires de travail décalés, qui conduisent les pères à se trouver seuls à la maison, ainsi que des situations d’hypogamie. S’ils déploient un travail spécifique de sécurisation du présent et de l’avenir, les pères adoptent aussi au quotidien un rôle d’auxiliaire de leur conjointe. Leur participation résulte d’un travail de socialisation et d’enrôlement réalisé par les mères, qui s’ajoute à la charge domestique et parentale de ces dernières. L’article s’intéresse enfin à la dynamique des relations de pouvoir et des arrangements, parfois conflictuels, au sein des couples : si l’économie des sentiments conjugaux peut générer, à la faveur de crises, un surcroît d’enrôlement des pères, elle contribue le plus souvent à perpétuer les inégalités de sexe dans la sphère privée.

 

Alizée Delpierre

Des femmes si privilégiées ? La fatigue d’être servi·e par des domestiques

Alors qu’elles ont à leur service un·e, deux, trois, voire plusieurs dizaines d’employé·e·s domestiques à temps plein qui servent au quotidien leur famille, les femmes très fortunées rencontrées lors d’une enquête portant sur le recours à la domestiticité des grandes fortunes affirment consacrer un temps et une énergie non négligeables à la gestion de leur foyer. Réservé aux ménages plutôt aisés dans les contextes où ils embauchent, le recours à la domesticité est pourtant un privilège : les femmes délèguent le travail reproductif à d’autres pour s’adonner au travail productif, et/ou aux loisirs. Mais les plaintes des femmes rencontrées, particulièrement privilégiées, méritent d’être prises au sérieux : cet article vise à discuter le paradoxe de leur investissement domestique alors même qu’elles ont recours à une domesticité importante. Il remet en question le fait que ces femmes soient soulagées du travail reproductif d’une part, et qu’elles le soient autant que leurs époux d’autre part. En fait, l’article montre qu’employer du personnel recrée un partage inégal et pérenne des tâches entre hommes et femmes employeur·e·s, et ce, même lorsque ces dernières travaillent : aux premiers les transactions financières pour rémunérer les employé·e·s, et aux secondes le travail relationnel et émotionnel nécessaire à la sélection et à la supervision du personnel, beaucoup plus engageant.

 

Elie Guéraut, Fanny Jedlicki et Camille Noûs

L’émigration étudiante des filles du « coin »
Entre émancipation sociale et réassignation spatiale

Cet article traite de la question des migrations résidentielles engendrées par la poursuite d’études supérieures en France. Si depuis les années 1990, l’accès à l’Université s’est largement massifié, cette ouverture s’est faite au prix d’une forte hiérarchisation des filières de l’enseignement supérieur, au sein de laquelle la position occupée dépend en grande partie du sexe et de l’origine sociale. Dans une première partie reposant sur l’exploitation de données statistiques et d’études de cas, cet article revient sur la dimension spatiale de la distribution des étudiant·e·s dans l’espace de l’enseignement supérieur. Les femmes tendent plus que les hommes à quitter leur lieu de résidence à l’issue du baccalauréat, mais également à y retourner une fois leurs études achevées, à plus forte raison dans les classes populaires. La deuxième partie de cet article montre que ce phénomène, qui concerne en particulier les jeunes femmes originaires des espaces ruraux et des villes petites et moyennes, s’explique par un déficit de ressources sociales ainsi que par les multiples rappels aux origines qui s’exercent sur elles. L’article souligne in fine les petites différences dans les trajectoires des étudiantes « du coin », selon la fraction occupée dans les classes populaires.

 

Martine Gross et Michael Stambolis-Ruhstorfer

Qui lave le linge sale de la famille ?
La division du travail domestique des couples homoparentaux et hétéroparentaux

Cet article étudie la répartition des tâches ménagères au sein de couples hétéroparentaux et homoparentaux en France. Il mobilise les données quantitatives de l’étude Elfe (Étude longitudinale française depuis l’enfance) et de Devhom (Homoparentalité, fonctionnement familial, développement, et socialisation des enfants). Jusqu’à présent, la littérature comparative a étudié le travail domestique comme un bloc. En détaillant six tâches, notre analyse dégage des schémas genrés précis qui, à partir de ces échantillons, distinguent les deux types de familles. Alors que les couples homoparentaux enquêtés partagent le travail domestique plus équitablement ou le font ensemble, les couples hétéroparentaux de l’échantillon étudié instaurent une assignation genrée des tâches que les mères assument seules, à l’exception des réparations et de la vaisselle. Ainsi, ces familles homoparentales semblent moins reproduire les normes qui traduisent la domination masculine de la distribution des tâches.

 

Dominique Pasquier

Les mises en ligne du travail domestique
Une étude de comptes Facebook en milieu populaire

À partir de l’analyse des échanges et des liens partagés sur 46 comptes Facebook d’ouvrier·e·s et d’employé·e·s dans le secteur des services, cet article étudie, dans une perspective genrée, la production et la réception des messages concernant le travail domestique. On peut distinguer trois types de prise de parole sur le sujet : des plaintes sur la lourdeur des tâches venant de femmes sous la forme de messages rédigés qui déclenchent une chaîne de réactions empathiques entre femmes ; des panneaux trouvés en ligne qui revendiquent une reconnaissance du travail accompli par les femmes qui ne circulent que dans les comptes féminins; et des caricatures ou des histoires drôles contre la domination masculine qui peinent à trouver leur public. L’article constate la grande absence d’interlocuteurs masculins dans les échanges et pose la question des conditions d’une montée, dans les milieux populaires, d’aspirations à plus d’égalité formulées par des femmes qui trouvent un aussi faible écho chez les hommes.

n° 45/2021

Parcours
Aida Quinatoa, la lutte d’une Indienne équatorienne en Espagne

Sarah Barrières
Des rebelles au travail.
Faire front entre ouvrières dans la (post) révolution tunisienne.

Au cours de la révolution tunisienne, démarrée fin 2010, les rapports sociaux de sexe sont redéfinis par la participation massive des femmes aux protestations. Dans ce contexte, une lutte d’ouvrières, singulière tant par sa durée que par ses modes d’organisation et d’actions, se déroule de 2011 à 2014 dans une filiale d’une multinationale française. Pour faire face aux conditions de travail déplorables : humiliations, harcèlements sexuels, horaires extensifs, etc., les ouvrières s’organisent sous la bannière de la principale centrale syndicale du pays, l’ugtt. Quasi exclusivement féminin, le syndicat de base, en privilégiant un fonctionnement et des modes d’action inclusifs et peu hiérarchisés, libère la parole et permet de déplacer les lignes du genre. Centrée sur les deux leadeuses syndicales dotées de dispositions à l’engagement qui se réactualisent et se transforment au contact de l’événement, cet article montre aussi comment sont mobilisés des registres d’action divers du fait du rapport ambivalent de la lutte aux structures syndicales et de sa radicalisation face à une répression patronale de plus en plus dure.

 

Clémentine Comer
Les composantes morale et politique du travail parental des agricultrices

Cet article s’intéresse aux fondements familialistes des pratiques parentales et domestiques promues par les agricultrices. À la fois ressource identitaire et levier d’expression politique pour des femmes professionnellement déclassées au sein de l’espace agricole, l’adhésion à une stricte division des rôles sexués est moralement défendue et collectivement prescrite. L’immersion auprès de groupes de développement agricole féminins et la réalisation d’entretien avec leurs participantes donnent ainsi à voir une quête de respectabilité bâtie sur la promotion d’une morale familiale et le respect des normes de genre. En se faisant les porte-voix d’un ordre familial et d’un modèle culturel agricole présumé authentique et vertueux, les agricultrices inventent ainsi des formes honorables d’engagements qui, sans être ouvertement contestataires, n’en sont pas moins défensives.

 

Alexandre Guérillot
Le métier d’agricultrice bio. Un nouveau rapport au travail ?

Par une approche compréhensive des réponses à l’enquête par questionnaire menée par la Fédération nationale d’agriculture biologique et l’Agence Bio en 2018, le présent article s’attelle à donner à voir les agricultrices bio au travers de leur rapport  ̶  complexe et ambivalent – à leur travail sur leurs exploitations. Leur demande d’activités techniques, mécaniques, en plein air, contraste fortement avec la résistance d’une division sexuelle du travail qui leur attribue classiquement d’autres rôles, comme la gestion des papiers qu’elles rejettent massivement. Elles ne se projettent pas plus que cela dans les « nouvelles » activités de diversification telle la vente en « circuit court ». Se vivre agricultrice bio aujourd’hui semble donc impliquer une revendication complète des prérogatives de la figure du chef d’exploitation, en remettant en cause la division sexuelle traditionnelle du travail agricole.

 

Pierre Guillemin et Michaël Bermond
Agricultrices néorurales à l’épreuve de la séparation conjugale

Dans la littérature scientifique, la perpétuation de la domination masculine en agriculture s’analyse notamment au prisme du divorce.  À partir de deux études de cas issues d’une revue de presse (dans le quotidien Ouest-France), cet article propose des questions de recherche quant aux rôles de différentes espèces de capitaux et des effets de contextes dans l’atypicité d’agricultrices séparées de leurs conjoints et qui demeurent à la tête de l’exploitation familiale. Contrairement à d’autres néorurales, elles semblent parvenir à déjouer certaines normes de genre en agriculture, malgré une domination masculine qui perdure.

 

Rose-Marie Lagrave
Retour sur les « agricultrices » : des oubliées de la recherche et du féminisme.

Dans cet article, Clotilde Lemarchant et Pauline Seiller s’entretiennent avec Rose-Marie Lagrave, sociologue et directrice d’études honoraire à l’École des hautes études en sciences sociales, qui, dès les années 1980, a contribué au lancement de recherches sur les agricultrices, croisant sociologie rurale et sociologie des rapports sociaux de sexes. Rose-Marie Lagrave revient sur sa trajectoire et explique la façon dont les sciences sociales tout comme le mouvement féministe rendent plus ou moins visibles certaines catégories de population.

 

Héloïse Prévost
Des femmes rurales face à l’histoire coloniale patriarcale au Brésil

Cet article analyse les conditions de politisation des femmes rurales dans leur rapport à la terre, comme territoire, comme objet de travail et de soins. À partir d’une démarche socio-historique, le mouvement des femmes rurales est appréhendé dans ses liens avec les luttes pour la terre passées et présentes. Fondée sur l’étude de cas de l’assentamento Maceió, dans le Nordeste du Brésil, l’analyse explore l’articulation du travail productif, militant et de care. Trois axes sont présentés : le croisement de l’histoire locale avec l’histoire coloniale, patriarcale et néolibérale ; les conditions de politisation et l’organisation du travail militant et de care à l’échelle d’un groupe de femmes rurales ; la dimension politique du travail productif imbriqué au travail de care socio-environnemental. Ces axes permettent de rendre compte d’une série de stratégies paysannes pour se réapproprier le territoire et construire un projet de résistance/r-existence.

N°44/2020 Intersectionnalité au travail

Parcours
Maryse Dumas, une dirigeante syndicale aux côtés des femmes

Dossier
Intersectionnalité au travail (dir. Fanny Gallot, Camille Noûs, Sophie Pochic, Djaouida Séhili)

 

Margot Beal

Politiques raciales dans la domesticité en France métropolitaine entre les années 1850 et 1930 : la fabrique d’une domesticité blanche et de ses marges racisées

L’article explore les processus de racialisation à l’œuvre dans le monde du travail domestique entre la fin du XIXe siècle et le début du XXe siècle, dans la région de Saint-Etienne (France). Quelle est la politique raciale en matière de recrutement et de traitement des domestiques dans le contexte français métropolitain ? En utilisant des sources judiciaires et administratives, cet article examine comment l’État français préfère qu’en métropole la main-d’œuvre domestique reste blanche, puis comment la minorité des domestiques racisé·e·s sont traité·e·s, à la fois par les institutions étatiques ; le patronat et, de manière plus labile, par leurs pair·e·s de classe. La classe, le genre et la nationalité des protagonistes participent de cette racialisation, qui débouche sur la construction d’un privilège de blanchité pour les travailleur·se·s blanc·he·s dans un contexte où le patronat domestique est uniformément blanc.

 

 

Jennifer Jihye Chun, George Lipsitz et Young Shin

L’intersectionnalité, comme stratégie de mobilisation sociale
Les défenseures des immigrées asiatiques aux États-Unis

L’histoire des Asian Immigrant Women Advocates (aiwa ou Défenseures des immigrées asiatiques) à Oakland et à San Jose en Californie, sur près de trois décennies, offre un exemple éloquent de l’intersectionnalité mise en œuvre dans un mouvement social et de son utilité pour révéler la dimension diffuse et différentielle des formes imbriquées d’oppression. L’article revient sur les origines du concept d’intersectionnalité, à la fois dans les milieux universitaires et dans la longue histoire des luttes sociales aux États-Unis. S’appuyant sur des travaux ethnographiques et des documents d’archives, il montre comment cette organisation communautaire a placé l’intersectionnalité au cœur du travail quotidien de mobilisation : comme grille d’analyse pour comprendre l’imbrication du genre, de la famille, du travail et de la nation dans l’expérience des travailleuses immigrées ; comme outil réflexif pour combiner théorie et pratique des mouvements sociaux ; et enfin comme structure favorisant un « leadership par les paires » et de nouvelles formes de mobilisation plus inclusives.

 

Hou Renyou

La division sexuée du travail revisitée en Chine rurale aujourd’hui
(Re)valorisation de l’emploi féminin et subordination familiale persistante

Depuis les années 1980, la contribution grandissante des femmes chinoises aux activités productives de par la valorisation sociale et économique de la main d’œuvre féminin, ainsi que leur participation non négligeable aux activités sociales et communautaires pourraient donner l’impression, a priori, que l’idéologie confucéenne de la séparation des sexes dans la société chinoise, connue sous l’expression de « l’homme se charge des affaires extérieures, la femme des affaires intérieures » (nanzhuwai, nüzhunei), tendrait à s’atténuer. À partir d’une étude ethnographique réalisée au village de Zhang (province du Henan) entre 2013 et 2016, cet article démontre que la division sexuée du travail dans les activités productives et sociales reconfigure et redéfinit ce qui est « intérieur » et ce qui est « extérieur » dans un contexte migratoire important, mais dont la valeur d’homme-extérieur/femme-intérieur perdure et continue de réguler l’organisation de la vie des villageois·es.

Hanane Karimi

Des musulmanes entrepreneuses en réseau en France
Faire face aux discriminations multiples

Cet article analyse les effets indirects de discriminations structurelles et intersectionnelles sur le travail de femmes musulmanes qui portent le hijab en France. On constate que l’imbrication des catégories de race, de classe, de genre et de religion, dans le cas du port du hijab, pénalise fortement les perspectives professionnelles de ces femmes. En interrogeant à la fois le continuum de l’école au travail qui construit l’apprentissage par corps et les enquêtes sur les conséquences directes du port du hijab au travail, nous nous proposons de décrire et analyser deux réseaux d’autoentrepreneuses musulmanes qui s’organisent en réponse aux discriminations dans l’accès à l’emploi. Les entrepreneuses rencontrées n’ont aucune disposition héritée à l’entrepreneuriat. Elles trouvent une manière de compenser ce manque de ressources entrepreneuriales à l’aide du networking et du coworking. La ressource religieuse islamique est analysée afin de préciser sa fonction en termes de capital symbolique et de retournement du stigmate. Il apparaît que leur engagement religieux tout comme leurs responsabilités familiales font de l’indépendance professionnelle, la seule manière acceptable de travailler sans avoir à négocier leur religiosité. Elle constitue une activité économique périphérique qui rapporte de faibles bénéfices.

 

Amélie Le Renard

Approche intersectionnelle et postcoloniale d’un privilège.
Occidentalité et blanchité sur le marché du travail de Dubaï

À partir d’une enquête sociologique sur le privilège occidental tel qu’il se déploie entre Dubaï et la France, cet article intervient dans deux débats au sein du champ de l’intersectionnalité : comment cette notion peut-elle se combiner avec les approches transnationales et postcoloniales ? Est-il pertinent d’utiliser l’intersectionnalité pour travailler sur des personnes en position dominante ? L’article montre qu’à Dubaï, tou·te·s les titulaires de passeports occidentaux bénéficient d’avantages, mais pas des mêmes avantages : les contrats d’expatriation et packages famille suravantagent des hommes blancs. Le fossé entre les expériences se creuse à moyen terme. Certain·e·s sont mobiles, tandis que d’autres se sentent contraint·e·s de rester à Dubaï. Certaines carrières, notamment de femmes non-blanches, tournent court. L’expérience d’un privilège est alors précaire et éphémère. Enfin, les projections en France sur le Golfe n’affectent pas tou·te·s les personnes qui en reviennent de la même manière.

 

Myriam Paris

Citoyenneté refusée : les employées domestiques face à la régulation étatique du travail à La Réunion (1945-1960)

En 1945, des employées domestiques créent à La Réunion le Syndicat des bonnes et des blanchisseuses et prennent part à un large mouvement anticolonial réclamant l’égalité des droits politiques et sociaux entre Français·es et Réunionnais·es. Appuyé sur des sources militantes et administratives, cet article a l’ambition de montrer que l’analyse des mobilisations de ces employées d’une part et celle des réponses institutionnelles qui y sont apportées entre 1945 et 1960 d’autre part, constituent un angle privilégié pour saisir les modalités du maintien et du renouvellement d’un régime colonial appuyé sur les clivages sociaux de genre, de classe et de race, et ce au moment même où, dans le cadre de la départementalisation amorcée en 1946, une citoyenneté politique et sociale française se construit localement.

N°43/2020 Sales boulots

Parcours
Mirabelle, trouble-genre chez Madame Arthur

 

Christelle Avril et Irene Ramos Vacca

Se salir les mains pour les autres. Métiers de femme et division morale du travail

Qu’est-ce qu’un « métier de femme » ? Cet article permet d’enrichir la réponse féministe à cette question à partir d’un angle négligé de l’approche du sale boulot d’Everett Hughes, celui concernant les rôles dans la division morale du travail. À partir de trois enquêtes, l’une sur les aides à domicile, la deuxième sur les aides-soignantes et infirmières en pédiatrie et la troisième sur les secrétaires hospitalières, il montre qu’un « métier de femme » se définit moins par la licence spécifique de faire certaines tâches que par le fait de faire ce qu’il reste à faire. Si les femmes peuvent vivre cette délégation positivement lorsqu’il s’agit d’endosser de « bons rôles », cela est moins vrai lorsqu’elles doivent se salir les mains pour les autres. Elles assument en effet de « mauvais rôles » en déchargeant les catégories supérieures des tâches peu morales et immorales. Cet article contribue à saisir les liens entre division sexuelle des rôles et construction des positions de pouvoir et de prestige.

 

Leïla Boudra

Le tri des déchets ménagers. Inégalités de genre et santé au travail.

Le secteur de la gestion et du tri des déchets est souvent cité en exemple comme l’un des champs du « sale boulot » défini par Hughes, tant du point de vue des conditions de travail, de la division sociale et sexuée du travail produite en conséquence, et des dimensions subjectives engagées dans l’activité. Dans cet article, nous proposons une lecture des résultats d’une recherche en ergonomie dans des centres de tri des déchets ménagers en France, au prisme des notions de sale boulot et de genre. En étudiant les conditions de ce travail industriel réalisé à la chaîne par des équipes mixtes, nous montrons les divisions sexuées, sociales et spatiales en lien avec la répartition des tâches et des postes sur la chaîne de tri. Ces résultats réinterrogent les pénibilités au travail et supposent d’en différencier les effets selon le genre. Ils offrent une grille de lecture pour interroger la mise à l’épreuve du sensible dans l’activité et ses effets comme la valorisation sociale de l’activité par la finalité verte.

 

Hugo Bret

Se dépenser et se préserver. Éboueurs et balayeurs du secteur public

La virilité occupe traditionnellement une place centrale dans la composition de l’identité masculine, dans les styles de vie comme dans le rapport au travail chez les ouvriers. Chez les éboueurs et les balayeurs, les valeurs viriles (courage, force physique, endurance, résistance à la douleur, etc.) continuent de fonder la culture professionnelle et les manières de faire face au « sale boulot ». Mais elles sont aussi complétées voire concurrencées par une disposition professionnelle à préserver le corps et la santé, nécessaire pour tenir le poste. La nature de l’activité et les évolutions du secteur (modernisation, « médicalisation », recomposition sociale du groupe) ainsi que la trajectoire et les propriétés sociales des enquêtés éclairent la recomposition des masculinités et des écarts aux normes viriles au sein du groupe.

 

Caroline Ibos

Masculinité des chiffonniers et disqualification des chiffonnières à Paris (1830-1880)

Observer la situation des hommes socialement dévalorisés permet d’interroger différemment la domination masculine, ou masculinité comprise non comme substantielle mais comme politique, à savoir comme un ordre de domination qui, distinguant les hommes des femmes, confère aux premiers une supériorité socialement légitimée. Fondée sur des sources littéraires et iconographiques hétérogènes, cette étude de la construction des chiffonniers au XIXe siècle, groupe particulièrement stigmatisé, montre que la masculinité qui leur est reconnue par les élites culturelles s’inscrit dans un double rapport de pouvoir : un rapport de classe qui les assigne à des formes dégradées de masculinité et un rapport de genre qui les intègre à une commune humanité dont les chiffonnières sont implicitement exclues. Ces dernières subissent à la fois le mépris des hommes instruits et la tutelle des chiffonniers autorisés à exploiter leurs corps et chargés de les soumettre à leur loi domestique.

 

Eric Le Bourhis

Des carrières sous le plafond de verre. Les femmes architectes en Lettonie soviétique

La Lettonie se distingue par la rapidité et l’ampleur de la féminisation de la profession d’architecte au cours du xxe siècle, aussi bien en Europe qu’au sein de l’Union soviétique qui l’a annexée au cours de la Seconde Guerre mondiale. Cet article se penche sur les facteurs et les limites de la féminisation de ce petit groupe professionnel après 1945. Il interroge les ressorts soviétiques et locaux de la féminisation de cette profession et les transformations internationales du métier pour mettre en valeur les décalages entre la formation et l’embauche, favorables aux femmes, et un monde du travail régi jusque dans les années 1980 par des mécanismes d’exclusion sexiste tout aussi puissants. Ces mécanismes sont interprétés comme des arrangements aux termes desquels la progression des femmes dans la profession sert à absorber les contraintes imposées au métier.

 

Virginie Rozée

Quand la performance du corps reproducteur devient un travail. La gestation pour autrui en Inde

L’approche de la gestation pour autrui (gpa) en Inde comme travail permet d’appréhender la complexité de cette réalité. Si, depuis une perspective féministe, la reproduction est considérée comme un travail, en Inde, la gpa est concrètement organisée comme tel. Les gestatrices elles-mêmes se représentent la gestation pour autrui comme une activité salariale alternative, présentant selon elles de bien meilleures conditions que leurs précédents emplois. Mais ce travail révèle des hiérarchies et des dominations et comporte parfois des risques sociaux et de santé pour les travailleuses, liés notamment à l’optimisation de la performance de leur corps reproducteur. Si ces hiérarchies et dominations sont à mettre en regard avec les rapports sociaux de genre en Inde, l’approche de la gpa comme un travail permet d’avoir un regard beaucoup plus critique de la condition des travailleuses de la reproduction dans le pays. Certaines organisations de femmes l’ont compris : au lieu de lutter contre la pratique en soi, elles se sont mobilisées pour améliorer les conditions de travail des gestatrices. Cette mobilisation semble pour autant dépassée aujourd’hui avec le nouveau projet de loi qui vise une gestation pour autrui locale et altruiste.

N°41/2019 Habits de travail

Parcours
Hommage à Chantal Rogerat

 

Amel Ben Rhouma et Bilel Kchouk
L’accès des femmes aux postes de gouvernance en Tunisie. Une analyse en termes de capabilités
Cette recherche s’intéresse à la place des femmes dans les postes de gouvernance politique et économique en Tunisie dans le contexte de la transition démocratique amorcée depuis 2011. Notre étude quantitative montre d’une part que le discrédit des anciennes élites politiques, la loi sur la parité en politique et les pressions internationales ont créé un contexte d’opportunité favorable à une timide percée des femmes à ces postes, bien que leur représentativité demeure faible. Des récits de vie réalisés auprès de 29 « femmes de pouvoir », soulignent les ressources et capabilités détenues par ces femmes, liées à leurs acquis et émancipation depuis l’indépendance (accès aux études supérieures notamment) et un environnement familial et social soutenant. Cependant, ces évolutions se heurtent à des résistances structurelles comme les pratiques de cooptation au sein de l’administration tunisienne, la faible visibilité médiatique des femmes politiques et une persistante culture conservatrice favorisant la suprématie masculine.

 

Isabel Boni-Le Goff
Des expert·e·s respectables ? Esthétique vestimentaire et production de la confiance
Considéré comme « intellectuel », le conseil en management est rarement envisagé sous l’angle des médiations corporelles, ni du travail d’incarnation qu’il implique. Dès l’entrée dans le métier, les consultant·e·s débutant·e·s apprennent pourtant à tenir compte d’un ensemble d’attentes historiquement et socialement construites, à produire une façade personnelle convaincante et à réaliser un passing expert. La production contrôlée de cette figure d’expert met en jeu de façon centrale le vêtement. L’article souligne combien les normes vestimentaires contemporaines de la profession sont marquées par les figures professionnelles construites historiquement et témoignent de la persistance d’une esthétique genrée, en dépit de l’entrée importante de femmes dans cet ancien bastion masculin. Puis il analyse les expériences vestimentaires complexes des femmes consultantes : la vigilance permanente portée par celles-ci au risque de fausse note vestimentaire, la peur très partagée de commettre une erreur esthétique et symbolique. En s’intéressant aux situations vestimentaires problématiques, l’article offre un éclairage heuristique sur les fonctions sociales et symboliques du vêtement professionnel, sur la violence symbolique ainsi que les rapports de pouvoir dont il peut être le support.

 

Corinne Delmas
Les notaires, le genre d’une profession à patrimoine
Le métier de notaire, profession à patrimoine, constitue historiquement un marché du travail peu ouvert. L’entrée des femmes sur ce marché, qui leur est accessible depuis 1948, ne s’en est pas moins élargie au cours des deux dernières décennies. Plusieurs indices révèlent même une féminisation massive inhérente à la scolarisation, déjà identifiée pour d’autres professions juridiques, mais aussi à d’autres facteurs plus spécifiques au notariat, notamment la diversification des positions et des statuts professionnels. Les vécus et les perceptions subjectives de la féminisation restent toutefois très contrastés avec encore des résistances masculines et, s’agissant des femmes, des différences générationnelles, en termes de trajectoires, d’origine sociale, de contexte familial, etc. Ainsi, l’écart semble conséquent entre la féminisation ressentie par certains professionnels et la réalité. La réforme en cours de la profession est pour sa part susceptible de favoriser tout autant l’entrepreneuriat féminin que des formes de ségrégation genrée.

 

Louise Jackson
En uniforme et en civil : les policières londoniennes (1919-1959)
Consacré au travail des policières de Londres, cet article analyse le rôle du vêtement en tant que technologie capitale au moyen de laquelle les identités de la police comme de ceux qu’elle surveille sont mises en scène et se construisent. Les missions en uniforme et en civil reposaient sur des stratégies de surveillance différentes mais liées. L’uniforme donnait aux femmes de l’assurance et les protégeait tandis qu’elles se mouvaient dans de nouveaux environnements, devenant un élément du spectacle urbain tout en incarnant une forme très visible d’autorité « féminine ». Les policières étaient aussi utilisées pour des missions d’observation en civil et des opérations clandestines dans des lieux soupçonnés d’être des maisons closes, des cercles de jeux et des débits de boisson illicites. Les policières apprenaient à interpréter l’habit et la physionomie d’autrui en fonction de codes culturels liés à la classe, au statut social et au genre ; elles utilisaient ensuite ce savoir pour adapter leur propre apparence en conséquence, subvertissant ainsi l’ordre symbolique à des fins officielles.

 

Frédérique Matonti
Le vêtement de travail des politiques. Représentation, ressemblance et faux pas
Cet article entend montrer que, loin d’être anecdotiques, les vêtements de travail des élu·e·s ont partie liée avec le cœur de leur métier : les exigences de la représentation politique. Il rappelle d’abord quelques « scandales vestimentaires » (Cécile Duflot, Jack Lang, Valérie Pécresse, François Ruffin, etc.) récents, le fondement des exigences sociales et genrées attendues des professionnel·le·s de la politique. Il analyse ensuite, en remontant jusqu’à la Révolution française, comment plusieurs facteurs (sélection sociale des élus, normes vestimentaires des classes dominantes, volonté d’imposition de l’autorité, etc.) se combinent pour donner naissance à une règle générale : le vêtement des représentants doit se distinguer de celui des représentés, mais aussi à quelques variations liées notamment aux appartenances partisanes. Il s’intéresse enfin à l’évolution contradictoire des obligations des politiques en matière vestimentaire – au fil du temps, leur corps est de moins en moins apprêté, mais de plus en plus scruté et contrôlé.

 

Thibaut Menoux
Létoffe dun concierge. Socialisation vestimentaire et ajustements masculins au service du luxe
L’article prend pour point d’entrée le port de l’uniforme par les hommes employés dans les métiers du hall de l’hôtellerie de luxe afin de montrer en quoi l’uniforme masculin, loin de n’être que le levier d’une virilisation univoque, induit des formes moins explorées de renégociation des identités masculines, renégociations inséparables des trajectoires sociales des hommes concernés. À partir d’une enquête ethnographique, statistique et archivistique sur le métier de concierge d’hôtel, l’article montre d’abord l’ambivalence des significations sociales attachées à l’uniforme hôtelier et perçues par leurs porteurs. Il montre ensuite que l’uniforme représente à la fois le support et l’indice d’un ajustement par socialisation vestimentaire. Celle-ci consiste à apprendre le travail de service de luxe par le port de l’uniforme et à apprendre à porter l’uniforme lui-même, autant de savoir-faire face auxquels les travailleurs, en fonction de leur trajectoire sociale, ne sont pas sur un pied d’égalité. Enfin, l’article montre que ces usages, socialement situés et genrés, d’un uniforme qui a tendance à s’informaliser, sont susceptibles de recomposer les modèles de masculinité de ces travailleurs.

 

N°42/2019 Pratiques écoféministes

Parcours
Monique Dental, féministe en ruptures

Viviane Albenga et Vanina Mozziconacci
Tous les féminismes sont-ils solubles dans l’éducation ?
Hybridations théoriques et paradoxes pratiques dans un dispositif de prévention des violences sexistes
La déconstruction des stéréotypes est devenue l’un des fils conducteurs les plus récurrents de la lutte contre les inégalités de genre dans le système scolaire. Il est possible de lire cette mesure comme relevant d’une inspiration féministe libérale ou « égalitaire ». Or, l’adoption des principes théorico-politiques de ce dernier peut mener à un certain nombre d’impasses, qui sont directement liées à la conception du genre portée par ce modèle, focalisée sur les rôles sexués et sur l’échelle individuelle. Le féminisme matérialiste, en tant qu’il appréhende le genre comme système macrosocial diviseur et hiérarchisant, semble éviter ces apories théoriques qui caractérisent le modèle libéral. Toutefois, qu’en est-il de ses applications et de ses conséquences pratiques en matière d’éducation ?  Nous verrons à travers l’étude d’un dispositif de prévention du sexisme mené par l’Observatoire des violences envers les femmes de Seine-Saint-Denis que l’adoption du féminisme matérialiste par des éducatrices qui cherchent à promouvoir une éducation à l’égalité de genre les conduit à adapter celui-ci. Un certain nombre d’hybridations sont ainsi à l’œuvre en pratique, dans lesquelles sont combinées des perspectives féministes aux postulats pourtant clairement divergents.

 

Isabelle Cambourakis
Articuler écologie et féminisme dans les années 1970.
L’exemple du centre non-violent des Circauds
Alors qu’on insiste le plus souvent sur l’absence d’un courant écoféministe en France et sur le peu d’engagement des Français·es dans le mouvement contre le nucléaire militaire des années 1980, l’approche localisée du centre des Circauds, espace de formation à la non-violence créé au début des années 1970, permet d’analyser la diffusion et l’imbrication du féminisme et de l’écologie dans des espaces en marge des mouvements sociaux. Cet article analyse tout particulièrement les camps d’été organisés en non-mixité par des femmes du centre entre 1976 et 1978 et le rôle qu’ils ont joué dans l’émergence d’un mouvement féministe-pacifiste européen et dans la diffusion d’une sensibilité écoféministe qui adosse une critique des relations de genre à celle de la modernité, d’une médecine perçue comme masculine, de l’industrie pharmaceutique et du capitalisme. L’analyse de la presse écologiste et féministe comme les entretiens avec des ancien·nes des Circauds rend ainsi visible des pratiques féministes hétérodoxes et des bricolages du quotidien permettant de résoudre les contradictions de femmes qui, dans les années 1970, veulent faire tenir ensemble leurs différents engagements.

 

Camille Fauroux
Les politiques du travail féminin sous l’Occupation
Cet article propose d’aborder l’histoire du travail féminin sous l’Occupation par le prisme de l’intégration à l’économie de guerre allemande. La politique du travail des femmes françaises pour l’Allemagne constitue dès le début une source d’inquiétude pour le gouvernement de Vichy, tant il est clair qu’elle va à l’encontre du projet de restauration de l’ordre familial qu’il mène par ailleurs. Du point de vue de l’occupant, cette politique de recrutement d’une main-d’œuvre étrangère a au contraire l’avantage de préserver les rapports de genre en Allemagne, en faisant peser le poids de la production de guerre sur les épaules des étrangers. Quand les tensions autour de l’approvisionnement en main-d’œuvre se font plus fortes, la question du recrutement forcé des Françaises pour le territoire du Reich se pose, mais elle est finalement écartée au bénéfice d’une politique du travail contraint des femmes en France. Cette étude met en lumière l’intérêt d’une perspective transnationale pour aborder le genre des politiques du travail.

 

Aurore Koechlin
L’auto-gynécologie : écoféminisme et intersectionnalité
Nous proposons une étude monographique d’un réseau de praticiennes d’auto-gynécologie en région parisienne, composé de personnes âgées de 20 à 40 ans qui appartiennent à une nouvelle génération que l’on pourrait qualifier de féministe intersectionnelle. L’enjeu ici est de montrer comment des féministes intersectionnelles peuvent s’approprier les paradigmes écoféministes, tant dans le discours que les pratiques. Pour cette nouvelle génération, la pratique de l’auto-gynécologie n’est en fait pas aisée à revendiquer : centrée sur les organes génitaux féminins, elle peut donner à penser que « la femme » se définit en référence à l’anatomie et être accusée d’essentialisme par les féministes intersectionnelles qui ont précisément voulu pousser plus loin que dans les années 1970 l’entreprise de déconstruction du genre. Le cas de ce réseau d’auto-gynécologie qui parvient à articuler cette pratique avec un positionnement intersectionnel montre comment l’écoféminisme peut intégrer une forme de syncrétisme théorique et pratique, mêlant une relecture des mobilisations féministes pour la contraception et pour l’avortement, les apports de la théorie queer et du black feminism, une certaine vision de l’écologie et parfois un engagement anticapitaliste.

 

Geneviève Pruvost
Penser l’écoféminisme. Féminisme de la subsistance et écoféminisme vernaculaire
Afin de mettre en évidence la conceptualisation qu’une partie des théoriciennes écoféministes proposent en matière de travail en régime capitaliste, qu’il soit salarié, agricole et domestique, on a qualifié de féminisme de la subsistance tout un groupe de théoriciennes comme Françoise d’Eaubonne, Maria Mies, Silvia Federici,Vandana Shiva et Starhawk, qui ont en commun de mettre en lien féminisme, activisme et mise en pratique d’alternatives écologiques qui relèvent d’une forme d’écoféminisme vernaculaire. Cette approche matérialiste, mais aussi spirituelle de l’écoféminisme s’appuie sur des recherches anthropologiques et historiques qui distinguent le travail vivrier d’autoproduction par les deux sexes et le travail domestique féminin de préparation de produits industrialisés en termes économique et politique. Les destructions environnementales de l’industrialisation de la sphère des besoins sont corrélées à la mise à mort des dernières sociétés paysannes du sud et la division internationale inéquitable du labeur de production des ressources vitales dont les femmes sont les premières victimes.

 

Constance Rimlinger
Travailler la terre et déconstruire l’hétérosexisme : expérimentations écoféministes
À partir de l’ethnographie de trois lieux ruraux (deux fermes et un gîte) tenus par des femmes lesbiennes et/ou queer qui s’inscrivent dans une critique écologiste et anticapitaliste de la société tout en questionnant les normes de genre et de sexualité, nous interrogerons la signification de ces choix de vie alternatifs au regard de l’identité des actrices et de la manière dont ils enrichissent la compréhension de la constellation des mouvements écoféministes. Nous observerons qu’avec le déplacement de la ville vers la campagne, et du monde salarié vers l’agriculture de subsistance, elles doivent mettre en place de nouvelles stratégies pour lutter contre l’isolement et s’intégrer localement. Simultanément, ce retour à la terre leur offre de nouvelles possibilités d’émancipation, d’engagement et de soutien aux femmes et aux minorités. Le travail agricole, l’engagement féministe et la politisation du quotidien constituent les différentes facettes d’un même projet : celui de chercher une voie plus juste et plus durable pour notre société.

N°39/2018 Ménages populaires

Parcours
Mireya Diaz, bergère et sénatrice en Argentine

 

Lise Bernard et Christophe Giraud

Avec qui les ouvrières et les employées vivent-elles en couple ?

Cet article montre que les situations conjugales des hommes et des femmes de milieux populaires ont été affectées par plusieurs transformations depuis le début des années 1980 : distance accrue à la vie conjugale, réduction importante des couples composés d’un ouvrier en emploi et d’une inactive, recul de l’homogamie pour les employé.e.s. Cet article contribue aussi à l’analyse de la diversité actuelle des femmes de milieux populaires à partir d’une étude de leurs unions matrimoniales. Il met notamment en évidence l’existence d’une stratification au sein des différentes catégories d’ouvrières et d’employées : un « haut » regroupe des femmes, dotées de ressources multiples, qui ont tendance à s’unir avec des hommes occupant des positions sociales plus élevées ; un « bas » où les deux partenaires sont très touchés par la précarité ; enfin, des pôles médians, marqués par le monde ouvrier, certains emplois du commerce, les services peu qualifiés et où les femmes sont plus ou moins éloignées de l’emploi.

Soline Blanchard

Le conseil en égalité professionnelle : quel genre d’entreprise ?

Les années 2000 ont été le théâtre du développement d’une nouvelle activité de travail en France : le conseil en égalité professionnelle. Elle réunit des prestataires qui vendent des services visant à accompagner les organisations dans leurs démarches internes de promotion de cette thématique. Cet article se propose d’appréhender ces protagonistes au prisme du genre, afin d’explorer un paradoxe déjà observé dans d’autres contextes : pris·es dans un espace social structuré par le genre, les promotrices/promoteurs de l’égalité ont tendance à (re)produire les inégalités qu’elles/ils prétendent pourtant combattre. Se concentrant sur une catégorie particulière de prestataires, les femmes créatrices d’activité, l’analyse met en lumière une articulation complexe entre logiques de subversion et logiques de reproduction du genre.

Frédéric Gautier

Une « résistible » féminisation ? Le recrutement des gardiennes de la paix

La décision d’ouvrir aux femmes l’accès au concours de gardien de la paix puis la suppression officielle des quotas limitant leur recrutement ont contribué, pour une large part, à la féminisation de la police nationale. Toutefois, les femmes restent largement sous-représentées parmi les gardiens de la paix. Si, de ce point de vue, la morphologie de l’institution change peu, c’est d’abord parce que les candidatures féminines sont plus rares que les candidatures masculines : socialement moins probables, elles constituent encore une forme de transgression qui requiert des propriétés et dispositions particulières. C’est également parce que les pratiques des recruteurs exigent des hommes un droit d’entrée moins élevé que celui dont les femmes doivent s’acquitter, tout en valorisant les candidates qui donnent des signes de leur capacité à jour le jeu et se plier aux règles d’un modèle viriliste qui reste dominant dans l’institution.

Marie Cartier, Muriel Letrait et Matéo Sorin

Travail domestique : des classes populaires conservatrices ?

Cet article étudie la façon dont hommes et femmes des classes populaires perçoivent l’inégale répartition des tâches domestiques et y réagissent. En mobilisant à la fois des données statistiques et 17 monographies de couples hétérosexuels avec enfants, il défend l’idée que la période historique qui va des années 1980 jusqu’à nos jours se caractérise moins par la permanence d’un attachement positif des classes populaires à une stricte division des rôles sexués, que par une lente différenciation des conceptions en matière de travail domestique à l’intérieur même de ces classes. L’attachement à une stricte division sexuée du travail vaut surtout pour leurs strates les plus précaires. Les ménages stabilisés des classes populaires s’en détachent à travers la participation, certes modeste mais accrue, des hommes ouvriers et employés aux tâches domestiques mais aussi à travers la mise en question du déséquilibre domestique par les femmes.

Olivier Masclet

« C’est mon moment ». Le temps pour soi des ouvrières et des employées

Les ouvrières et les employées d’aujourd’hui disposent-elles d’un temps « à elles », affranchi des charges familiales et professionnelles ? Si le temps personnel de ces femmes est fréquemment empreint de dimension familiale, l’analyse ne saurait se limiter au constat de la force du « nous » dans les milieux populaires : à de nombreux moments le « je » prime en effet très clairement. Tout en montrant les inégalités entre les femmes des catégories populaires et les autres femmes face au temps pour soi, cet article repère les activités de temps libre qu’elles investissent d’une dimension personnelle et rend compte de la standardisation du temps pour soi, c’est-à-dire à la fois de l’appropriation et de la banalisation de la norme du temps personnel dans les ménages des classes populaires. Il montre que le temps pour soi est pour ces femmes un moyen de marquer des limites à la condition d’épouse et de mère autant qu’à la position subalterne de leur emploi.

Olivier Schwartz

Les femmes dans les classes populaires, entre permanence et rupture

L’article porte sur la question de la place des femmes dans la famille au sein des classes populaires dans la société française contemporaine et sur les évolutions qui ont affecté cette place au cours des dernières décennies. La littérature sociologique et historiographique a mis en évidence, de longue date, des caractéristiques récurrentes de cette place dans les classes populaires des dix-neuvième et vingtième siècles. Les monographies réalisées dans le cadre du projet « Le populaire aujourd’hui » permettent d’examiner ce qu’il en est dans l’actuelle société française. Elles font apparaître des transformations importantes, tant dans les modes de fonctionnement des couples que dans les aspirations des femmes, signe que les membres des milieux populaires d’aujourd’hui sont loin de ne faire que reproduire leurs modes de vie traditionnels. Ces transformations coexistent avec des continuités, que les données font également apparaître. L’article fait le point sur ces changements et ces permanences, et examine comment, sous l’effet de ces différents phénomènes, se dessine aujourd’hui la place des femmes dans les familles populaires.

Vanessa Stettinger

Mère « je fais tout ». Des pratiques éducatives populaires en tension

Dans les ménages appartenant aux fractions médianes et stabilisées des classes populaires, les tâches relatives à l’éducation des enfants sont prises en charge de façon presque unilatérale par les femmes, qui se voient dans certains cas obligées de mettre en retrait leur vie professionnelle. Ces femmes sont ainsi les premières responsables de la transmission des normes éducatives sensées à faire réussir leurs enfants : le cadrage des heures du coucher, une alimentation saine, le suivi des devoirs, la gestion des activités extra-scolaires. Mais ces normes étant issues des classes dominantes, leur mise en place revêt un coût pour elles, rappelant le décalage entre les normes et les ressources dont elles disposent pour les mettre en place. C’est lors des moments où elles se rapprochent des pratiques populaires qu’elles soufflent et retrouvent des moments plus heureux en famille.

 

N°40/2018 Ménages populaires

Parcours
Pinar Selek, une vie d’exil

 

Catherine Achin et Sandrine Lévêque

Mind the Gap ! De la variable sexe au genre des comportements électoraux

Cet article propose un retour critique sur les analyses consacrées au gender gap électoral au sein des démocraties occidentales. Il plaide pour une prise en compte globale des effets du genre sur les comportements politiques, interrogeant les conditions de reproduction d’un rapport différent des femmes et des hommes à la politique. Il dessine quelques pistes théoriques et méthodologiques consistant à adopter une posture réflexive sur les méthodes et les relations d’enquête, à travailler les ancrages sociaux et les sens du vote, à analyser les processus continus de socialisation politique et l’imbrication du genre avec d’autres rapports sociaux de pouvoir.

 

Martin Baloge et Marie-Ange Grégory

Le vote à l’épreuve du couple

L’analyse des processus de socialisation se concentre généralement sur les relations entre parents et enfants ou au sein de groupes de pairs. Dans cet article, nous étudions ces processus au sein du couple en décryptant ce que le couple fait au vote et inversement. L’étude s’appuie sur des matériaux quantitatifs, tirés d’un questionnaire administré à la sortie des urnes lors de l’élection présidentielle de 2017 et sur des entretiens réalisés lors de quatre vagues auprès d’individus en couple hétérosexuel. L’influence du couple dans la formation des opinions politiques doit être pensée en relation avec d’autres variables (en particulier, la classe, l’âge et l’héritage politique) et étudiée dans son environnement en prenant en compte les réseaux de chaque conjoint dans une perspective dynamique en termes de « carrières ».

 

Lorenzo Barrault-Stella, Clémentine Berjaud et Safia Dahani

Les pratiques électorales entre classe, genre et race

Cet article analyse intensivement les pratiques électorales de trois femmes des classes populaires racisées en 2017. Mobilisant des observations dans le quartier et des entretiens répétés avant, pendant et après la séquence électorale, l’analyse localisée au sein d’un quartier très ségrégué restitue leurs votes contrastés dans leurs conditions de production en donnant à voir le poids des appartenances de classe, de genre et des rapports sociaux de race. Bien que ces trois femmes vivant dans le même contexte résidentiel votent pour des candidats politiquement très divers (des candidats du Front national à ceux du Parti socialiste), dans les trois cas, leurs positions relatives au sein des classes populaires locales, leur condition de femmes et leurs relations intra-familiales comme leurs appartenances ethno-raciales (et religieuses) sont intriquées pour expliquer non seulement leur mobilisation électorale statistiquement improbable, mais aussi la variabilité de leurs pratiques de votes qui est tendanciellement indexée à des rapports sociaux différenciés et conflictuels au sein du quartier.

 

Sophie Bernard

Autonomie masculine, précarité féminine.

Les représentant·e·s de commerce face au salaire à la commission

Cet article se focalise sur le cas des représentant·e·s de commerce payés à la commission. Ces salariés ont pour spécificités de bénéficier d’une forte autonomie et d’être soumis à une incertitude salariale qui tendent à les rapprocher des travailleurs indépendants. En découlent des pratiques professionnelles et un rapport au travail distincts entre hommes et femmes. Alors que les premiers voient l’autonomie au travail comme une opportunité de s’investir intensément au travail dans le but de gagner des salaires élevés pour assurer leur promotion sociale, les femmes s’en saisissent quant à elles pour « concilier » vie professionnelle et vie familiale, ce qui leur permet un maintien et un retour en emploi. Ces différences reposent sur des « arrangements de couple » qui participent in fine au renforcement des inégalités de genre, confortant les hommes dans le statut de « Monsieur Gagne-pain » et les femmes dans celui de « Madame Gagne-petit ».

 

Christèle Marchand-Lagier

Le vote des femmes pour Marine Le Pen.
Entre effet générationnel et précarité socioprofessionnelle

Le vote des femmes en faveur du Front national s’est-il banalisé ? Qu’a-t-il de singulier ? Quelles sont les femmes qui accordent leur préférence à Marine Le Pen ? Cet article s’appuie sur le traitement de questionnaires à la sortie des urnes, recueillis dans le cadre de l’enquête ALCoV[i], lors du deuxième tour de la Présidentielle 2017. Ces données sont mobilisées pour questionner la disparition d’un « radical right gender gap » au profit d’un « gender generation gap » qui expliquerait la propension supposée plus forte des jeunes femmes à choisir la candidate d’extrême-droite. Au-delà de l’âge et du sexe néanmoins, c’est aux différents temps de la vie des femmes qu’il convient de s’intéresser pour analyser en quoi, encore plus fréquemment que les hommes, dépendantes de leurs environnements familiaux, sociaux et professionnels, elles peuvent choisir le Front national (fn). Cette capacité d’attraction du fn auprès de ces catégories qui restent néanmoins les moins participantes est sans doute une des raisons de ces échecs répétés aux élections.

 

Janine Mossuz-Lavau

Travail, genre et vote

Pionnière des analyses genrées du vote, Janine Mossuz-Lavau revient sur son parcours de recherche et son investissement dans cette thématique depuis ses travaux sur le vote des femmes au Cevipof (Centre de recherches politiques de Sciences Po) avec Mariette Sineau.

 

Mathieu Trachman

L’ordinaire de la violence. Un cas d’atteinte sexuelle sur mineure en milieu artistique

L’ordinaire est un thème souvent mobilisé dans les études sur les violences de genre. À partir d’un cas d’atteinte sexuelle sur mineure, cet article a pour objectif d’en préciser les enjeux. Il montre en premier lieu que la notion d’ordinaire, qui signifie souvent ce qui est commun à toutes les femmes, gagne à voir son périmètre précisé : dans le cas analysé, le travail artistique, sa dimension vocationnelle, la personnalisation des relations entre professeur et étudiante, les coûts d’entrée dans le métier pour les femmes sont des éléments déterminants. Dans les études féministes, l’ordinaire désigne également les faits de violence qui caractérisent la vie quotidienne des femmes. En distinguant faits, situation et qualification, l’article montre que la qualification de violence implique un sentiment d’anormalité et une réflexivité largement absents dans les situations de violence de genre. Ce hiatus explique l’incertitude souvent inhérente à la qualification de violence et le caractère rétrospectivement énigmatique des situations de violence. L’ordinaire de la violence désigne ainsi moins une évidence occultée qu’un registre de l’expérience où les abus et les agressions sont intégrés dans le cours des choses et normalisés par les protagonistes.

[i] Projet ANR ALCoV – Analyses Localisées Comparatives du Vote : défiance, abstention et radicalisation politique dans la France contemporaine.

N°37/2017 Sans enfant

Parcours
Jenny Jones, une pilote aux commandes

 

Anne Gotman

Le choix de ne pas avoir d’enfant, ultime libération ?

Dans une majorité de pays avancés, le nombre d’hommes et de femmes sans enfant accuse une certaine augmentation, en tout cas si l’on raisonne à court terme. Parmi eux, on s’intéressera à ceux qui se déclarent volontairement sans enfant. On se demandera quel est leur profil sociologique, quelles peuvent être leurs motivations et à quelles explications donner de ce phénomène. On montrera également qu’il s’accompagne d’une revendication de légitimation fondée sur la liberté de choix et l’égalité de traitement entre parents et non parents.

Nassira Hedjerassi

Audre Lorde, l’outsider. La formation d’une poétesse et intellectuelle féministe africaine-américaine

Cet article porte sur Audre Lorde, une poétesse et une figure emblématique de l’histoire des luttes et des pensées féministes et lesbiennes africaines-américaines du XXe siècle. Je cherche à comprendre à partir de son enfance et de sa jeunesse comment elle s’est construite comme intellectuelle, dans le contexte étatsunien marqué par un système ségrégationniste limitant l’accès des populations noires de manière générale – et des femmes noires en particulier – à un certain nombre de droits, à l’éducation, au travail (en particulier aux emplois qualifiés et aux professions intellectuelles supérieures). En m’appuyant sur un matériau (auto)biographique, je m’attache à éclairer son parcours de formation, le situant dans son contexte socio-historique, selon une grille de lecture articulant l’ensemble interconnecté des rapports sociaux à l’œuvre (classe, race, sexe).

Michaela Kreyenfeld et Dirk Konietzka

Un enfant ou un emploi ? Dilemme des Allemandes de l’Est et de l’Ouest

En Allemagne de l’Est, avant la réunification, moins de 10 % des femmes n’avaient pas d’enfants, tandis qu’en Allemagne de l’Ouest leur nombre avait augmenté régulièrement pour atteindre plus de 20 %. Cet article s’intéresse à cette évolution divergente en s’appuyant sur les données d’un micro-recensement. Il étudie les politiques sociales qui ont influencé l’emploi des femmes et les modèles familiaux avant la réunification. Il aborde aussi d’autres tendances et réformes plus récentes, et notamment le développement de l’accueil des jeunes enfants et la réforme de l’allocation de congé parental en 2007. Si les modèles familiaux et les régimes d’emploi ont eu tendance à s’aligner dans l’Est et l’Ouest de l’Allemagne réunifiée, des différences de comportement subsistent. Aujourd’hui encore, il est plus courant pour une femme de ne pas avoir d’enfants dans l’Ouest que dans l’Est du pays. En outre, les femmes est-allemandes travaillent en règle générale à temps plein, tandis que le taux de mères ouest-allemandes qui travaillent à temps plein n’augmente que progressivement.

Véronique Marchand

Faire les marchés : commerçant·e·s à La Paz et à Roubaix

La confrontation de deux enquêtes ethnographiques sur les marchés menées l’une à La Paz, l’autre à Roubaix, illustre comment la question des rapports sociaux de sexe s’insère dans un ensemble complexe d’identifications ethniques, professionnelles et de genre qui prenne en compte la génération et le niveau d’instruction. À La Paz, les marchés sont occupés presque exclusivement par des femmes d’origine migrante souvent analphabètes et responsables du budget familial ; la masculinisation du commerce de rue à partir des années 1980 s’accompagne d’une volonté des femmes de préserver leur quasi-monopole. À Roubaix, on trouve une grande majorité d’hommes d’origine nord-africaine exclus du marché du travail salarié. Les femmes très minoritaires sont non diplômées et le plus souvent seules responsables du budget familial. Dans les deux cas, le marché se révèle être une forme de travail non salarié permettant l’émancipation des femmes vis-à-vis des hommes

Helen Peterson

« Je ne serai jamais femme au foyer ». Le refus d’avoir des enfants en Suède

On a coutume d’expliquer la décision que prennent certaines femmes de ne pas avoir d’enfants par les inégalités existantes entre les hommes et les femmes dans le partage des tâches domestiques et parentales, et par des considérations liées à la carrière professionnelle des femmes. Cet article cherche à comprendre si la perception des inégalités de genre sur le marché du travail et dans la sphère privée peut être l’une des raisons sous-jacentes motivant le refus de maternité chez certaines femmes, dans l’une des sociétés au monde, la Suède, où l’égalité femmes-hommes est pourtant la plus avancée. Il se fonde sur une série d’entretiens menés avec des Suédoises qui ont choisi de ne pas avoir d’enfants pour analyser la manière dont elles font le lien entre leur décision et l’inégalité de genre dans leur société, dans le cadre professionnel et familial, et dont le défaut d’égalité a influencé leur refus de maternité. Pour les femmes interrogées, la maternité menace leur égalité de statut sur le marché du travail ainsi que leurs relations avec les hommes.

 

 

N°38/2017 La gestation pour autrui en débat

Parcours
Souad Triki, une féministe pour la démocratie en Tunisie

 

Affirmation et contestation du genre dans les lycées professionnels

Séverine Depoilly

A partir des données d’une enquête ethnographique conduite dans trois lycées professionnels de proches banlieues parisiennes relativement ségréguées et paupérisées, cet article se propose d’analyser la manière dont s’agencent, dans les espaces scolaires, les relations entre pairs du même sexe et du sexe opposé. Nous montrerons d’abord que ces relations sont conditionnées par un jeu d’assignations identitaires genrées rappelant les filles et les garçons à un ordre du genre traditionnel. Puis, nous considérerons, à partir de situations de terrain en plusieurs points similaires, certaines des formes, même partielles, de déplacement, de renversement, de subversion de cet ordre du genre notamment mobilisées par les filles.

Genre et pratiques journalistiques dans la presse VTT

Mélie Fraysse et Christine Mennesson

Cet article s’intéresse aux différentes façons de faire le genre dans un contexte où la domination masculine s’exerce pleinement, celui de la presse spécialisée de Vélo Tout Terrain (VTT). En mobilisant les concepts de « régime de genre » et de « masculinité hégémonique » [Connell, 1983 ; 1987], il s’agit d’analyser les différentes formes de masculinités et de féminités « journalistiques » présentes au sein des rédactions des magazines de VTT, mais également d’étudier les conditions sociales qui prévalent à leur construction. Si le régime de genre étudié valorise la masculinité hégémonique et  l’emphasized feminity, certains enquêtés adoptent cependant des pratiques professionnelles qui questionnent ces modèles de genre. Les modes de socialisation professionnelle jouent un rôle central dans ce processus.

 

L’acceptabilité morale de la gestation pour autrui.

Les enseignements de la gestation pour soi au service de plus de justice

Marlène Jouan

Le débat sur la gestation pour autrui, où règne bien souvent la plus grande confusion, clive au moins autant les féministes que celui sur la prostitution. Cet article se concentre sur l’argument de l’autonomie des femmes convoqué dans ce débat, et se propose d’interroger la gestation pour autrui à l’aune du raisonnement moral qui légitime l’interruption volontaire de grossesse, non contestée. À cette fin, nous nous appuyons essentiellement sur la littérature anglophone et analysons la gestation pour autrui en tant que travail de care. L’article montre que l’évaluation de son acceptabilité morale requiert de recourir à une notion complexe de responsabilité, susceptible à la fois de relever le défi de la domination de genre qui contraint nos représentations de la maternité, de reconnaître le risque d’aliénation qui pèse sur la gestatrice, et enfin de prendre en charge les relations structurelles d’injustice qui informent la pratique transfrontalière de la gestation pour autrui.

 

Le bal dans l’Espagne franquiste : le jeu de l’amour mais pas du hasard

Laura Nattiez

Si, à première vue, le bal peut être associé à un moment de festivité frivole pour la jeunesse, il est, en fait, un espace de mise en scène particulière du soi qui offre un angle fécond d’analyse des normes de comportements genrées et du fonctionnement du marché matrimonial de la première moitié du XXe siècle. En récoltant des récits de vie dans différentes régions espagnoles, nous avons été surprise de constater que toutes des femmes nées dans les années 1930 évoquaient cet événement en se remémorant leur jeunesse. L’étude des entretiens révèle que le bal est le premier espace de contact mixte afin de permettre la rencontre entre les futurs conjoints. Compte tenu de l’enjeu, l’attitude des jeunes femmes est strictement normée et contrôlée par le personnage incontournable du chaperon.

 

Discriminations envers les homosexuel·le·s dans le monde du travail en Suisse

Lorena Parini et Anouk Lloren

Cet article est issu d’une recherche effectuée en Suisse en 2014-2015 portant sur les discriminations que subissent les personnes homosexuelles dans le monde du travail. A partir d’un questionnaire diffusé par internet, les auteures analysent les formes et les fréquences de l’homophobie ainsi que l’impact de différents facteurs sociaux comme l’âge, la visibilité ou le milieu de travail (plutôt masculin, féminin ou mixte) sur les divers types de discrimination. Les résultats montrent que ces discriminations sont une réalité vécue par une grande partie des homosexuel-le-s en Suisse sous forme de stigmatisations verbales, mises à l’écart, harcèlement moral et sexuel, notamment. Les résultats sont ici interprétés dans une perspective de genre ce qui permet de mettre en lumière l’importance des normes de genre dans les comportements homophobes.

 

Directeurs artistiques et administratrices : une distribution sexuée des rôles dans les compagnies de théâtre indépendantes

Serge Proust

Les administratrices culturelles assument des tâches essentielles permettant la viabilité matérielle des (petites) entreprises artistiques mais leur travail reste massivement invisible. Ces femmes sont inscrites dans un lien de subordination avec des directeurs artistiques, la plupart du temps des hommes, qui combinent légitimité artistique et autorité sociale. Alors que leurs multiples tâches continuent d’être perçues à travers le prisme de l’activité domestique, elles se conforment aux exigences des champs artistiques dont celles qui conduisent à la confusion des temps et des espaces sociaux. Mais, elles ne bénéficient pas des mêmes gratifications matérielles et surtout symboliques monopolisées par les artistes. C’est pourquoi, tout en étant conduites à accepter une série de compromis, les administratrices tendent à réintroduire les règles et les principes de la société salariale.

 

Pourquoi la gestation pour autrui dite « éthique » ne peut être

Martine Ségalen

Constatant les dérives des pratiques de la grossesse pour autrui, des chercheurs, des particuliers, des groupes militants plaident pour sa régulation, en évoquant une GPA « éthique » ou « altruiste », d’où toute relation commerciale serait exclue. Cet article  analyse les causes du développement de la pratique, les cadres sociaux qui sous-tendent les discours  des mères qui portent des enfants pour le compte d’autrui, les termes qui sont désormais employés afin de les faire disparaître en tant que mères et montre les effets de la mise en place d’un marché mondialisé de la procréation pour autrui. Au nom du refus de l’instrumentation  du corps féminin et de la marchandisation de l’enfant, il montre que ce qui est « éthique »,  c’est l’abolition universelle de la pratique.

N°36/2016 La prouesse et le risque

Parcours
Claire Gibault, cheffe d’orchest

 

Antoine Duarte et Isabelle Gernet

Héroïsme et défenses contre la souffrance chez les pisteurs/pisteuses secouristes

S’appuyant sur une recherche clinique en psychodynamique du travail initiée à la suite de l’accident mortel d’un pisteur secouriste dans une station de ski, cet article interroge les liens entre les défenses collectives structurées par la virilité et la lutte d’une femme pour défendre son identité. Selon les auteurs, ces liens ne peuvent s’entendre qu’à travers une mise en évidence des processus psychiques mobilisés dans la confrontation du sujet aux contraintes du travail. Pour ce faire, ils discutent le cas d’Alexandra, seule femme à exercer ce métier à risque dans un collectif d’hommes.

 

Angèle Grövel et Jasmina Stevanovic

Attention : Femmes à bord !

Risques et périls de la féminisation de la profession d’Officier de la Marine marchande

La profession d’Officier de la Marine marchande est considérée et vécue comme une profession à risques. La navigation sur les navires de commerce présente deux grandes classes de dangers : les premiers sont générés par la mer, élément imprévisible par excellence ; les seconds procèdent de l’immersion prolongée d’un équipage dans un espace clos et restreint. La composition exclusivement masculine des équipages constituait jusqu’à récemment une autre caractéristique de la profession. La récente féminisation est tantôt considérée comme un outil du maintien de l’ordre du genre et tantôt perçue comme une menace à maîtriser. À partir de deux enquêtes réalisées auprès d’Officier-e-s, cet article se propose d’interroger les usages et les effets de la féminisation sur les rapports et les conduites à risque à bord des navires.

 

Florence Legendre

Devenir artiste de cirque : l’apprentissage du risque

Le risque occupe une place centrale dans les activités de cirque, notamment parce qu’elles engagent l’intégrité corporelle des artistes. Les activités physiques dites à risque s’appuient sur des valeurs et des normes éminemment masculines or le cirque est tout à la fois un espace relativement mixte et nettement genré, il apparait alors pertinent de s’interroger sur les expériences d’apprentissage des rapports au risque, comme principes organisateurs de la socialisation professionnelle des accédants et des accédantes. Comment devient-on artiste de cirque au regard de ces risques professionnels ? Les étudiant(e)s engagent tout au long de leur cursus de formation un travail biographique d’ajustement autour de trois objets de socialisation qui émergent de leurs narrations : (re)définir les risques professionnels, apprendre à gérer les risques corporels et construire une posture d’artiste de cirque.

 

Alain Chenu et Olivier Martin

Le plafond de verre chez les enseignants-chercheurs en sociologie et démographie

La féminisation de l’enseignement supérieur français va croissante : la discipline « sociologie, démographie » illustre bien cette évolution puisqu’en 2012 44 % des enseignants chercheurs en « sociologie, démographie » sont des femmes alors que ce taux ne s’élevait qu’à 24 % en 1984. Pourtant, cette féminisation croissante cache la persistance d’un plafond de verre. Cet article en montre l’existence et cherche à l’expliquer. A cet effet, la carrière des enseignants-chercheurs est analysée étape par étape (qualification, accès au corps des maîtres de conférences, éventuelle qualification comme professeur, accès éventuel à ce corps) à l’aide de données individuelles concernant la période 1984-2013. Si l’accès au corps des maîtres de conférences ne semble pas (ou plus) être entaché d’une inégalité défavorable aux femmes, ce n’est pas le cas de l’accès au corps des professeurs : le plafond de verre se situe sur le chemin qui mène les maîtres de conférences au statut de professeur.

 

Juliette Rennes

Cochères parisiennes, le risque en spectacle

A Paris, le 21 février 1907, plusieurs dizaines de photographes et de journalistes se bousculent pour être les premiers clients de deux premières femmes cochers de Paris. Dès 1906, les cochères, alors en apprentissage, suscitaient déjà maints reportages et devenaient des personnages de fiction dans les spectacles de revue, les dessins satiriques, les premiers films des sociétés Pathé et Gaumont. Cet article confronte cette prolifération d’archives visuelles et médiatiques sur « la femme cocher » à des archives d’état civil, du recensement, de la statistique municipale et de la préfecture de police pour enquêter sur le processus par lequel ces femmes, souvent issues des classes laborieuses rurales, accédèrent à une corporation perçue comme masculine par sa composition statistique et son identité sociale. Le risque et la prouesse mis en scène dans ce spectacle des femmes cochers, essentiellement destiné à divertir un public bourgeois, sont alors confrontés à ce que risquaient effectivement ces travailleuses particulièrement visibles et exposées dans l’espace parisien, en tant que femmes minoritaires dans un métier masculin.

 

Denis Ruellan

Reportères de guerre

Cette étude interroge l’effectivité de la féminisation du reportage journalistique sur les terrains de conflits, la résistance du mythe de la masculinité de cette activité, la persistance de rôles différenciés et des assignations genrées, et le solde des engagements et des bénéfices en termes de carrières professionnelle et personnelle. S’il apparaît que désormais les reporters de guerre sont souvent des femmes, la dynamique du genre, processus de différenciation et de hiérarchisation des identités, demeure à l’œuvre, pénalisant les femmes. Cette étude, appuyée sur une connaissance historique du journalisme et du reportage, est issue d’une enquête par entretien auprès d’une vingtaine de reporters en France.

 

N°35/2016 Femmes dirigeantes

Parcours
Liu Lu, tourments quotidiens d’une ouvrière paysanne chinoise

 

Anne-Françoise Bender, Rey Dang et Marie José Scotto

Les profils des femmes membres des conseils d’administration en France

Dans cet article, nous étudions les variables indicatrices du capital humain et du capital social des femmes et des hommes membres des conseils d’administration des sociétés du SBF[i] 120 en 2013, soit deux ans après la promulgation de la loi sur les quotas. En nous appuyant sur des recherches antérieures réalisées en France et aux Etats-Unis, nous comparons les profils démographiques, d’éducation et d’expérience professionnelle entre les 1250 femmes et hommes membres des conseils du SBF 120 en 2013. Nos résultats montrent que les femmes ont des parcours de formation et professionnels qui se rapprocheraient de ceux des hommes, au vu d’une étude similaire que nous avions réalisée sur des données de 2010. Des différences persistent néanmoins entre hommes et femmes, quant à la nature de l’expérience professionnelle et aux types de mandats exercés. Les explications et conséquences possibles de ces résultats sont discutées dans l’article.

[i] Indice de la Société des bourses françaises.

 

Sophie Boussard

Celles qui survivent : dispositions improbables des dirigeantes dans la finance

Etre une femme dirigeante dans le métier financier des fusions-acquisitions est le résultat d’un double exploit : être rentrée et restée dans un métier explicitement étiqueté comme masculin et y avoir atteint les positions les plus hautes. Cet article interroge cet exploit, à partir d’une large enquête combinant une base de données des acteurs intervenus en fusions-acquisitions en 2010, des entretiens biographiques et des observations du travail. Il montre comment l’ethos professionnel du groupe, explicitement masculin, agit comme clôture en restreignant l’accès des femmes aux positions dirigeantes. Ce dernier correspond dès lors à la combinaison assez improbable de dispositions qui leur permet une adaptation à cet ethos professionnel masculin.

 

Alban Jacquemart, Fanny Le Mancq et- Sophie Pochic

Femmes hautes fonctionnaires en France, l’avènement d’une égalité élitiste

Portées par la diffusion d’une « grammaire paritaire », des politiques d’égalité professionnelle se sont récemment développées dans la fonction publique. A partir d’une enquête dans des services de Bercy, cet article met en évidence les opportunités sélectives de promotion offertes par le tournant élitiste de ces politiques : une petite minorité de femmes, homogènes socialement, souvent énarques, peut réussir à percer le plafond de verre, à condition de faire leurs preuves de leur dévouement à l’administration, au management public et d’accepter des postes chronophages ; dans le même temps, les réformes de l’Etat et la compétition renforcée pour les postes fragilisent les possibilités d’ascension professionnelle de femmes cadres dans les services déconcentrés, non énarques et issues de milieux sociaux moins favorisés.

 

Morgane Kuehni

Les miettes du salariat : l’engagement au travail des sans-emploi                             

Basé sur une enquête empirique auprès de chômeurs et chômeuses assigné-e-s à un programme d’emploi temporaire en Suisse romande, l’article questionne les raisons évoquées pour « tenir le poste » dans une situation de travail aux marges du salariat. L’accès aux trajectoires biographiques et aux vécus permet de montrer que la dimension contraignante de ces mesures d’insertion professionnelle ne suffit pas à expliquer l’engagement au travail des sans-emploi : les raisons évoquées par les individus se déclinent toujours au pluriel, articulant des dimensions matérielles et symboliques. La mobilisation d’une perspective de genre met au jour les différents rapports de domination que subissent les femmes au chômage tant dans la sphère professionnelle, que privée. Elle permet de questionner les enjeux sexués qui sous-tendent leur engagement dans ce type de programmes, notamment la menace d’un renvoi vers l’inactivité.

 

Marion Rabier

Le ciel de plomb des organisations patronales

Cet article analyse la place des femmes dans l’espace de la représentation patronale. Après avoir présenté les mécanismes d’adhésion aux organisations patronales, le diagnostic de la place des femmes montre une forte sous-représentation des cheffes d’entreprise : qu’il s’agisse des mandats internes ou externes, elles se heurtent à un « ciel de plomb » et occupent moins de 15% des postes à responsabilité. Etablir la « preuve chiffrée » de la sous-représentation des femmes dans cet espace permet de saisir des éléments du fonctionnement de celui-ci, notamment dans les rapports de force pour l’accès à certains mandats, et, plus largement, dans la division sexuée du travail de représentation patronale. Dans les organisations patronales, les tendances relevées pour les autres organisations politiques sont très marquées, les femmes étant cantonnées aux mandats sociaux et aux mandats les moins prestigieux. Des inégalités importantes, dont les organisations patronales semblent peu se préoccuper.

 

Hyacinthe Ravet

Cheffes d’orchestre, le temps des pionnières n’est pas révolu !

Si, de manière générale, la musique demeure le domaine le moins féminisé des métiers de la création et de l’interprétation artistique, la direction d’un ensemble symphonique représente un cas paroxystique. Les femmes chefs – les cheffes – d’orchestre restent particulièrement peu nombreuses. Surtout, elles ont du mal à se faire une place dans le milieu et à s’y faire reconnaître comme de véritables « chefs ». Etudier cet univers de pouvoir très hiérarchisé et très « masculin », qui résiste toujours à l’arrivée de musiciennes, permet ainsi de sonder les enjeux symboliques autour du pouvoir créateur. Cela permet d’interroger la manière dont le genre traverse les domaines de pouvoir, comme dans tous les univers de travail et d’apprentissage, et – paradoxalement ? – les domaines de la création. Cela permet aussi d’observer la manière dont le genre de pratiques très sexuées progressivement se métamorphose.

N°34/2015 Corps sous emprises

Parcours
Michèle Reverdy, composer à tout prix

 

Gilles Combaz et Christine Burgevin

La direction d’école en France

En France, depuis le début des années 2000, un certain nombre de mesures législatives ont été prises pour promouvoir l’accès des femmes à des postes de responsabilités dans la sphère professionnelle. Les données disponibles montrent que, pour l’instant, cet objectif est loin d’être atteint, notamment au sein de la fonction publique pour les postes d’encadrement supérieur. En revanche, les tendances ne semblent pas identiques pour l’accès à des postes moins prestigieux. À cet égard, il importe de vérifier si la direction d’école dans le premier degré représente une réelle opportunité pour les femmes. Pour ce faire, un triple dispositif méthodologique a été élaboré : une enquête exhaustive portant sur 22 départements français a permis de rendre compte de la répartition par sexe des différentes fonctions pouvant être exercées dans le premier degré ; une enquête nationale par questionnaire et une série de 28 entretiens ont été réalisés pour appréhender finement certains déterminants sociaux d’accès à la fonction de direction.

 

Delphine Gardey et Iulia Hasdeu

Cet obscur sujet du désir

Cet article s’intéresse à la conceptualisation de la sexualité féminine dans le monde occidental du milieu du xixe siècle à nos jours. Il retrace la façon dont les savoirs et les pratiques médicales rendent compte du désir féminin, de la sexualité féminine et de leurs défaillances ou dysfonctions. D’objets du désir, les femmes, un jour, deviennent sujets. Il devient possible de revendiquer le désir et le plaisir au féminin comme un fait, un bien et un droit. Les notions de « dysfonctions » ou de « défaillances » adviennent une fois la normalité du plaisir au féminin admise, c’est-à-dire après les années 1970. En opérant du passé au présent, il s’agit de revenir sur les formes de médicalisation de la sexualité et d’interroger certaines circularités discursives et pratiques. Il est aussi question de mettre en évidence la part attribuée à la biologie et à la culture, à la physiologie ou à la « psyché » dans la définition de la sexualité féminine dans l’espace occidental. Il s’agit également de situer et de caractériser le modèle biologique contemporain de la sexualité ainsi que la façon dont il contribue à définir la sphère tant intime que sociale.

 

Laura Piccand

Mesurer la puberté. La médicalisation de l’adolescence, Suisse 1950-1970

Entre 1954 et la fin des années 1970, une étude longitudinale sur la croissance et le développement de l’enfant dit normal a été menée à Zurich. Mesuré-e-s, photographié-e-s, radiographié-e-s, environ 300 garçons et filles de la ville de Zurich ont participé alors, et durant plus de vingt ans, à une des premières enquêtes de ce genre en Europe. Cet article montre comment cette étude est partie prenante de la création de normes genrées contemporaines autour de la puberté. Il évoque tout d’abord le contexte particulier d’émergence d’études qui participent d’une entreprise de description et surtout de mise en chiffre et en statistique du corps humain et de son développement. Puis, principalement à travers l’exemple de deux artefacts permettant l’évaluation de la puberté, les stades de Tanner et l’orchidomètre de Prader, il discute la façon dont ce type de recherches contribuent à la production de la puberté comme objet scientifique et médical et à l’établissement des normes de développement, participant à la surveillance des corps reproductifs.

 

Chikako Takeshita

Biopolitique du stérilet. Stratégies au Sud

En s’appuyant sur des exemples d’utilisation du stérilet en Chine, au Vietnam, en Indonésie, au Bangladesh, au Tadjikistan, en Ouzbékistan et au Nigeria, cet article s’intéresse aux multiples manières dont les femmes des pays du Sud sont parvenues à conquérir une capacité d’agir en matière reproductive en adoptant ou en refusant ce dispositif contraceptif. Les objectifs et les comportements reproductifs de ces femmes sont influencés par une série de pressions concurrentes émanant de la famille, de la situation économique et des rôles sociaux de sexe, ainsi que par les valeurs patriarcales dominantes et les politiques gouvernementales néo-malthusiennes. Parce qu’il est un dispositif contraceptif durable, contrôlé par le fournisseur, aisément réversible et discret, le stérilet a été défendu par les acteurs féministes comme antiféministes. Cet article met en lumière des cas individuels dans lesquels ce dispositif contraceptif a joué un rôle-clé pour permettre à des femmes de maîtriser davantage leur vie reproductive là où leur capacité d’agir était strictement limitée.
Michela Villani

Le sexe des femmes migrantes. Excisées au Sud, réparées au Nord

Originellement définie comme un problème de santé publique, l’excision du clitoris devient à partir des années 2000, l’objet d’une politique de réparation de la sexualité. La généalogie de ce nouveau crime (les mutilations sexuelles) et la naissance d’un nouveau handicap (une sexualité sans clitoris) sont ici explorées dans une perspective postcoloniale qui fait dialoguer les environnements cognitifs d’« ici » et de « là-bas ». Le passage d’une normalité sociale encadrée dans un rituel (l’excision) acquiert la forme d’une anomalie corporelle (mutilation), voire d’une anormalité sexuelle (handicap). Cet article rend compte des expériences personnelles et sexuelles des femmes migrantes et des filles de migrants d’origine d’Afrique subsaharienne, vivant en France et ayant formulé une demande de reconstruction clitoridienne auprès d’un service hospitalier français. Les trajectoires de ces deux groupes sont étudiées dans un contexte de globalisation qui tient compte des dynamiques migratoires : la médecine s’impose à l’intérieur d’une circulation des savoirs et prend la forme d’une justice procédurale apte à réaliser l’égalité dans les modèles de genre au travers d’une réparation corporelle et sexuelle.

 

Marilène Vuille

L’invention de l’accouchement sans douleur en France, 1950-1980

La méthode psychoprophylactique d’accouchement sans douleur, développée en Union Soviétique, a été introduite en France au début des années 1950 par des médecins proches du Parti communiste français. A son objectif médical – supprimer la douleur sans recours à des moyens pharmacologiques, en apprenant aux femmes à accoucher – était couplé l’objectif politique de participer à l’avènement d’une société socialiste. En dépit de ses hautes ambitions, cette méthode ne s’appuyait pas sur des technologies de pointe, mais sur des techniques modestes et sur des dispositifs usuels. Ces techniques ne lui ont permis d’atteindre ni son objectif médical (éradiquer la douleur) ni son objectif politique (changer la société). Elles ont par contre déployé des effets importants et durables, en renforçant l’autorité professionnelle sur les femmes enceintes et les acculturant aux pratiques médicales. L’étude de l’accouchement sans douleur permet ainsi de repenser l’histoire de la naissance au-delà de l’opposition classique entre, d’un côté, des instruments, des technologies et des produits pharmacologiques jugés responsables de la médicalisation de la naissance et de l’instrumentalisation du corps des femmes, et, de l’autre, des techniques peu instrumentées, plus « naturelles », censées présenter une alternative à la médicalisation et respecter l’autonomie des femmes.

 

N°33/2015 Le genre, la ville

Parcours
Estrella, une migrante à Buenos Aires

Stéphane Le Lay
Être éboueur-e à Paris

Le métier d’éboueur-e à Paris, bien que classé dans la catégorie d’ouvrier non qualifié, ne peut être compris sans l’analyse de dimensions mal prises en compte dans les qualifications profes­sionnelles, alors qu’elles renseignent le « drame social du travail » d’activités enserrées dans le cadre du service (au) public. Pourtant, ces dimensions relationnelles et affectives font l’objet d’une attention renforcée de la part de la municipalité, sous l’effet de deux grandes dynamiques politiques. La première est liée au re­cru­tement de femmes, ouverture ayant entraîné des change­ments dans le travail. La seconde provient d’un renforcement des exi­gences en matière de nettoiement : il est attendu de la part des agents une meilleure qualité de service et une attention plus mar­quée à l’« image de la ville ». Ainsi, le métier d’éboueur-e interroge à sa manière le processus de déségrégation de la classe ouvrière, formant une figure d’« ouvrier-e de service » typique des classes populaires actuelles.

Sophie Louargant
Penser la métropole avec le genre

Les questions urbaines et territoriales n’offrent pas assez réguliè­rement la place au débat sur les approches de genre. Usuellement associée à un débat sociétal, la question du genre n’aurait donc pas sa place dans la conceptualisation du fait urbain et métropolitain, du moins dans la conception hexagonale à la fois réflexive et opé­ra­tionnelle des politiques territoriales et urbaines. La manière dont « on prend place », dont on est autorisé à prendre cette « place » dans les formes d’urbanités contemporaines montre que les ques­tions de genre s’inscrivent dans l’histoire des luttes urbaines so­ciales, mais aussi dans une action publique contemporaine portée par les idéologies du bien-être urbain, de l’écologie urbaine. Cet article retrace les effets concomitants des utopies féministes et écologistes dans le champ actuel de la conception urbaine. L’analyse des usages des espaces de nature dans l’agglomération de Grenoble explicite les effets de la conception androcentrée et hétéronormative des espaces de nature à la fois sur les usages, les représentations et la gestion de ces sites.

Maud Navarre
Prendre la parole en séance plénière

Cet article analyse les prises de parole des femmes et des hommes lors des séances plénières de trois institutions politiques locales. L’objectif est de saisir dans quelle mesure les modalités d’inter­vention orale, qui jouent un rôle central dans l’acquisition d’une légitimité pour exercer le métier d’élu, diffèrent selon le sexe grâce à l’observation des interactions, l’analyse quantifiée des prises de parole et des entretiens menés sur cet exercice oratoire. Les coûts de la prise de parole sont plus élevés pour les femmes que pour les hommes. Ces différences sont accentuées dans les assemblées mix­tes. Les plus grandes difficultés des femmes les conduisent à mobi­liser des comportements alternatifs, variables selon l’expé­rience politique.

Yves Raibaud
Durable mais inégalitaire : la ville 

Cet article interroge des projets urbains qui semblent faire consen­sus
dans les villes européennes (pénalisation du trafic automobile intra-urbain, encouragement du deux-roues motorisé, du vélo et de la marche à pied, du tramway et des autres transports en com­mun, du covoiturage) du point de vue des inégalités femmes hommes, à partir d’une série de recherches menées sur l’ag­glo­mération urbaine de Bordeaux (France). L’analyse d’une enquête sur les mobilités montre en effet que les femmes seraient défavo­risées par ces mesures, aussi bien en raison des tâches qui leurs sont majoritairement dévolues (accompagnement des enfants, d­es personnes âgées, courses etc.), par le fait qu’elles ont une moins grande habileté dans les mobilités alternatives, ou par le sentiment de leur vulnérabilité dans l’espace public (crainte de l’agression dans certains quartiers et la nuit). A qui profite la ville durable ? Comment et où se décident ses nouveaux usages ? Comment se met­tent en place les changements de comportements nécessaires à cette transition vers une ville que ses promoteurs décrivent comme douce, calme, belle, apaisée ? Cet article pose l’hypothèse que les bonnes pratiques de la ville durable ressemblent fort à de nou­veaux habits de la domination masculine.

Lidewij Tummers
Stéréotypes de genre  dans la pratique de l’urbanisme

Traditionnellement, les projets d’aménagement de territoires « inclusifs » ciblaient des « groupes vulnérables », comme « élé­ment du décor » et non pas comme des acteurs. Dans  les années 1990, des chercheuses féministes européennes et des urbanistes ont développé de nouvelles méthodes pour pallier cette carence. L’évaluation de ces nouvelles approches de planification, fondée sur l’« approche intégrée de l’égalité », montre toutefois une prise en compte limitée du genre qu’il convient d’expliquer. Cette contribution examine, dans les professions du développement ur­bain, les stéréotypes liés au genre et les hypothèses qui peuvent renforcer les rôles de sexe dus au genre. Elle discute quatre types de stratégies dans les politiques intégrées d’égalité entre les sexes. Celles-ci mettent en évidence les effets des codes genrés dans la pratique, par exemple sur la densité, l’usage mixte des rues, mais aussi sur les questions des services, de la sécurité et de l’acces­sibilité. Par ailleurs, l’article met en lumière le potentiel des appro­ches sensibles au genre, tant comme force d’innovation pour la recherche en urbanisme que pour les relations entre dynamiques sociales et spatiales.

N°31/2014 Enseigner le genre

Parcours
Janine Caillot

Tania Angeloff et Céline Bessière, avec la participation d’Arnaud Bonduelle, Jéromine Dabert et Gaston Laval
Enseigner le genre: un métier de Pénélope

Cet article revient sur la pratique d’un enseignement du genre, introduit au niveau du Master 1 dans une université parisienne, Paris-Dauphine, spécialisée dans l’économie, la gestion et la finan­ce. Il a pour originalité de confronter les points de vue des deux enseignantes à l’origine de la création de ce cours d’introduction au genre en sociologie et de trois étudiant-e-s de la dernière promotion qui ont accepté de se prêter, avec réflexivité, à cet exer­cice rétrospectif qui pose la question suivante : que fait le genre aux étudiant-e-s ? Et inversement, que font les étudiants d’un enseignement comme celui du genre, dans le cadre d’une forma­tion en sciences sociales assez généraliste ? Loin d’un article théo­rique, il s’agit de partir de ces témoignages estudiantins concrets pour s’interroger sur la pédagogie du genre en sociologie, ses enjeux politiques et scientifiques, ses limites, sa (dé)légiti­mation. Dans cet écrit polyphonique, Tania Angeloff et Céline Bessière tentent de revenir sur leur pratique d’enseignantes du genre – pratique marginale, dans leur contexte institutionnel –, et de mettre en perspective les trois témoignages individuels des étudiant-e-s, dont l’un est très critique.

Xavier Cinçon et Agnès Terrieux
Remplacer les agricultrices: une histoire du congé de maternité en agriculture
L’histoire du congé de maternité est celle d’une politique sociale mise au service des intérêts masculins par l’entremise d’instru­ments d’action publique genrés. Le recours imposé aux services de remplacement agricole, foncièrement tournés vers le remplacement des exploitants masculins, s’est doublé d’une procédure subor­don­­nant l’utilisation de la prestation aux décisions du chef d’exploitation. Il en a résulté une captation opportuniste par l’exploitant de la main-d’œuvre salariée destinée au remplace­ment de sa conjoin­te, contribuant à exclure cette dernière d’une prestation lui étant dédiée, et fournissant des ressources de développement à l’activité de remplacement. À tel point que les services de rempla­cement se sont ensuite efforcés d’améliorer ce droit des agricultri­ces, en lieu et place des porte-parole féminines, dans le but de consolider une rente indispensable à leur professionnalisa­tion.

Ericka Flahault, Annie Dussuet et Dominique Loiseau
Emploi associatif, féminisme et genre
Le féminisme des années 1970 a débouché sur la création de réseaux associatifs aujourd’hui incontournables : Planning fami­lial, Centres d’Information sur les Droits des Femmes et des Familles, Fédération Nationale Solidarité Femmes. Ces réseaux, producteurs d’un service de défense et d’accès aux droits pour les femmes, rem­plissent une fonction de « service public », grâce à l’emploi de salariés qui sont essentiellement des femmes. A partir des résultats d’une enquête qualitative de type monographique auprès d’asso­ciations de ces réseaux, nous montrerons que, si l’on peut observer dans ces organisations des conditions d’emploi sou­vent précaires, il faut sans doute référer ces observations aux conditions d’emploi que rencontrent par ailleurs les femmes dans d’autres secteurs de l’économie. Autrement dit, il semble que, para­doxalement, ces organisations féministes reproduisent simple­ment des normes d’emploi structurées par le genre.

Nathalie Lapeyre
Un enseignement unique en son genre
Cet article vise à mettre en lumière quelques éléments de réflexion issus d’une expérience singulière d’enseignement du genre à l’université. La présente analyse d’un processus d’institutionna­lisation des études féministes s’ancre essentiellement au sein de la première formation professionnelle française sur le genre. Cette dernière est centrée sur la question de l’analyse des politiques sociales au prisme des rapports sociaux de sexe. Elle fut créée il y a une vingtaine d’années, par des collègues universitaires et profes­sionnelles, pionnières au sein d’un département de sociolo­gie. Tout en ne perdant pas de vue que le genre est bien plus qu’un enseignement, par sa portée scientifique, symbolique et politique, nous mettrons l’accent sur la genèse de cette histoire collective, les réalisations et les conquêtes dans un contexte d’opportunités, ainsi que les véritables défis à relever. Les effets sociaux de la mise en œuvre d’un Master professionnel, ou la place du genre en dehors de l’université, seront également abordés, au regard notamment de la dynamique actuelle autour des questions d’égalité hommes-femmes.

Michelle Perrot
Histoire des femmes, histoire du genre
Cet article rappelle qu’à Paris Diderot, dans les années 1970, la création des premiers cours sur les femmes a rendu nécessaires les premières recherches et les premières productions de savoirs, puis­que les femmes étaient absentes de l’histoire académique. Il fallait donc les rendre visibles et innover dans les sources et les méthodes pour créer des savoirs nouveaux. Très vite les chercheu­res sont passées de l’histoire des femmes à l’histoire du genre, affirmant qu’on ne peut pas faire l’histoire des femmes sans réfléchir à leur relation avec l’autre sexe. Ces historiennes ont dé­ve­loppé leurs recherches en lien avec les sociologues, avec les études anglo-américaines et avec les historiennes américaines, en particulier celles qui travaillaient sur le champ français. L’article témoigne du caractère enthousiasmant de cette époque pionnière.

William Poulin-Deltour
Que reste-t-il de nos cours sur le genre ?
En réfléchissant sur ma pratique pédagogique d’enseignant de Gender Studies
dans une petite université de Nouvelle-Angleterre, je reviens sur l’idée que les États-Unis seraient la Mecque mondiale des études sur le genre. Si ce champ d’études semble en effet prospérer ici, les apparences peuvent néanmoins être trompeuses. J’analyse les connaissances des étudiants américains sur le genre au début et à la fin de leurs cours de Gender Studies
. Mon expé­rience révèle que la plupart d’entre eux arrivent en classe avec une vision essentialiste d’un système de genre hétérosexuel et binaire, et que les abreuver de textes de Judith Butler et de Michel Foucault n’est pas le meilleur moyen de subvertir leurs idées reçues. Vers la fin de l’article, j’en arrive à la conclusion que c’est peut-être ma propre pédagogie qui doit évoluer, afin d’encourager les étudiants à enquêter eux-mêmes sur le genre, en exploitant des sources originales et contemporaines, pour qu’ils appréhendent non pas tant ce qu’est le genre que ce qu’il fait.

Muriel Salle
Formation des enseignants : les résistances au genre

La mise en place du programme de l’abcd de l’Egalité, en octobre 2013, dans un contexte de tension consécutif au vote de la loi sur le mariage dit « pour tous », a placé sur le devant de la scène média­tique des actions pédagogiques pour la promotion de l’égalité entre filles et garçons dans le système scolaire dont certaines sont pourtant déjà anciennes. Dans l’académie de Lyon, depuis plus de dix ans, les enseignants reçoivent une formation sur les problé­matiques de genre et d’égalité entre les sexes. Ces formations, globalement très bien accueillies, suscitent aussi parfois des résis­tan­ces, en dépit du fait que les enseignants en sont très deman­deurs d’une part, et qu’ils se déclarent très soucieux de promou­voir l’égalité filles/garçons et femmes/hommes d’autre part. C’est à l’analyse de ce paradoxe qu’est consacré cet article, qui veut pro­poser à la fois une typologie de ces résistances et des pistes de remédiation.

N° 32/2014 – Vues d’ailleurs
Parcours
Maïssa Bey, Lettres d’Algérie

Mathieu Caulier
Le prix de l’engagement. Salariées et militantes au Mexique

Suite aux conférences onusiennes du Caire et de Beijing (1994 et 1995), les normes « de genre » se sont affirmées comme part essentielle du discours démocratique occidental auquel le gouvernement mexicain a formellement souscrit. Face aux coûts de développement de nouvelles politiques « avec perspective de genre », l’état et les collectivités locales ont largement fait appel aux groupes de femmes et organisations féministes pour développer les nouvelles politiques publiques, imprégnées des normes internationales. Sociologues, psychologues, pédagogues et médecins, les salariées des ONG contribuent à développer des programmes publics qui sont principalement des programmes de santé mais aussi des programmes éducatifs portant sur l’éducation sexuelle. C’est parce que les salariées sont souvent des militantes que leur statut précaire est vécu sous le registre de l’engagement ; engagement que les pouvoirs publics utilise pour diminuer les coûts des programmes sociaux.

Yoann Demoli
Les femmes prennent le volant

Alors même que la diffusion de l’automobile a été investie par la sociologie dès les années 1970, les analyses demeuraient aveugles aux différenciations de genre. Pourtant, à cette date, les femmes sont alors largement à l’écart de cette massification. Or, l’appropriation par les femmes de l’automobile s’avère ambivalente, permettant de s’interroger sur le sens à donner à une possible convergence des pratiques de mobilité entre hommes et femmes. Si l’automobile a souvent été appréhendée comme un vecteur d’émancipation, elle peut s’avérer toutefois être un outil de la prolongation des rôles sexués au sein des ménages. De la même façon que les objets ménagers peuvent se trouver non pas émancipateurs mais intensificateurs du travail domestique, l’automobile devient peut-être le véhicule de l’extension du travail domestique. C’est à cette alternative que nous essaierons de répondre en analysant à partir des données issues des enquêtes Transports de l’INSEE menées de 1980 à 2008, la diffusion du permis de conduire et les logiques des usages de l’automobile chez les femmes.

Isabel Georges
Reconfiguration des politiques sociales au Brésil

Cet article propose une réflexion socio-historique sur le rôle de l’assistance dans l’état actuel de la démocratie au Brésil, en l’articulant avec la place des femmes au sein de ces « nouvelles » politiques sociales. Il analyse la mise en pratique de ces politiques au niveau local, à São Paulo, métropole la plus dynamique du pays. À partir d’une mise en perspective de l’organisation du secteur de l’assistance à São Paulo, l’analyse interroge les rapports entre les dilemmes qui se posent aux agents d’exécution lors de l’accomplissement de leur travail et la place de la mobilité sociale pour comprendre les avancées et les limites de ces « nouvelles » politiques sociales. Il s’agira de montrer comment l’acquisition de quelques avantages relatives en termes d’accès à l’emploi pour les unes, et l’accès, voire la promesse, d’une mobilité sociale ascendante relative pour les autres, rendent la généralisation du travail précaire socialement acceptable et justifient l’institutionnalisation de la discrimination par le biais de politiques publiques « d’inclusion », comme celles de l’assistance.

Manuella Roupnel-Fuentes
Souffrance au chômage

Longtemps les méfaits du chômage de masse ont été appréhendés par l’entremise du sujet masculin, les manières dont les femmes vivaient la privation d’emploi restant mal connues et peu étudiées. Dans cette recherche menée auprès d’hommes et de femmes licencié-e-s des usines fermées et non reprises de Moulinex en Basse-Normandie, apparaît la singularité féminine de l’expérience du chômage. En comparaison avec celle vécue par les hommes, la souffrance des chômeuses apparaît plus particulièrement marquée par la prévalence de troubles de santé, l’isolement social et l’enfermement domiciliaire et identitaire. Les hommes restent quant à eux plus souvent éloignés de ces sentiments en partie du fait de leurs plus grandes chances de réinsertion professionnelle mais aussi grâce à la meilleure préservation de leurs anciennes relations de travail. L’expérience du chômage n’est pas réductible à la seule privation d’emploi mais se présente clairement comme une rupture  touchant une multitude de domaines de la vie, notamment la santé, les relations et l’identité sociales.

Lucie Schoch et Fabien Ohl
Femmes dans le journalisme sportif en Suisse

Cet article présente les résultats d’une enquête socio-ethnographique au sein de la presse quotidienne sportive romande. Il révèle deux registres vocationnels au sein des journalistes de sport, dans un contexte de féminisation de ce groupe professionnel: là où les hommes évoquent une vocation pour le journalisme sportif, déclinée sur le mode de la passion sportive, les femmes revendiquent plus volontiers un amour de l’écriture et du journalisme. Ces vocations contrastées jouent un rôle fondamental dans les rapports de pouvoir entre les sexes au sein des rédactions sportives: en construisant la définition légitime de la profession autour de la passion du sport et en empêchant la conversion des femmes journalistes par ce modèle de socialisation professionnelle, elles assignent les femmes à des positions subalternes et les excluent des postes décisionnels au sein des rédactions.

Shi Lu
Figures de migrant-e-s en Chine

Cet article s’appuie sur un entretien avec une femme migrante à Yiwu dans la province du Zhejiang. Par le récit de vie d’une migrante commerçante, nous nous attacherons à mieux comprendre le phénomène migratoire d’une zone rurale vers une autre et de la campagne vers de petites villes. Le parcours migratoire et professionnel de cette femme migrante nous aidera aussi à comprendre comment les migrants cumulent et articulent leurs ressources économiques et sociales et utilisent leurs réseaux et compétences dans leur insertion économique et sociale.

N° 29, 2013 – Tenir au travail
Parcours
Maya Surduts

Jyothsna Latha Belliappa
« Elle était très extravertie »: harcèlement sexuel et bienséance féminine
Le secteur des nouvelles technologies en Inde a la réputation d’être très accueillant pour les femmes qu’il recrute. Il a mis en œuvre une politique assez progressiste en leur faveur et pris fermement position contre la discrimination et le harcèlement sexuel. Malgré l’existence de réglementations et de procédures, les cas de harcèle­ment sexuel n’ont pas disparu et demandent à être étudiés. Cet arti­cle s’appuie sur une enquête qualitative pour examiner les expé­­riences de femmes qui travaillent dans les nouvelles techno­logies en Inde ainsi que les réponses de l’encadrement aux plaintes pour harcèlement sexuel. L’analyse porte notamment sur la ma­nière dont les normes culturelles concernant le comportement des femmes peuvent influencer les réactions de la hiérarchie aux plain­tes pour harcèlement. L’article conclut que si l’adoption de régle­mentations peut constituer une étape décisive dans la création d’un environnement professionnel propice aux femmes, elle n’est pas toujours suffisante pour contrebalancer les effets d’une culture androcentrique, tant sur les réactions de la hiérarchie que sur celles des victimes elles-mêmes.

Sandrine Caroly, Marie-Eve Major,
Isabelle Probst
et Anne-Françoise Molinié

Le genre des troubles
musculo-squelettiques


Cet article porte sur l’intérêt d’une analyse ergonomique de l’acti­vité pour comprendre la survenue de troubles musculo-sque­let­tiques liés au travail, ainsi que les stratégies développées par les travailleuses et les travailleurs afin de gérer leurs douleurs. Après un cadrage statistique, deux cas de recherche-intervention, l’un avec des hommes et des femmes dans le secteur de l’automobile et l’autre avec des femmes dans le secteur de l’agroalimentaire, met­tent en exergue des différences d’exposition selon la division sexuée du travail. L’intégration d’une approche tenant compte du genre en ergonomie apporte un nouveau regard sur le travail des unes et des autres et sur le corps souffrant au travail.

Marianne De Troyer, Guy Lebeer
et Esteban Martinez

La précarité des ouvrières

 du nettoyage en Belgique


Les conditions de travail dans le secteur du nettoyage sont pénibles et contraignantes ; elles résultent de la superposition des dérégulations introduites par le recours généralisé à la sous-traitance et au travail à temps partiel décalé qui touchent, particu­lièrement, les ouvrières du nettoyage. Cet article rend compte de réponses, encore rares et émergentes, aux inégalités de sexe et à la précarité du travail que produit l’organisation des chantiers dans ce secteur d’activité. Certaines de ces réponses peuvent être qualifiées de collectives car elles sont le fruit d’initiatives prises par les partenaires sociaux du secteur. En revanche, la dernière expérience présentée résulte d’une initiative individuelle et privée, fondée sur la connaissance et la prise en compte, par les respon­sables d’une entreprise de nettoyage, de la pénibilité des condi­tions de travail sur les chantiers et des difficultés, pour les travailleuses, à articuler les temps profession­nels et les temps familiaux.

Karen Messing et Katherine Lippel

L’invisible qui fait mal

Nés des préoccupations d’égalité et de revendications syndicales des années 1970, des partenariats entre université et syndicat ont mené des formations et des recherches sur la santé des travail­leuses québécoises. Différentes thématiques ont émergé, dont la reconnaissance du caractère pénible et exigeant de certaines tâches effectuées surtout par des femmes, la conciliation entre les besoins économiques des femmes et leur rôle dans la reproduction biolo­gique, les obstacles à l’intégration et le maintien des femmes dans l’ensemble des emplois, ainsi que le droit à l’indemnisation des travailleuses atteintes de lésions professionnelles. L’étude de plu­sieurs de ces thématiques a exigé des chercheures en ergonomie et en droit de réexaminer les méthodes et approches de leur disci­pline respective, en essayant d’aider les travailleuses à accéder à l’égalité professionnelle tout en préservant leur santé.

Ivana Obradovic et François Beck

Jeunes femmes sous influence

Une féminisation du public reçu pour usage de cannabis dans les dispositifs d’aide ? En 2007, près de 20 % de la population des usagers de drogues reçus dans les « Consultations jeunes consom­mateurs » sont des femmes. L’article décrit les spécificités de ce public féminin, en faisant ressortir les différences de structure avec les usagers masculins, du point de vue des profils socio­démo­graphiques, des pratiques d’usage et des motivations à consom­mer. Le public féminin, en moyenne plus âgé, comprend de plus fortes proportions de demandes spontanées et de demandes d’aide à la réduction de la consommation. Les femmes accueillies dans le dispositif déclarent, de fait, des niveaux d’usage de cannabis élevés, souvent plus intensifs et associés à des polyconsommations de substances illicites ou de médicaments psychotropes. Les usa­ges féminins de cannabis sont plus nettement centrés sur des motivations « auto-thérapeutiques » en lien avec la régulation d’une angoisse. À l’inverse, le public masculin recouvre une majo­rité d’usagers de cannabis adressés par la justice, le plus sou­vent âgés de 18 à 25 ans, socialement insérés, rapportant leur usage à des considérations hédonistes et à un contexte de sociabilité.

Livia Scheller, Liliana Cunha, Sónia Nogueira et Marianne Lacomblez

Le temps des conductrices de bus

 en France et au Portugal


Les recherches en psychologie du travail et en ergonomie de l’activité présentées ici comparent les signes d’une transformation de l’organisation de travail dans les métiers du transport en commun. Dans une première expérience (française), l’arrivée des femmes dans un métier historiquement exercé par les hommes a indirectement induit une autre manière de concevoir le temps entre espace professionnel et espace domestique. Une recherche portugaise semble montrer, en revanche, qu’il peut s’agir d’un évé­nement parallèle à une déstabilisation plutôt négative de la gestion du travail humain. Sur la question des temps de travail, les femmes cherchent de façon plus manifeste leur adaptation aux activités propres à l’espace dit « privé ». La réponse à leur deman­de n’est jamais directe ; elle existe parfois. Mais, leur « coût » en termes de santé et/ou de parcours professionnel est souvent évident.

 

N° 30, 2013

Genre, féminisme et syndicalisme 

Parcours
Yvonne Knibiehler

 

Alex Alber

Un plafond de verre plus bas
 dans la fonction publique ?

En utilisant l’enquête coi 2006, qui fournit des données quantitatives comparatives entre secteurs public et privé, l’article étudie la place des femmes dans les fonctions d’encadrement au sein des deux secteurs, en distinguant d’une part l’encadrement comme statut : être cadre (ou cadre A dans le secteur public) et d’autre part comme responsabilité : avoir des subordonnés. L’ar­ticle montre que le secteur public a un encadrement notable­ment plus féminisé que le secteur privé et que les femmes cadres y jouent plus fréquemment un rôle d’encadrement, avec des équipes en moyenne plus nombreuses. Pourtant, à l’issue de traitements toutes choses égales par ailleurs, ces résultats sont fortement nuan­cés : il apparaît que si l’accès au statut cadre est aussi difficile pour les femmes des deux secteurs, les femmes du secteur public sont particulièrement désavantagées lorsqu’il s’agit d’accéder à l’exer­cice de responsabilités hiérarchiques, étant plus orientées vers des fonctions de cadre expert que de manager. Or, dans un contexte de valorisation croissante des fonctions managé­riales au sein de la fonc­tion publique, cette difficulté accrue à encadrer pour les femmes est sans doute l’un des éléments explicatifs de la perma­nence du « plafond de verre » auquel se heurtent les femmes cadres du secteur public.

Sophie Béroud

Une campagne de syndicalisation au féminin

 

Cet article retrace une expérience de syndicalisation, menée à l’échelle d’un département et avec des moyens très limités dans l’aide à domicile. L’initiative est prise par des militantes de la CGT qui se rendent disponibles pour contourner les difficultés structu­relles que présente ce secteur hautement féminisé : éclatement des horaires, quasi-inexistence des collectifs de travail, faible valorisa­tion des qualifications, relations ambiguës à un employeur associa­tif. En organisant des réunions hors des lieux de travail, ces militantes renouent avec des pratiques du début du mouvement syndical et suivent les implantations, pas à pas. Les modalités d’action qu’elles privilégient, très peu hiérarchisées, centrées sur la création d’espaces de discussion sur le travail en lui-même, favori­sent la participation de ces salariées situées au bas de l’échelle sociale. Mais l’expérience ainsi menée n’est possible que parce qu’elle se situe, d’une certaine manière, aux marges des structures syndicales, reflétant ainsi une division sexuée du travail militant.

Christophe Giraud et Jacques Rémy

Division conjugale du travail et légitimité professionnelle

L’article porte sur l’émergence de nouvelles activités marchandes en agriculture au croisement des identités professionnelles et de la division sexuelle du travail au sein des couples. Nous mettons en évidence l’existence de deux types de diversification : la première « en discontinuité » avec les activités centrales de l’agriculture (vente directe, transformation, accueil touristique) concerne princi­palement les agricultrices ; la seconde « en continuité » avec le cœur du métier agricole (travaux agricoles à façon, activités agri-environnementales) concerne surtout le chef d’exploitation. La conception du métier d’agriculteur, demeure centrée sur les tâches techniques culturales ou d’élevage et la division sexuelle du travail affecte les hommes au monde professionnel et en détourne les femmes. Les chefs d’exploitation laissent ainsi à leurs conjointes la possibilité de construire et de maîtriser de façon autonome ces espaces professionnels nouveaux, considérés comme accessoires par rapport aux activités plus étroitement agricoles.

Cécile Guillaume

La mobilisation des syndicats anglais en faveur de l’égalité salariale (1968-2012)

Depuis les années 1970, les syndicats anglais se sont impliqués dans différentes formes de mobilisation juridique visant l’obten­tion de l’égalité salariale, via notamment l’accompagnement de plaignantes saisissant les tribunaux. Cet engagement dans la lutte contre les discriminations faites aux femmes serait-il la conséquen­ce directe de la féminisation des adhérent-e-s et des politiques de mixité des syndicats ? Fondé sur une enquête croisant des entre­tiens avec les principaux acteurs de cette mobilisation et des documents d’archives, cet article insiste tout d’abord sur l’influence de grèves de femmes et des groupes féministes dans l’obtention d’une législation en 1970 et sur l’importance de la stratégie judiciaire menée par une agence non-gouvernementale, l’Equal Opportunity Commission
, dans l’évolution et l’application du droit anglais dans les années 1980. Cette enquête met ensuite l’accent sur le rôle de certains hommes, syndicalistes ou avocats engagés, qui dans les années 1990 se saisissent du droit anti-discri­mi­natoire afin de lutter contre les politiques de restructurations menées par les gouvernements conservateurs et de syndiquer dans les services – publics et privés. Cette mobilisation juridique n’a cependant que faiblement modifié les pratiques conventionnelles discriminantes, cautionnées par des négociateurs syndicaux (hom­mes). De plus en plus nombreuses au sommet et à la base des syndicats, les femmes peinent en effet à peser dans les instances de négociation collective décentralisées, face à des employeurs récalci­trants, dans un contex­te de dérégulation du marché du travail anglais.

Gill Kirton et  Geraldine Healy

Stratégies en faveur de la démocratie de genre dans les syndicats

Cet article se propose d’exposer ce qui rapproche et sépare les responsables syndicales au Royaume-Uni et aux États-Unis face aux stratégies d’égalité des sexes mises en œuvre dans leurs syndi­cats pour faire avancer la démocratie de genre. Il s’appuie sur une enquête qualitative de deux ans, menée auprès de 134 représen­tantes syndicales des deux pays, sur de l’observation participative et sur l’analyse secondaire de données quantitatives. Entreprise à la fois dans une perspective de genre et comparatiste, cette étude souligne tant les convergences que les divergences des respon­sables syndicales britanniques et américaines vis-à-vis des mesures prises par leurs syndicats en faveur de l’égalité des sexes et examine l’efficacité de ces stratégies pour améliorer la représen­tation féminine dans les instances dirigeantes et décisionnelles. L’article évoque aussi la position de faiblesse des femmes dans les organisations syndicales et les entraves sociales et structurelles qu’elles rencontrent souvent lorsqu’elles veulent promouvoir et défendre des stratégies égalitaires réformatrices.

Yannick Le Quentrec

Militer dans un syndicat féminisé : la sororité comme ressource

Les militantes de la fédération cgt de la Santé et de l’action sociale, bien qu’issues d’un secteur professionnel et d’effectifs syndiqués majoritairement féminins, ont des conditions de travail syndical plus défavorables que les hommes. Elles ont moins de moyens pour agir et plus de contraintes syndicales, professionnelles et familiales. Elles se heurtent aussi à un unanimisme syndical qui légitime la domination masculine. Mais contradictoirement, l’organisation syndicale fait progresser l’égalité en interne et en externe quand des dirigeant-e-s volontaristes féminisent les directions syndicales et favorisent la disponibilité au militantisme des femmes, quand elle intègre les attentes de souplesse des militantes et favorise des liens de solidarité féministe entre elles. Ces résultats au plus près des pratiques de terrain découlent de l’observation participante. Ils incitent à interroger les interactions entre les chercheur-e-s et les syndicalistes.

Vanessa Monney,  Olivier Fillieule et Martina Avanza  

Les souffrances de la femme-quota

 

Cet article part d’un constat plutôt rare : en quelques années, le plus important des syndicats suisse – unia – est parvenu à atteindre un degré élevé de féminisation de ses instances et de son personnel politique, alors même que 80 % de ses adhérent-e-s sont des hommes. Nous montrons d’abord, à partir de données objecti­ves, comment une politique volontariste de quotas, adossée à la nécessité de développer le secteur féminisé du tertiaire, se combine avec la professionnalisation du métier de syndicaliste pour rendre compte de ce succès. En changeant d’échelle, nous montrons ensuite, en nous appuyant sur des entretiens biographiques réali­sés auprès de secrétaires syndicaux-ales, que la féminisation à marche forcée du syndicat génère également des effets pervers : fort turn-over
du personnel féminin, burn out
, stigmatisation de la « femme-quota », sexisme, difficile conciliation entre vie privée et vie professionnelle marquent en effet les carrières féminines à Unia. Nous soulignons alors les limites d’une politique volonta­riste de féminisation quand celle-ci ne s’accompagne pas d’un changement profond dans la culture organisationnelle du syndicat qui reste, aujourd’hui, profondément androcentrée.

N° 27, 2012 – Pouvoirs, genre et religions
Parcours
Nancy Fraser

Clément Arambourou

L’éclipse d’une politique municipale du genre

Les travaux sur les politiques locales du genre mises en œuvre ont montré la relégation fréquente de ces programmes d’action. Nous nous intéressons à ces problèmes de pérennisation des politiques locales du genre à partir du croisement des sociologies de l’action publique et de la vie politique. L’éclipse d’une politique municipale du genre est alors mise en relation avec les luttes pour le leadership local et les difficultés d’institutionnalisation du dispositif d’action publique considéré. La mobilisation de cette ressource que peuvent constituer les politiques municipales du genre est alors liée aux dispositions du maire, à sa position dans l’espace politique local et aux fenêtres d’opportunité politique successives.
Béatrice de Gasquet

Masculinité et sens des « honneurs »

À partir d’une enquête ethnographique dans des synagogues non orthodoxes en France, cet article analyse la division sexuée du rituel dans des courants religieux récemment ouverts à la féminisation, et la manière dont la participation au rituel de la lecture de la Torah construit une subjectivité juive genrée. Faisant l’objet de codifications religieuses complexes variant d’un mouvement à un autre, l’éligibilité à ce rituel dessine des frontières de genre et d’ethnicité. Dans le judaïsme orthodoxe, seuls les hommes peuvent rivaliser entre eux pour la possibilité de représenter rituellement le peuple juif. Dans les synagogues observées, si les femmes participent au rituel, elles se l’approprient différemment ; elles sont moins nombreuses à le considérer comme un honneur que l’on est censé rechercher, dans une logique hiérarchique et communautaire, et plus nombreuses à le considérer comme un acte individuel.
Hilary Kalmbach

Sur le chemin de Damas

Cet article s’appuie sur le concept d’autorité pour analyser l’autorité religieuse des femmes dans l’islam contemporain, en s’intéressant plus particulièrement à Huda al-Habash, ensei­gnan­­te dans une mosquée syrienne. Les exemples historiques peuvent servir d’inspiration aux femmes engagées dans les mouvements des mosquées contemporains, qui prônent un renouveau isla­mi­que, mais ces mouvements et celles et ceux qui les animent sont le produit d’évolutions propres au XXe siècle. Les enseignantes de mosquée comme Huda al-Habash peuvent contribuer à transfor­mer subtilement le statut des femmes au sein de ces mouvements et dans les communautés où elles apparaissent.
Françoise F. Laot

Les épouses des auditeurs

Un des lapsus de l’histoire des années 1960, révélé par le film Retour à l’école ?
est l’oubli des femmes en tant que cibles de la politique de promotion sociale, c’est-à-dire de formation d’adultes. En tant qu’épouses, en revanche, on leur reconnaît un rôle central de soutien de leur mari, auditeurs des cours du soir. C’est précisé­ment ce rôle très spécifique que nous proposons d’analyser dans cet article. En croisant les discours produits sur les épouses dans les instances nationales de pilotage de la promotion sociale et le discours filmique montrant trois épouses d’auditeurs intervie­wées aux côtés de leur mari en 1966, cet article propose de reconstituer les conceptions pédagogiques qui inspirent ces politiques.
Sarah-Jane Page

Femmes, mères et prêtres dans l’Église d’Angleterre. Quels sacerdoces !

Cet article montre comment l’Église d’Angleterre a intégré pro­fes­sionnellement les femmes prêtres et il met en lumière la façon dont ces femmes négocient leur présence dans un contexte de discri­mina­tion.Bien que l’opposition générale à la présence des femmes dans la prêtrise ait diminué, des poches d’oppo­sition demeurent. De surcroît, la façon dont les femmes négo­cient leur présence dans l’organisation dépend étroitement de leur position hiérarchique dans l’Église. Dans le même ordre d’idée, être prêtre et mère cons­titue une dimension supplé­mentaire qui explique le positionne­ment délicat de ces femmes dans une structure de travail qui est aussi un lieu d’expression du sacré. L’article s’intéresse donc à des questions comme le départ en congé mater­nité et le retour à l’em­ploi après un accouchement.
Linda Woodhead

Les différences de genre dans la pratique et la signification de la religion


Cet article s’intéresse à l’influence grandissante des études de genre dans la sociologie des religions et opère la synthèse des publications majeures sur ce thème dans la littérature de langue anglaise. L’article montre que l’introduction d’une perspective de genre a des conséquences majeures. Parmi celles-ci, on peut citer entre autres le fait de repenser le concept de« religion » et les formes de religiosité valorisée (souvent celles dans lesquelles les hommes sont plus visibles et disposent de davantage de pouvoir), mais cela implique aussi une adaptation des méthodes et une remise en question des théories dominantes, comme celle de la sécularisation. De plus,l’histoire religieuse des sociétés occiden­tales peut être relue en fonction des transformations des relations de genre, opérant ainsi le lien entre genre et religion. L’article pro­pose un nouveau cadre d’analyse pour articuler genre et religion, ce qui met en lumière la manière selon laquelle les relations de pouvoir dans l’un ou l’autre domaine s’opposent ou s’ajoutent.

N° 28, 2012 – Variations France/États-Unis
Parcours
Nancy Folbre

Magali Barbieri

Les maternités précoces aux États-Unis

Avec un taux de 42 pour mille en 2005-2010, les États-Unis se positionnent en tête du classement des pays développés en matière de fécondité des adolescentes. Après avoir fourni quelques éléments quantitatifs pour situer les États-Unis par rapport aux autres pays développés, nous décrivons dans le détail le niveau et les tendances de la fécondité avant vingt ans dans ce pays à partir d’une analyse de données d’état-civil. Nous évaluons ensuite l’effet des variables intermédiaires (nuptialité, sexualité, utilisation de la contraception et recours à l’avortement) avant de discuter, dans une dernière partie, le rôle du contexte culturel, politique et socioéconomique. La France, dont la situation est représentative des pays dans lesquels la fécondité des adolescentes est particulièrement faible, est utilisée comme point de comparaison.
Laura Lee Downs, Rebecca Rogers
et Françoise Thébaud

Gender studies et études de genre : le gap

Travail, genre et sociétés a demandé à trois historiennes – dont deux franco-américaines – de réfléchir ensemble à la question « pour­quoi et comment les études de genre, les études sur la sexualité, sur les femmes, se sont développées de manière si différente de part et d’autre de l’Atlantique ? » Plusieurs dimensions de la question sont abordées dans l’entretien à trois voix qui résulte de cette demande : l’idée d’un retard français dans ce domaine par rapport à l’avancée américaine ; blocages et résistances institution­nelles ; rôle des revues et des réseaux d’ami-e-s ou de militant–e-s dans la circulation transatlantique des idées ; pluralité d’approches qui caractérise ces études de part et d’autre de l’Atlantique. Au travers de cette discussion riche et variée, on voit clairement le rôle pionnier qu’ont joué les études de genre dans l‘évolution épistémologique des scien­ces humaines depuis les années 1970.
Marie Duru-Bellat

L’éducation des fillesaux États-Unis et en France

Ce texte présente de manière synthétique les débats qui ont pris place aux Etats-Unis et en France à propos de deux grands volets de l’éducation des filles : l’éducation formelle telle qu’elle est organisée dans des classes mixtes ou non mixtes d’une part, d’autre part, l’éducation plus informelle qui se réalise via
les medias, l’habillement, les jeux… Concernant la mixité scolaire, la perspective américaine s’appuie sur des considérations biologisantes ou empiriques, alors qu’en France les considéra­tions de principe dominent. Quant à la tendance à une sexua­lisation de plus en plus marquée et de plus en plus précoce des petites filles, elle est largement démontrée et débattue aux Etats-Unis, alors que la France reste jusqu’alors plus en retrait. Derrière ces débats, de vrais clivages existent, entre ceux et celles qui prônent la ressemblance et l’indifférenciation entre hommes et femmes et ceux et celles qui défendent au contraire l’affi­chage de différences à respecter voire à promouvoir via l’éducation.
Linda K. Kerber

L’histoire des femmes aux États-Unis : une histoire des droits humains

La quasi-totalité des questions traitées par des féministes depuis deux cents ans sont des questions de droits humains. La tradition juridique aux États-Unis est saturée par le concept de la « cover­ture
», à savoir, des lois qui prétendent protéger les inté­rêts des femmes mais qui, en réalité, limitent l’autonomie des femmes ainsi que leur participation à la communauté politique. L’auto­rité des conjoints comprend des pouvoirs aussi extensifs qu’ar­bi­traires sur les corps et les biens de leurs femmes. Par consé­quent, le refus d’une gamme très large de droits humains aux femmes semble faire partie de l’ordre naturel. C’était donc aux femmes de nommer leurs griefs, d’élaborer les bases philoso­phiques de leurs demandes, d’entamer la lutte politique pour l’égalité. Les années 1960 et 1970 ont vu une évolution dans la ma­nière dont le droit américain concevait les droits et les obli­ga­tions des femmes. Des lois, auparavant perçues comme pro­tec­trices, sont dès lors interprétées comme discriminatoires, ce qui rend le droit américain plus conforme aux principes de la Déclaration universelle des droits de l’homme. Pourtant, l’héri­tage de la « coverture
» n’a jamais été complètement éradiqué, surtout en ce qui concerne la reproduction ainsi que les vio­lences domestiques.
Marie Mercat-Bruns

Discrimination fondée sur le sexe aux États-Unis: une notion juridique sous tensions

La lutte contre les discriminations raciales aux Etats-Unis a servi, initialement, de modèle, par analogie, à la construction d’un corpus juridique propre aux droits des femmes. Cependant cette analogie entre race et sexe a connu certaines limites, sur le plan constitutionnel notamment. À première vue, cette vision moins ambitieuse de l’égalité entre hommes et femmes paraît déce­vante pour la cause féministe. Pourtant elle se révèle, au bout du compte, salvatrice sur le plan de certaines avancées législatives qu’elle a permises qui ont bénéficié, à leur tour, grâce à la jurisprudence, à la cause des Noirs américains. À par­tir des années 1970 jusqu’à aujourd’hui, la réflexion juridique de la doctrine américaine, d’inspiration foucaldienne, fait apparaî­tre les rapports de pouvoir inhérents à la lutte contre les discri­mi­nations fondées sur le sexe et les tensions que suscite le droit entre égalité concrète et égalité formelle. Ces interrogations ne sont pas non plus une menace qui pèse sur le débat féministe. L’apparition du critère du genre en droit, à côté du sexe et l’in­té­rêt que suscitent la parentalité et les discriminations systé­mi­ques, au-delà des discriminations indivi­duelles fondées sur le sexe, ne sont en aucun cas un désaveu vis-à-vis des règles visant spécifiquement les femmes. C’est une chance à saisir de renou­veler le débat juridique féministe sur le sexe lui-même et même de l’enrichir.

Hélène Périvier

Travaillez ou mariez-vous !


L’article présente une analyse sexuée de l’évolution des droits et devoirs qui lient les personnes percevant l’aide sociale et l’Etat en France et aux Etats-Unis. Dans les deux pays, la contrepartie exigée en retour de la solidarité nationale a longtemps reposé pour les femmes sur leur rôle de « mère », pour les hommes sur celui de « pourvoyeur de ressources de la famille ». Les réformes successi­ves des programmes de lutte contre la pauvreté aux Etats-Unis et en France ont modifié la nature de ces obligations, renforçant dans les deux cas la logique du mérite via une exigence d’insertion dans l’emploi, ceci de façon plus marquée aux Etats-Unis qu’en France. L’injonction à l’autonomie concerne désormais femmes et hommes, mais épargne les femmes mariées, dont l’inac­tivité est acceptée voire encouragée dans les dispositifs sociaux ou fiscaux.
Abigail C. Saguy

Les conceptions juridiques du harcèlement sexuel en France et aux États-Unis


Lorsque l’ancien directeur du Fonds monétaire international, Dominique Strauss Kahn (dsk), a été arrêté pour tentative de viol sur une femme de chambre d’un hôtel Sofitel à New York en mai 2011, on a beaucoup spéculé sur le rôle qu’avaient joué les diffé­rences d’attitude vis-à-vis de la sexualité en France et aux États-Unis. Cet article explique que si ce scandale avait plus de chances d’éclater à New York qu’à Paris c’est moins en raison de diffé­ren­ces culturelles intemporelles entre les deux pays que de différences juridiques. Aux États-Unis, la responsabilité de l’employeur se trou­ve fortement engagée en cas de harcèlement sexuel, ce qui a inci­té les entreprises à instaurer des règlements internes et des codes de conduite. Complété par la loi de 1994 sur les violences faites aux femmes (Violence Against Women Act, vawa), ce dispo­sitif a permis une plus grande prise de conscience du problème du harcèlement et de la violence sexuels. En France, en revanche, où la responsabilité de l’employeur est minime, les entreprises n’ont guère eu à prendre de mesures contre le harcèlement sexuel, retar­dant par là-même la prise de conscience de l’opinion. C’est à cause de cet écart qu’une plainte pour harcèlement sexuel avait plus de chances d’être déposée à New York qu’à Paris. L’article affirme tou­te­fois qu’en attirant l’attention sur la question de la violence sexuelle, l’affaire dsk – à laquelle s’est ajoutée en mars 2012 une mise en examen pour proxénétisme en bande organisée – pourrait elle-même contribuer à faire évoluer le cadre juridique français et à renforcer la protection des victimes de violence sexuelle.

N° 25, 2011 – Sud-exploitées

Parcours
Marie-Jo Zimmermann

Marie-Laure Coubès
Crise internationale et emploi industriel féminin au Mexique
La ségrégation sexuelle des emplois protège-t-elle les femmes en temps de crise ? Ou, au contraire, les femmes sont-elles considérées comme une traditionnelle armée industrielle de réserve, les plus vulnérables à la récession? À partir de l’exem­ple de l’emploi dans l’industrie maquiladora d’exportation au Mexique pendant la crise mondiale 2008-2009, l’article discute cette question de l’impact de la crise économique sur l’emploi des femmes dans un marché du travail inséré dans la globali­sation. Les données mobilisées sont celles de l’enquête nationale d’emploi réalisée pour tous les trimestres de 2007 à 2010 qui permet une analyse fine de l’emploi des hommes et des femmes dans quatre secteurs principaux de l’industrie d’exportation.

Jules Falquet
Penser la mondialisation dans une perspective féministe
L’article propose un cadre d’analyse synthétique de la mondiali­sation néolibérale, dans une perspective féministe informée par les analyses féministes matérialistes francophones, la théorisa­tion de l’imbrication des rapports sociaux de pouvoir et le cou­rant fémi­niste autonome laino-américain et des Caraïbes. La discussion a lieu autour de quatre entrées. 1. Le capitalisme est-il un allié objectif de l’égalité des sexes ? Ou creuse-t-il, en les réorganisant, les inégalités de sexe, de « race » et de classe ? 2. Les femmes dans le désastre environnemental, la guerre indus­trielle au monde rural, l’exode rural et l’urbanisation forcée 3. L’imposition d’un « déve­loppement » défavorable aux femmes, autour de la monoculture d’exportation, de l’exploitation du sous-sol, des zones franches et du tourisme 4. Le continuum néo­li­béral de la violence militaro-masculine, qui crée, entretient et oppose les « hommes en armes » et les « femmes de services ».
Isabelle Guérin
Les effets insoupçonnés de la microfinance
Fondé sur plusieurs années de recherche en Inde du Sud, cet article montre que les effets de la microfinance sont avant tout de nature politique. À un niveau macro, la microfinance indienne est large­ment promue par les autorités publiques pour deux raisons princi­pales. Elle permet à la fois de respecter les préceptes néolibéraux tout en étant un outil populiste au service des partis au pouvoir ou de ceux qui y prétendent. Au niveau des territoires, on observe qu’un certain nombre de réseaux et d’associations diverses et variées (de nature politique, religieuse, communau­taire) s’empa­rent de la microfinance pour renforcer leur contrôle sur les populations locales. Enfin à un niveau micro-local, celui des « béné­ficiaires », la microfinance participe à l’émergence ou au renforcement de trajectoires politiques locales, y compris chez les femmes et y compris dans les catégories les plus margi­nalisées comme les basses castes. Mais cette émergence de femmes leaders ne conduit à aucune forme de mobilisation collective : elle contri­bue principalement à renforcer les systèmes de patronage et de clientélisme locaux.

Élodie Jauneau
Des femmes dans la 2e Division Blindée du général Leclerc

En 1943 à New York, Florence Conrad, une riche américaine soutenue par de puissantes ligues féministes, acquiert plusieurs ambulances plus tard baptisées « Groupe Rochambeau ». Son but est de constituer une unité de conductrices ambulancières et de rallier la France Libre en Afrique du Nord. Après un recrutement de volontaires à New York et au Maroc, l’unité est engagée dans la 2e Division Blindée du général Leclerc. L’itinéraire des ces femmes en territoire masculin, faisant fi des lois du genre, s’étend sur quatre continents au rythme de la Libération de la France et de la guerre d’Indochine. Cet article propose de mettre en lumière ces pionnières de la féminisation de l’Armée Française. Enrôlées dans une unité de combat, actrices de la Libération, soldates en Indochine, ces femmes, bien que sans armes, n’en sont pas moins des soldates de la première heure. Aux lendemains de ces deux conflits, la question du devenir de ces femmes et de la mémoire de la « patrie reconnaissante » illustre les difficultés que la France a à incorporer dans les rangs de ses héros des héroïnes.
Marie Lesclingand

Migrations des jeunes filles au Mali : exploitation ou émancipation ?

Les migrations féminines de nature économique en augmentation depuis plusieurs décennies sont fortement liées au marché domestique. Ainsi, au Mali, des jeunes filles originaires de zones rurales migrent vers les grands centres urbains où elles sont employées comme « petites bonnes » chez des particuliers. Dans une population rurale malienne, ce type de mobilité a connu un essor tout à fait spectaculaire depuis la fin des années 1980. Cet article analyse leur développement à partir de données d’enquêtes réalisées d’une part auprès de populations rurales du Mali mais également à Bamako, principale destination de ces migrations. La confrontation de différents points de vue et discours permet de relativiser une approche « misérabiliste » associant mobilité féminine et travail des enfants à des formes de prostitution et d’exploitation, en mettant en évidence l’aspect formateur et émancipateur de ces expériences migratoires.
N° 26, 2011 – Les individus font-ils bon ménage ?

Parcours

Michel Verret

Thomas Amossé et Gaël de Peretti

Hommes et femmes en ménage statistique : une valse à trois temps

Les catégories statistiques participent à leur manière aux représentations sociales. Suivre leur évolution est une façon d’observer les mutations d’une société. À travers celle des notions de « ménage » et d’« individu », nous proposons une histoire en trois temps de la place qu’a accordée la statistique aux catégories de sexe. De l’immédiat après-guerre aux années 1970, les femmes y apparaissent peu visibles, cachées derrière le « chef de ménage » ou assignées à leur rôle de mère et à leur fonction reproductrice. Au tournant des années 1970, la statistique se centre peu à peu sur les individus et dévoile des inégalités entre les hommes et les femmes qu’il faut réduire. Enfin, plus récemment, la question de la place des individus au sein des ménages et de l’articulation des rôles des hommes et des femmes s’impose en sociologie et en économie. Il ne s’agit plus seulement de révéler des inégalités, qui persistent d’ail­leurs dans certains domaines, mais de comprendre com­ment se construisent les différences au sein même des couples. Avec ce troisième temps, la statistique se fait moins normative, les orientations politiques incertaines, les controverses scientifiques vives. Nous n’en sommes encore qu’aux prémices de cette période. En la matière, sans doute le « ménage reste-t-il à faire ».
Olivier Donni et Sophie Ponthieux

Approches économiques du ménage : du modèle unitaire aux décisions collectives

Cet article propose un survol de la façon dont l’approche économique standard décrit le comportement des ménages. Dans un premier temps, le modèle de comportement de l’individu a simplement été transposé au niveau du ménage : c’est ce que l’on appelle l’approche « unitaire ». Cependant, face aux limites de cette manière de procéder, telles que l’absence de justifications théoriques convaincantes de la nécessaire agrégation des préférences individuelles, et au rejet des prédictions générées par celle-ci, les économistes ont développé une approche plus générale, dite « collective ». Basée sur la seule hypothèse d’efficacité de l’allocation des ressources, elle permet de prendre en compte plusieurs décideurs dans le ménage. Les recherches les plus récentes considèrent de nouvelles généralisations dans lesquelles la situation efficace est seulement un cas particulier.
Florence Jany-Catrice et Dominique Méda

Femmes et richesse : au-delà du PIB

La mesure actuellement la plus utilisée pour recenser la richesse d’un pays est le Produit intérieur brut, qui représente la valeur monétaire des biens et services fabriqués une année donnée. Cet indicateur a été inventé au sortir de la Seconde Guerre mondiale. Comme tous les indicateurs il est issu de « conven­tions », parmi lesquelles celle de ne pas considérer comme faisant partie de la richesse nationale les activités réalisées au sein du foyer, qui ont très longtemps été prises en charge par les seules femmes et dont la répartition reste encore aujourd’hui très déséquilibrée entre les femmes et les hommes. L’article vise dans un premier temps à revenir sur les raisons – implicites ou explicites – de cette exclusion. Il présente ensuite une des manières de faire justice à un certain nombre de revendications féministes qui considèrent légitime de prendre au moins la mesure de la contribution de la production domestique à la richesse nationale en réalisant une estimation monétaire de celle-ci. Après avoir envisagé les différentes méthodes d’estima­tion, jusqu’à la plus récente, proposée par la Commis­sion Stiglitz et l’ocde, ainsi que les avantages et inconvénients de celles-ci, nous analysons dans une dernière partie une autre manière de dépasser les limites intrinsèques au pib : le développement de nouveaux indicateurs plus axés sur la santé sociale, en envisageant, de manière exploratoire, les modalités d’une meilleure prise en compte des inégalités entre femmes et hommes.
Abir Kréfa

Corps et sexualité chez les romancières tunisiennes

À partir d’une trentaine d’entretiens semi-directifs effectués auprès d’écrivain-e-s tunisien-ne-s contemporain-e-s, ainsi que de l’analyse de romans publiés par des écrivaines, l’article montre comment l’exclusion des femmes de l’espace littéraire ne s’explique pas uniquement par leurs difficultés à concilier charges domestiques et activité créatrice. Alors que l’expression littéraire du corps et de la sexualité figure dans l’horizon d’attente des critiques et des pairs et constitue un critère important d’évaluation d’une « bonne » œuvre, les écrivaines doivent faire face à une censure sociale disséminée, particulièrement forte dans l’espace familial et conjugal. L’accès de certaines romancières à la recon­nais­sance littéraire est dès lors conditionné par les diverses stra­tégies qu’elles ont pu mettre en œuvre, aussi bien dans leurs interactions ordinaires avec leur entourage que dans leurs textes romanesques.
Danièle Meulders et Síle O’Dorchai

Lorsque seul le ménage compte

Notre objectif est de mettre en lumière les hypothèses qui sous-tendent les analyses relatives à la distribution des revenus et à la pauvreté et de montrer les biais qu’elles entraînent sur les résultats obtenus. Ces hypothèses conduisent à sous-estimer, voire à cacher, les risques de pauvreté des femmes. Ces conséquences sont illustrées à travers trois exemples de « mauvais calculs », qui témoignent d’un aveuglement par rapport à la situation spécifique des femmes. Le premier porte sur l’estimation du risque de pauvreté et montre la variabilité des estimations selon que l’on prend en compte le revenu du ménage ou les revenus individuels. Le deuxième est relatif aux effets d’une rupture sur les revenus des membres du ménage, et montre que les résultats des calculs traditionnels sous-estiment la capacité des femmes à vivre seules. Le dernier s’intéresse aux travailleurs pauvres, souvent des hommes dans l’approche traditionnelle, alors que la situation des femmes sur le marché du travail reste plus précaire.
Marianne Thivend

Les filles dans les Écoles supérieures de commerce en France pendant l’entre-deux-guerres

Neuf Écoles supérieures de commerce (esc) de province s’ou­vrent aux filles à partir de 1915 et jusqu’aux années 1950, ces dernières forment environ le quart des effectifs des esc mixtes. Cet article cherche à comprendre comment elles furent accueil­lies dans ces écoles. Quels furent leurs parcours scolaires dans le cadre d’une mixité « bricolée », qui tente d’instaurer des par­cours spécifiques pour les femmes (secrétariat de direction) dans le cadre de la formation générale des futurs chefs de service et directeurs d’entreprises. Pour autant, toutes et tous sortent des écoles avec un seul diplôme et les filles, issues en majorité des classes moyennes, provenant des filières post-primaire et du lycée, obtiennent de meilleurs résultats que les garçons. L’usage professionnel qu’elles font de leur diplôme est en revanche plus difficile à définir. D’après les annuaires d’an­ciens, l’éventail de métiers est moins large pour les femmes que pour les hommes, mais la seule présence de patronnes, de chefs de service et de cadres parmi les anciennes élèves montre que ces parcours sont désormais possibles pour une partie des diplômées.
Laurent Toulemon

Individu, ménage, famille, logement : les compter, les décrire

Depuis quarante ans, les ménages se sont apparemment simpli­fiés : taille moyenne décroissante, raréfaction des ménages dits « complexes ». Cependant, certaines situations individuelles ne sont pas repérées par les recensements, qui affectent chaque habitant à un logement et un seul. Un rapide rappel des princi­pales évolutions observées depuis quarante ans est suivi d’une comparaison plus détaillée des situations familiales telles qu’elles apparaissent dans les grandes opérations statistiques de l’Insee : le recensement, l’enquête sur l’Emploi et les autres enquêtes auprès des ménages, qui utilisent toutes un même « Tronc commun » dont la nouvelle version contient des informations très précises sur les relations au sein des ménages et les multi-résidences. Il ressort de ces données que les hommes vivent plus souvent que les femmes dans des situations floues : multi-résidence, couple non-cohabitant, enfants résidant à temps partiel en cas de rupture parentale.

N° 23, 2010 – Traditions et ruptures chinoises
Parcours
Anne Sylvestre

Controverse

Spéculations sur les performances économiques des femmes

Tania Angeloff
La Chine au travail (1980-2009) : emploi, genre et migrations

En République populaire de Chine, l’égalité entre hommes et femmes et la sortie du modèle traditionnel patriarcal sont un vieux cheval de bataille de la modernité, de 1919 à nos jours. Depuis une trentaine d’années, des réformes économiques sans précédent ont été entre­pri­ses sans changement politique majeur. Dans ce contexte, où l’idéo­logie communiste reste présente dans la loi et dans les esprits, comment les rapports de genre ont-ils évolué ? Quelles ont été les incidences de l’ouverture et des réformes économiques sur le travail – son organisation et ses conditions – et sur les statuts d’emploi des hommes et des femmes ? Comment les inégalités entre les sexes ont-elles évolué et quelles sont les spécificités chinoises en matière de discriminations de genre ? Les questions de travail et d’emploi sont un angle d’attaque privilégié pour comprendre les processus inégalitaires entre hommes et femmes, d’une part, et à l’intérieur du groupe des hommes et du groupe des femmes, d’autre part ; le phénomène des migrations internes par le travail, en explosion avec le renforcement des réformes économiques depuis le début des années 1990, permet de prolonger l’analyse. L’exemple de la prostitu­tion enfin, phénomène social grandissant dans la Chine des réformes, met en relief les stratégies de domination masculine et de résistance féminine en lien avec une modernisation unique dans ses modalités.
Isabelle Attané

Naître femme en Chine : une perspective démographique

Un traitement différencié des hommes et des femmes a des réper­cussions dans de multiples domaines de la société. En Chine, des inégalités entre les sexes demeurent en particulier dans l’accès à l’ins­truction, à l’emploi et à la santé, mais aussi en matière d’héritage, de salaire, de représentation politique ou de prise de décision au sein de la famille. La démographie, parce qu’elle est étroitement liée aux caractéristiques comportementales et sociétales prévalant au sein de la population, n’échappe pas à ce contexte d’inégalités. La Chine présente diverses caractéristiques démographiques atypiques qui traduisent des traitements inégalitaires des hommes et des femmes. Compte tenu de la préférence traditionnelle pour les fils, ces dernières connaissent en effet, eu égard à la situation généralement observée, une moindre probabilité de naître et, dans l’ensemble, elles ne survivent pas aussi longtemps qu’elles le pourraient compte tenu du contexte sanitaire et socioéconomique global. Par conséquent, la population de la Chine devient de plus en plus masculine. Il apparaît en outre que, à chaque étape de leur existence, les femmes peinent à accéder à une véritable autonomie. Elles subissent encore de fortes contraintes concernant leur vie reproductive et, plus nombreuses que les hommes lorsqu’elles vieillissent, elles sont bien souvent exposées à plus de précarité sociale et économique que ces derniers.
Anne Fellinger

Femmes, risque et radioactivité en France

Cet article traite de l’histoire de la santé des femmes dans les milieux de travail scientifiques, en s’appuyant sur l’exemple de la radio­activité. Ce cas complexe permet en effet de s’interroger à la fois sur la place et le rapport au risque des femmes dans les laboratoires de recherches en radioactivité et sur les similitudes et les différences observables entre leur situation et celles d’autres catégories de travailleuses confrontées à des risques professionnels, plus classique­ment étudiés par les historiens du travail. L’article montre ainsi que ces femmes, exposées aux dangers du radium dès le début du xxe siècle, bénéficient d’une situation relativement privilégiée en matière de gestion des risques jusque dans les années 1960. Le dévelop­pement des sciences nucléaires et de leurs applications favorise alors l’apparition de régulations à caractère sexué pour encadrer la protection des personnels exposés aux radiations, reprenant des schémas assez traditionnels d’organisation du travail.
Maria Rentetzi

Genre, politique et radioactivité : le cas de Vienne la Rouge

En plus d’être un lieu de production scientifique, le laboratoire scienti­fique est sans nul doute un espace de travail dans lequel les tâches sont différenciées selon qu’elles sont qualifiées ou non qualifiées, et les postes sont divisés entre ceux rémunérés mensuelle­ment et ceux subventionnés par des dons ou des bourses de recherche. Cet article s’intéresse à l’Institut de Recherche sur le Radium à Vienne et sou­tient que la culture du travail dans les labo­ratoires de cet institut était assez égalitaire entre hommes et femmes pour permettre à des femmes physiciennes de réaliser d’importants projets scientifiques. Pendant la période de l’entre-deux-guerres, les femmes représen­taient un tiers du nombre total de chercheurs grâce à l’attitude encourageante du directeur de l’institut, la politique de Vienne la rouge et l’interdisciplinarité du champ de recherche. En comparaison d’autres laboratoires tels que le laboratoire Cavendish, l’institut de Vienne représente un cas exceptionnel et un exemple fascinant de promotion du travail de la femme dans le domaine scientifique.
Tang Xiaojing

Les femmes du Grand Bond en avant

Il a été largement démontré et il est aujourd’hui avéré que le « Grand Bond en avant » (1959-1961) a marqué une période cruciale dans l’histoire des femmes chinoises. Au cours de ce mouvement, de nombreuses « femmes au foyer», que nous appellons ici les « femmes du Grand Bond en avant » ont été mobilisées par l’État pour participer au travail salarié. Les autorités communistes soulignent cet accomplissement inédit de l’émancipation des « femmes au foyer » qui a constitué un tournant dans la politique d’égalité entre les hommes et les femmes en Chine. Pour cette raison sans doute, cet « accomplissement » a été peu questionné par l’historiographie. Or, cette image d’émancipation est très idéologique. Par le biais d’une étude sur l’histoire de la politique d’emploi dans les années 1950-1960 et les entretiens approfondis réalisés auprès de quinze « fem­mes du Grand Bond en avant » qui travaillaient dans une même entreprise à Shanghai, nous visons à montrer la construction d’un système d’emploi inégal pour ces « femmes au foyer » – catégorie qui elle-même est une construction idéologique. Ces « femmes au foyer » ont ainsi subi dans leur vie professionnelle un système d’emploi précaire, mal payé et sans possibilité de carrière, et sans protection sociale, qui par ailleurs a renforcé le système d’emploi stable à l’époque maöiste.
Wang Zheng

Le militantisme féministe dans la Chine contemporaine

Le papier présenté ici s’attache à étudier le développement conceptuel et organisationnel du militantisme féministe en Chine à la suite de la quatrième conférence des Nations Unies sur les femmes, qui s’est tenue en 1995 à Beijing. L’auteur, qui se concentre sur le militantisme lié à la violence conjugale, offre une analyse critique des relations entre les ong de femmes, la Fédération chinoise des femmes et l’État chinois dans le contexte des mouvements féministes et du capitalisme mondiaux. Aux prises avec un État patriarcal caractérisé par une bureaucratie bien établie, un monde intellectuel très mascu­lin qui penche nettement en faveur du pouvoir et une économie capitaliste qui légitime la dépossession et le déplacement, les fémi­nistes chinoises ont engendré des transformations féministes significatives malgré toutes les contraintes.

N° 24, 2010 – Maudite conciliation

Parcours

Liliane Kandel

Hugues Bardon

Allaiter et travailler : puisqu’on vous dit que c’est possible
Le discours de promotion de l’allaitement maternel semble avoir évolué depuis une vingtaine d’années, affirmant aujourd’hui la compatibilité entre cette pratique et une activité professionnelle. Cependant, à y regarder de plus près, cette évolution n’est en réalité que purement rhétorique, s’articulant notamment autour de la notion de conciliation, entre maternité et vie professionnelle. Un travail de déconstruction de l’argumentaire qui y est développé montre qu’il vise et énonce parfois même clairement une réduc­tion, voire l’arrêt, de l’activité professionnelle des femmes au profit du maintien inconditionnel de l’allaitement. L’analyse de ces dis­cours révèle l’existence d’une formation discursive prescriptive d’un ensemble de conduites et de comportements normalisés et dresse un modèle de mères, en jouant sur des ressorts tels que la culpabilité pour s’assurer l’adhésion de celles-ci.
Danielle Boyer et Benoît Céroux

Les limites des politiques publiques de soutien à la paternité

Il s’agit ici de mettre au jour les paradoxes contemporains de la définition sociale de la paternité au regard des modèles prescriptifs de son exercice et des discours portés par les pères sur leur expérience paternelle. La paternité qui s’en dégage semble davan­tage circonscrite à un acte volontaire plus qu’à une injonc­tion sociale à l’investissement paternel, et les pères n’ont pas tous la même volonté de s’investir auprès de l’enfant. En ce sens, il s’agirait d’une paternité d’intention, que des obstacles de tous ordres empêcheraient certains de rendre effectives. La norme de l’adulte travailleur contribue ainsi sans doute à renforcer l’assi­gnation des hommes dans la sphère professionnelle.
Elisabeth Klaus

Antiféminisme et féminisme élitiste en Allemagne: les termes du débat

Longtemps stigmatisé dans le discours social en Allemagne, le féminisme a récemment connu un renouveau : il a été utilisé dans des contextes politiques jusqu’alors inhabituels et en relation avec de nouvelles positions idéologiques. Le nouveau débat féministe fut promu par une célèbre ex-présentatrice du journal télévisé quand elle publia un bestseller accusant le féminisme de presque tous les maux sociaux auxquels la société allemande est confrontée aujourd’hui. L’article révèle des indicateurs du fait que l’attaque d’Eva Hermann contre les mouvements féministes des années 70 n’est qu’une partie d’un vaste réseau anti-féministe organisé efficacement et qui utilise la nouvelle technologie des media à son avantage. De nombreuses voix de protestation se sont élevées contre les opinions très traditionnelles de l’ancienne présentatrice. Les media ont apposé le label passe-partout de « nouveau fémi­nisme » sur ces voix. Toutefois, un examen plus attentif de la non-fiction la plus populaire publiée dans ce contexte révèle un fort conservatisme qui se rapproche dangereusement des, et par­fois touche les positions antiféministes. Il y est affirmé que « le féminis­me conservateur » a quatre caractéristiques : la distancia­tion avec un féminisme plus ancien et sans doute dépassé ; l’auto-célébration néolibérale ; l’absence d’analyse critique sociale ; une orientation sexuelle invariablement hétérosexuelle.
Ariane Ollier-Malaterre

De la conciliation à la resilience : 40 ans d’évolution lexicale aux États-Unis

Alors que la question de la « conciliation » commence à peine à être prise en compte par les entreprises françaises, les employeurs américains développent ces pratiques depuis près de quarante ans. Le choix par les gestionnaires de ressources humaines et les chercheurs du vocabulaire employé pour les désigner, de « work-family » à « work-life », puis à « résilience », reflète à la fois une compréhension plus fine de la question au fil du temps, et les stratégies déployées pour surmonter les obstacles. La perception de cette question comme étant un problème de femmes restreignait l’usage des pratiques proposées par les employeurs et pénalisait les utilisatrices. L’absorption de la conciliation dans le lexique de la santé, du bien-être et de la résilience tente de contourner les stéréotypes liés au genre et pourrait de ce fait assurer une meilleure efficacité des pratiques.
Ariane Pailhé et Anne Solaz

Concilier, organiser, renoncer : quel genre d’arrangements ?
Au-delà du débat virulent dans les milieux féministes sur l’utili­sation du terme de conciliation, cet article établit un bilan de l’arti­cu­lation famille-travail. Les arrangements entre famille et travail continuent à reposer majoritairement sur les femmes, de plus en plus au cours du cycle de vie. Les nouvelles organisations du travail et la segmentation du marché du travail entretiennent cette division sexuée. Les employeurs peuvent contribuer à limiter les tensions entre travail et vie familiale, notamment en permettant une organisation du travail plus souple. Mais, quelle que soit leur situation familiale, les travailleurs ne bénéficient pas du même soutien de la part de leurs entreprises : de fortes inégalités selon les secteurs et les types d’emploi persistent.
Rachel Silvera

Temps professionnels et familiaux en Europe : de nouvelles configurations

Mieux articuler les temps professionnels et familiaux est un des thèmes majeurs des politiques européennes, qui défendent ainsi le principe fondamental d’égalité entre les femmes et les hommes, mais aussi des objectifs économiques et démogra­phiques : permet­tre aux femmes d’être plus nombreuses sur le marché du travail tout en facilitant leur rôle de mères et leur capacité à prodiguer les soins à autrui. L’objectif de cet article est de dresser dans un premier temps un panorama actualisé mais incomplet des dispo­sitifs publics d’articulation des temps en Europe (temps, services, dépenses publiques) et dans un second temps, d’observer ce qui relève de la responsabilité d’autres acteurs en dehors de l’Etat, comme l’entreprise. Ceci nous amènera à retracer l’évolution des modèles européens en matière de « conciliation », selon le rôle de l’Etat, du marché et de la famille. Au-delà des discours, les pratiques sont loin d’être homogènes et ne semblent pas converger vers ce projet commun de « conciliation » et d’égalité soutenu pourtant par les politiques de l’Union européenne.
Mechthild Veil

Politiques familiales contre politiques de l’égalité des sexes ? Le cas de l’Allemagne

En Allemagne, aujourd’hui, on assiste à une modernisation de la politique familiale, jusqu’alors conservatrice, en vue d’un rattrapage vis-à-vis de la France et de l’Union Européenne. Les deux réformes emblématiques de ce changement sont d’une part l’extension des structures d’accueil de la petite enfance et d’autre part la réforme d’allocation parentale. Cet article vise l’analyse de ces mesures sous différents angles : tout d’abord, il s’agit d’établir une corrélation éventuelle entre les politiques familiales et l’égalité des sexes ; par ailleurs, on observe les transformations en œuvre dans la fameuse « conciliation » à l’alle­mande ; enfin, on relève les incidences de ces dispo­sitifs sur la natalité, particulièrement basse, notamment chez les personnes qualifiées (dont les universitaires). Les résultats sont mitigés : du côté positif, on peut considérer que la « conciliation » répond davantage aux besoins des mères actives et renforce le rôle des hommes en tant que pères. Mais d’un point de vue plus négatif, on constate une sélectivité des stratégies d’égalité entre les femmes et les hommes, focalisées sur les ménages aisés et bi-actifs, masquant ainsi les inégalités sociales. Finalement, les différents modèles – celui de la mère active qui va de pair avec celui du père « breadwinne » – coexistent de façon conflictuelle. Désormais, « l’indétermination normative » crée une brèche dans le concept d’égalité entre les femmes et les hommes.

N° 21, 2009 – Égalité et diversité
Parcours

Nathalie M.

Controverse

La distinction de sexe. Une approche de l’égalité d’Irène Théry

Carole Brugeilles, Sylvie Cromer et Nathalie Panissal 

Le sexisme au programme ? Représentations sexuées dans les lectures de référence à l’école

En 2002, l’Éducation nationale française incluait, dans les programmes de l’école primaire, une liste de référence de 180 œu­vres de littérature de jeunesse à destination des élèves du cycle 3, l’objectif étant la construction d’une culture partagée. La littérature étant considérée comme une voie privilégiée pour comprendre le monde et transmettre des valeurs, il a semblé légitime d’interroger les représentations du masculin et du féminin véhiculées par des œuvres explicitement choisies pour leur fonction socialisatrice dans un contexte où depuis les années 1960 le ministère de l’Éducation nationale affiche sa volonté d’assurer la pleine égalité des chances entre les filles et les garçons et, notamment, souhaite lutter contre les stéréotypes de sexe. Nous avons utilisé une méthodologie reposant sur la sociologie des rapports sociaux de sexe et sur les représentations sociales, qui consiste à recueillir, grâce à un questionnaire, des informations dans le texte et dans l’image, sur tous les personnages, éléments clés de toute histoire. L’analyse révèle non seulement des déséqui­libres numériques entre les personnages féminins et masculins, mais aussi une hiérarchisation et une ségrégation sociale. Les portraits dressés inscrivent les hommes principalement dans la sphère profession­nelle et les femmes dans la sphère familiale.
 Christophe Falcoz et Audrey Becuwe 

La gestion des minorités discréditables : le cas de l’orientation sexuelle

Cet article cherche à montrer qu’il n’est pas toujours opportun d’opposer les approches égalitaristes et antidiscriminatoires, d’un côté, et les approches anglo-saxonnes plus récentes en France de type « diversity management
», de l’autre. Il peut exister pour certaines minorités discréditables (par opposition aux minorités discréditées) à la fois une demande d’égalité des droits au niveau de la société et une aspiration à bénéficier de politiques « inclusives » en entreprise ce que permettent d’illus­trer les résultats d’une enquête auprès de 1 413 salarié-e-s gays et lesbiennes. Comme une forte proportion d’entre eux/elles se cache sur le lieu de travail, la question de la discrimination devient secondaire. Il s’agit plutôt pour ces salarié-e-s d’estimer le degré de tolérance vis-à-vis d’orientations sexuelles « non conformes », notamment en ayant une idée du degré d’hétéro­centrisme de leur environnement de travail. L’étude montre que ce sont bien plus les politiques de management de la diversité que celles de lutte contre les discriminations qui seraient en mesure d’assurer aux gays et aux lesbiennes qui souhaitent se dévoiler au travail, qu’elles/ils puissent le faire sans risque.
Marie-Thérèse Lanquetin 

Égalité, diversité et… discriminations multiples

Le principe d’égalité de traitement et de non-discrimination s’est construit, en droit communautaire, tant par la voie de directives que par la jurisprudence de la Cour de Justice des Communautés européennes. Cette question a pris une nouvelle dimension depuis le traité d’Amsterdam de 1997. L’accent est mis désormais sur la lutte contre les discriminations et sur la nécessité de diversifier les acteurs. Cette mobilisation des acteurs se traduit aussi par l émergence du thème de la « diversité », thème qui s’articule avec les règles juridiques anti-discriminatoires mais qui s’affirme comme le thème dominant du débat public. Il a fait l’objet d’une Charte, d’un label, d’un accord national interprofessionnel, lesquels sont plus centrés sur la discrimination « raciale » que sur l’égalité entre hommes et femmes. Ce thème de la « diversité » ne risque t-il pas de reléguer le thème de l’égalité au second plan ? Au-delà de cette évolution, la réflexion s’oriente aujourd’hui, au niveau commu­nau­taire sur la notion de discrimination multiple qui concerne­rait le plus souvent les femmes et qui n’a pas fait l’objet d’études approfondies en France. Ce thème tente d’appréhender les phénomènes discriminatoires non plus sur le fondement d’un seul motif mais, d’une manière plus approfondie, sur « l’intersectionnalité » des motifs.
Jacqueline Laufer 

L’égalité professionnelle entre les hommes et les femmes est-elle soluble dans la diversité ?

Depuis quelques années, on constate en France et en Europe des progrès dans le domaine de l’égalité professionnelle entre les hommes et les femmes. Parallèlement, un débat s’est développé sur la question de la « diversité », dans la société et dans l’entre­prise. De nombreuses entreprises ont affiché une volonté de se mobiliser sur ces questions mais la façon de le faire suggère l’existence d’une certaine incertitude sur la manière d’articuler démarches d’égalité professionnelle et de diversité. Dans cette confrontation entre politiques d’égalité profession­nelle et de diversité, plusieurs types d’enjeux apparaissent. En effet, il apparaît que la différence de sexe n’est pas une diversité « comme les autres » et la démultiplication des catégories de la « diversité » peut conduire à une situation où le caractère trans­versal et universel du principe d’égalité, et notamment de l’égalité entre les sexes, peut perdre de son acuité. Ainsi, plus l’égalité se développe dans le sens d’une prise en compte de la diversité, plus il devient nécessaire d’en rappeler les « exi­gences » en particulier dans le contexte de l’emploi où, comme nous l’avons souligné, il y a des motifs de s’inquiéter de la « fragilité » du principe d’égalité.
Olivier Mérignac

Les femmes dans le processus d’expatriation


Avec, d’une part, la mobilité internationale des cadres, exacerbée dans les entreprises par la croissance mondiale et, d’autre part, des compétences managériales, un niveau de formation et une participation à la vie active comparables pour les hommes et pour les femmes, tous les éléments semblent réunis pour assurer une représentation égale des deux sexes dans les rangs des expatriés. Paradoxalement, alors que la population active se féminise, celle des expatriés reste majori­tairement masculine. Les femmes demeurent ainsi très large­ment sous-représentées dans la population des managers internationaux. Cette étude propose une analyse de la situation des femmes aux différentes étapes du processus d’expatriation afin de comprendre puis de tester les préjugés tenaces qui nuisent aux femmes dans l’accès à la mobilité internationale et les accompagnent lorsqu’elles parviennent à s’expatrier. Malgré les discriminations subies au cours du processus de sélection puis lors de l’expatriation, les femmes affichent des niveaux de performance et de réussite comparables à ceux de leurs collègues masculins, y compris dans les pays où la culture des affaires laisse peu de place et de crédit aux femmes dans la vie active.
Monique Meron  

Statistiques ethniques : tabous et boutades

Les tabous statistiques existent depuis toujours mais diffèrent selon les pays et les époques. En France, la polémique autour des statistiques dites « ethniques » est particulièrement intense. Ravivés notamment à l’occasion de la mise en place concrète d’une enquête de l’Ined, « Trajectoires et origines » (teo) sur les parcours de vie des immigrés et enfants d’immigrés, les débats sur cette question ont aussi rebondi face à la loi préparée par le ministre en charge de l’immigration et sont toujours très âpres. D’un côté, on trouve les convaincus du fait que mesurer et identifier les origines permettrait de mettre en évidence les discriminations et de lutter contre les inégalités de traitement liées à ces différences (éventuellement dans une logique d’en­cou­ra­ge­ment à la discrimination positive). De l’autre, ceux qui perçoivent l’identification « ethno-raciale » comme contradic­toire avec le principe républicain d’indifférenciation, mettent en avant le risque, en banalisant une vision ethnique de la société, de renforcer les stéréotypes racistes, aux dépens d’une analyse approfondie des inégalités sociales. Les catégories statistiques sont toujours des constructions sociales, particulièrement difficiles lorsqu’il s’agit de critères physiques et personnels aux frontières aussi floues et discutables que l’ethnie et/ou la couleur de peau. Peut-on poser n’importe quelle question dans une enquête statistique ? C’est un peu comme le dilemme des humoristes : peut-on rire de tout ?Haut de la page
N° 22, 2009 -Domestiques d’ici et d’ailleurs

Parcours
Andrée Michel

Controverse

Généralisation du RSA : Rien A Signaler sur les femmes

Françoise Battagliola

Philanthropes et féministes dans le monde réformateur (1890-1910)
Le milieu réformateur, qui se constitue dans les dernières décennies du xixe siècle, s’écarte de la charité traditionnelle en proposant une rationalisation de l’action sociale dans laquelle savoirs et façons de faire vont de pair. Cette période apparaît aussi comme l’âge d’or des mouvements féministes. D’impor­tants travaux ont été publiés en France sur ce milieu, mais les études en terme de genre sont encore peu nombreuses. C’est dans cette perspective que se situe cet article en s’intéressant à la place des femmes dans ce milieu et aux rapports entre les sexes qui s’y déploient. Il examine également les relations entre les positions sociales des femmes et leurs engagements dans les institutions philanthropiques et féministes et les enjeux que représentent ces investissements selon l’univers des possibles ouverts aux femmes de différentes catégories sociales. Cette rec­her­che s’appuie sur des données recueillies dans les archives sur des associations, cercles ou congrès (le plus souvent mixtes) et sur des renseignements biographiques concernant les acteurs et actrices. Elle conjugue des méthodes qualitatives, comme les études de cas et quantitatives : analyses de réseau et biogra­phies collectives.
Félicie Drouilleau

Exode et domesticité à Bogotá

Cet article explore les différentes modalités du devenir domestique à Bogotá (Colombie). Comparant les migrations de jeunes filles et petites filles venues s’employer dans la capitale colombienne comme bonnes à demeure durant les années 1960-1970 et l’intégration dans le service domestique de personnes déplacées par les violences, il s’attache à comprendre l’évolution des conditions d’entrée dans une famille employeuse. D’une insertion professionnelle largement guidée par la parenté et les relations de proximité, le phénomène de la « recommandation » a permis de tisser des liens de confiance entre étrangers en étendant le cercle familial au-delà de ses limites formelles. C’est toutefois ces liens de confiance qui seront les plus difficiles à obtenir pour les personnes déplacées victimes de la stigmatisation et du rejet des populations citadines.
 Mélanie Jacquemin

« Petites nièces » et « petites bonnes » à Abidjan

 

Dans la société abidjanaise contemporaine, la majeure partie du service domestique est effectuée par des fillettes et des jeunes filles âgées de moins de 20 ans. Phénomène ancien, repérable dès les origines de la ville, la mise au travail de « petites bonnes » dans les ménages urbains a connu d’importantes trans­formations, notamment sous l’influence de la récession économique qui sévit en Côte-d’Ivoire depuis les années 1980. Pour éclairer les logiques contemporaines d’une telle mise à contribution de petites et jeunes filles dans l’économie domestique urbaine, cet article retrace l’histoire du marché du service domestique juvénile féminin à Abidjan au cours des 30 dernières années. Analysant le passage de logiques familiales de mise au travail domestique des enfants à des logiques anony­mes et plus contractuelles de salariat domestique juvénile, il met en évidence la diversité des situations et la complexité d’un phénomène qui, resté méconnu, représente pourtant un indicateur du changement social en Afrique noire.
Claire Marbot 

Le recours aux services à domicile et ses déterminants en France

En France, le recours aux services domestiques à domicile est très différencié selon la composition des ménages et l’âge de leurs membres. Au cours de la décennie 1995-2005, le recours à ces services a connu un effet important de réintégration dans l’économie formelle mais n’a pas réellement progressé. Dans les ménages comprenant une femme en âge d’être active, le choix d’y recourir apparaît en étroite relation avec l’activité féminine. Mais ce n’est pas l’activité en tant que telle, c’est sa combinaison avec la présence d’enfants, ainsi qu’un niveau de diplôme élevé ou un emploi de cadre, qui constitue un déterminant significatif du recours. Par ailleurs, l’inégalité entre conjoints dans l’apport de ressources et en termes de qualification apparaît moins marquée dans les ménages qui recourent aux services à domicile qu’en moyenne. Enfin si, en première analyse, le niveau de qualification de l’homme peut apparaître comme un déterminant important du recours aux services à domicile, cet effet transite en réalité essentiellement par le niveau de vie du ménage et, toutes choses observables égales par ailleurs, le degré de qualification de la femme exerce un effet sur la probabilité de recours qui prédomine sur le niveau de qualification de son conjoint.
Dominique Vidal

Une relation ancillaire à l’épreuve du droit

Cet article étudie la portée et les limites de l’élargissement de l’accès au droit social des travailleuses domestiques à Rio de Janeiro. Il présente d’abord les problèmes de descriptibilité de l’emploi domestique au Brésil. Il souligne ensuite le nouveau sens du juste qu’a entraîné la mise en place d’un cadre juridique, en relevant ses conséquences sur les représentations des travailleuses domestiques. Il montre enfin l’insuffisance du droit à assurer pleinement leur protection, en insistant sur le difficile accès à la justice du travail, la faible identification à l’action syndicale et les rapports entre travailleur et employeur dans le service domestique. Il évoque alors en conclusion ce qui fait la spécificité de ce secteur d’activités dans le Brésil contemporain, en replaçant les phénomènes observés dans les débats actuels sur les emplois domestiques.
Emmanuelle Zolesio

Des femmes dans un métier d’hommes : l’apprentissage de la chirurgie

Véritables exceptions statistiques, les femmes sont une bonne « entrée » pour révéler certaines dimensions de la socialisation professionnelle en chirurgie. Il s’agit ici d’étudier le contenu de la socialisation professionnelle (qu’est-ce qui se transmet ?) et les modalités concrètes de perpétuation de cette culture chirurgicale (comment cela se transmet ?). L’analyse est centrée sur l’étape de l’internat. Les femmes qui entrent en chirurgie ont déjà un patrimoine dispositionnel les y préparant. Toutefois, leur insertion professionnelle ne s’est pas faite sans une certaine masculinisation. Cette application à faire oublier que l’on est une femme témoigne de la prégnance des valeurs viriles dans la profession. Par des observations de terrain, on s’est efforcé de voir les mécanismes concrets par lesquels la domination masculine opère et recrute des candidats. Sur le terrain par exemple, on a pu constater que les plaisanteries grivoises et sexistes contribuent efficacement à l’évic­tion des femmes. Les mêmes processus qui contribuent à évincer certaines externes en attirent d’autres et les façonnent encore. La socialisation professionnelle prend appui sur les expériences socialisatrices passées et les retravaille.

N°19, 2008 – Les femmes, les arts et la culture
Hommage

Annie Labourie-Racapé

Controverse

Flexicurité et genre : un angle mort ?
Marie Buscatto

Tenter, rentrer, rester. Les trois défis des femmes instrumentistes de jazz

À l’aube du XXIe siècle, un « plafond de verre » semble limiter l’accès des femmes aux positions sociales les plus élevées. Le monde du jazz français, monde de l’art très masculin et très sexué, offre un terrain privilégié pour étudier cette question de manière renouvelée. Les femmes constituent 65% des chanteuses et moins de 4 % des instrumentistes de jazz. Les musiciennes, même les plus reconnues, n’évoluent dans ce monde que de manière marginale. Une enquête ethnographique menée depuis 1998 identifie les différents processus sociaux qui, en se cumulant dans la durée, rendent l’accès et le maintien des femmes instrumentistes dans le monde du jazz particulièrement difficiles. Cette réalité, fruit d’un lent cheminement personnel, se situe au croisement de rapports sociaux plus larges – la définition sociale des divers rôles féminins au fil de l’« âge » – et de normes, réseaux et conventions « masculins » portés par les musiciens.
Marie Duru-Bellat

La (re)production des rapports sociaux de sexe : quelle place pour l’institution scolaire ?

L’école joue-t-elle, dans la reproduction des rapports sociaux de sexe, un rôle comparable à celui qu’elle joue en matière de reproduction des inégalités sociales ? C’est la question que pose ce texte. Après avoir rappelé l’impact déterminant des pratiques éducatives parentales, nous analyserons les différentes facettes potentielles de l’influence de l’école. Nombre de mécanismes mis en avant dans l’analyse de la reproduction des inégalités sociales à et par l’école s’avèrent ici inopérants. De fait, c’est plutôt la passivité de l’institution, face à des élèves et à des situations marquées par les modèles de sexe, qui apparaît essentielle. Ceci laisse ouverte la question de la légitimation des inégalités entre les sexes, dès lors que l’école ne peut la fournir.
Florence Launay

Les musiciennes : de la pionnière adulée à la concurrente redoutée

La professionnalisation des musiciennes est un phénomène ancien, qui a vu un développement fulgurant à partir de la fin du XVIIe siècle, avec l’apparition du genre de l’opéra. Le goût du public français, en particulier, pour les voix de femmes et la vérité théâtrale (et donc son refus des castrats) a permis l’apparition de véritables divas, rémunérées en conséquence, peut-être les premières femmes à avoir eu accès aux professions dites de prestige. Le Conservatoire de Paris a été dès sa création, en 1795, ouvert aux deux sexes, permettant à des chanteuses et à des pianistes d’acquérir un diplôme convoité, cent ans avant l’École des Beaux-Arts et soixante-dix avant les universités. Pour les autres métiers de la musiques, l’accès des femmes s’est révélé plus difficile, comme pour les professions considérées comme des « domaines masculins »; si les instrumentistes solistes ont pu s’imposer au cours des siècles, les instrumentistes d’orchestre, les cheffes et les compositrices, perçues d’abord comme des « exceptions » puis comme des concurrentes, rencontrent encore de nos jours des problèmes de légitimité et de discrimination. La pédagogie de la musique a été par contre investie tôt par les femmes, à cause du poids considérable des « arts d’agrément », passage obligé de l’éducation des femmes de la bourgeoisie, les femmes devant enseigner aux femmes. Les métiers de la musique se révèlent ainsi un champ idéal d’observation de l’historique des discriminations professionnelles par le sexe.
Marion Paoletti

Les grillons du foyer municipal. Les femmes au foyer en politique

La présence des femmes au foyer en politique en tant qu’élues constitue à certains égards une surprise tant l’engagement politique des femmes s’analyse traditionnellement comme encastré dans l’exercice d’une activité professionnelle. La « disponibilité » que recherchent les têtes de liste chez leurs colistières explique en partie la présence affirmée de ces femmes dans la politique municipale, prioritairement en milieu rural. Loin des images véhiculées récemment par les medias des « nouvelles et modernes femmes au foyer », la présence des femmes au foyer en politique peut globalement s’interpréter comme une dimension conservatrice de l’ordre politique, que n’est pas venue perturber la mise en œuvre de la parité en politique depuis 2001.
Aurélie Peyrin

Démocratiser les musées. Une profession intellectuelle au féminin

Au début du XXe siècle, accompagner les visiteurs dans les musées est une profession d’emblée conçue pour les femmes, et plus précisément conçue par les conservateurs hommes pour écarter les premières diplômées en histoire de l’art des fonctions scientifiques. Cette profession intellectuelle féminine se construit tout au long du siècle sur le mode du travail à la demande, c’est-à-dire à la fois sous la forme d’emplois de courte durée d’activité intermittente. Un siècle plus tard, les caractéristiques de la profession demeurent inchangées, mais elle attire désormais certains hommes, essentiellement des artistes, qui s’accommodent de ces conditions d’emploi flexibles car elles leur laissent du temps libre, nécessaire à leur activité de création. Les chargé-e-s d’accompagnement, quelque soit leur sexe, tendent par ailleurs à « naturaliser » les compétences mises en œuvre dans le métier, et vivent enfin des situations conjugales « typiquement » féminines : c’est sur leur conjoint-e que repose la sécurité des revenus du couple.
Séverine Sofio

Les vertus de la reproduction

Les peintres copistes en France dans la première moitié du XIXe siècle
Rarement étudiée (et encore moins dans une perspective de genre), la copie de tableaux s’apparente, à première vue, au travail dévalorisé de peintres débutants, amateurs ou ratés. Elle demeure pourtant, au XIXe siècle, une activité largement pratiquée par des peintres (hommes, mais aussi, pour une large part, femmes) qui ne correspondent guère à cette idée du copiste « par défaut ». Activité d’autant plus centrale dans les stratégies de carrière qu’elle est alors extrêmement valorisée par le pouvoir politique, la copie reste, pour les peintres des deux sexes, une triple ressource : un revenu non négligeable, un moyen de pénétrer le monde de l’art et une source de légitimité dans les genres picturaux les plus prestigieux. Enfin, en comparant la situation des copistes femmes et hommes sous la Monarchie de Juillet, on s’aperçoit que la copie s’impose alors comme un espace professionnel original, marqué – contre toute attente – par une relative égalité entre les sexes.Haut de la page
N° 20, 2008 – Migrations et discriminations

Parcours

Fatou Sow

Controverse

Re-lire Le Deuxième Sexe de Simone de Beauvoir

Gilles Combaz et Olivier Hoibian

Le rôle de l’école dans la construction des inégalités de sexe
Contrairement à ce qu’on observe lorsque toutes les disciplines scolaires sont confondues, en éducation physique et sportive (eps), les filles réussissent beaucoup moins bien que les garçons. En complément des travaux existants, cet article propose d’analyser et d’interpréter ces inégalités de réussite en privilégiant la dimension relative aux contenus d’enseignement. En se référant à certaines recherches conduites dans le champ de la sociologie de l’éducation (sociologie du curriculum et sociologie des enseignants), on tâchera de montrer que la nature des activités physiques proposées en eps ainsi que les modalités de pratique privilégiées peuvent expliquer en grande partie la moindre réussite des filles. Du point de vue méthodologique, les matériaux utilisés proviennent de trois sources : deux enquêtes nationales réalisées en 2006 par les services statistiques du ministère de l’Éducation nationale en France ayant permis d’interroger 1954 élèves et 1317 enseignants ; les textes officiels les plus récents présentant les programmes d’enseigne­ment en eps ; les statistiques nationales relatives à la réussite aux épreuves d’eps du baccalauréat.
Stéphanie Condon 

Travail et genre dans l’histoire des migrations antillaises

Le plus souvent oubliée, sinon écartée de l’histoire de l’immi­gration en France à cause du lien national entre les Antilles et la métropole, les migrations en provenance de Guadeloupe et de Martinique sont relativement peu connues. Pourtant, l’analyse de la place spécifique qu’ont occupée les femmes et les hommes antillais au cours des années 1950 à 1970 (période des migrations dites « de travail ») à la fois dans les politiques migratoires de l’état français et sur le marché du travail métropolitain révèle des interactions entre divers types de rapports sociaux. En combinant des analyses de données statistiques, d’archives et d’entretiens biographiques, cet article vise à décrire le jeu des interactions et leur impact sur le devenir socioprofessionnel des migrantes et migrants antillais. Des comparaisons avec les migrations caribéennes vers la Grande-Bretagne apportent un éclairage supplémentaire sur les rapports de genre et les rap­ports ethnicisés (ou de « race ») dans un contexte de migration post-colonial.
Dominique Meurs 
et Ariane Pailhé 

Descendantes d’immigrés en France : sur le marché du travail ?


Les descendantes d’immigrés poursuivent des études plus longues que  leurs frères et bénéficient d’une image positive dans les médias. Cela suffit-il à les mettre dans une position plus favorable sur le marché du travail que les hommes de la seconde généra­tion ? Comment se situent-elles par rapport aux femmes issues de natives ? Cet article examine les différences dans les probabilités d’accès à l’emploi en faisant varier à la fois les caractéristiques de genre et d’origine (Europe du Sud ou Maghreb). Nous utilisons pour cela les données de l’enquête Étude de l’Histoire Familiale (ehf, 1999). Nous trouvons que parmi les femmes, être issue du Maghreb augmente le risque de chômage par rapport aux natives et aux deuxièmes générations issues de l’Europe du Sud. Quelle que soit l’origine, les femmes ont plus de risques de chômage que leurs homologues masculins. Au total, les femmes issues du Maghreb apparaissent doublement discriminées sur le marché du travail, par rapport à leur origine et leur sexe.
Céline Schoeni et Nora Natchkova

Qui a besoin de « protéger » les femmes ? La question du travail de nuit (1919-1934)

Le travail salarié des femmes, fait courant au xixe et xxe siècles, est à l’instar des multiples législations qui le régissent une réalité combattue ou soutenue en fonction d’une part de la conjoncture économique et, d’autre part, de la nécessité de légitimation de l’ordre social. Sous le double auspice des prérogatives capitalistes et patriarcales, l’interdiction du travail de nuit des femmes, entérinée par une Convention de l’Organisation Internationale du Travail
en 1919, cristallise les rapports de force entre autorités nationales, bien-fondé d’une jeune institution internationale, organisations syndicales, patronales et féministes. L’article met en évidence le processus de perpétuation de la division sexuelle du travail dans les secteurs secondaire et tertiaire en mutation pour la période de 1919 à 1934, année de révision de la Convention.
Sylvie Schweitzer 

La mère de Cavanna. Des femmes étrangères au travail au XXe siècle

L’histoire de la place des femmes étrangères sur le marché du travail reste mal évaluée, parce qu’elle souffre d’être au carrefour de représentations sociales habituées à doublement gommer leur présence. D’une part parce que, jusqu’aux années 1970, elles sont souvent réputées n’être qu’une main-d’œuvre d’appoint et ponctuellement présente sur le marché du travail. D’autre part, parce que l’étranger est longtemps pensé comme un homme, peu qualifié, non syndiqué et de passage sur le territoire national. La réalité est autre. En effet, les femmes ont depuis toujours été une large part de cet apport migratoire, entre 30 et 45 % selon les époques et les lieux. Pas forcément mariées ou mères de famille, elles ont également largement participé à la vie économique nationale, en particulier comme commerçantes, ouvrières, employées des services aux personnes.
Michèle Vatz Laaroussi

Du Maghreb au Québec : accommodements et stratégies

Ce texte présente une analyse des stratégies des femmes maghrébines immigrantes au Québec sur le marché du travail et dans les dynamiques familiales. Pour cela il aborde les spécificités de l’immigration maghrébine au Québec tout en identifiant les politiques d’immigration ainsi que l’impact du contexte socio­politique québécois. La place des femmes immigrantes maghré­bines dans les trajectoires et stratégies d’insertion familiale est analysée à travers trois dimensions : leur insertion dans l’emploi, les dynamiques familiales et les réseaux transnationaux. Le texte conclut  sur l’ambiguïté de l’espace d’insertion destiné aux femmes maghrébines immigrantes au Québec ainsi que sur leurs stratégies pour transcender ses frontières.

N°17, 2007 – Genre et organisations

Parcours

Martha Nussbaum

Controverse
Faut-il brûler le modèle social français ?
 d’Alain Lefebvre et Dominique Méda

Cécile Guillaume et Sophie Pochic
La fabrication organisationnelle des dirigeants. Un regard sur le plafond de verre

Cet article défend l’idée que le décryptage des normes de carrière et de « fabrication » des dirigeants permet d’éclairer sous un jour nouveau la permanence du plafond de verre dans les organisations. Nous montrons ainsi que les discriminations dont les femmes font l’objet, dans l’entreprise étudiée, sont encastrées dans les processus organisationnels. Elles se nichent dans le modèle masculin de carrière en spirale et le système formel de gestion des carrières, mais aussi dans les pratiques informelles de sélection-détection (effets de réseaux et jeux d’influence), les attentes de rôles et les représentations associées à la figure du « manager » au cœur des outils d’évaluation des compétences. Cette contextualisation des freins à la carrière des femmes permet de comprendre les points de résistance majeurs au processus de féminisation de l’encadrement supérieur dans un contexte institutionnel pourtant favorable (existence d’un accord Egalité professionnelle et d’une politique de diversité).
Susan Halford 

Changement organisationnel et stratégies identitaires. Le cas de cinq infirmièr-e-s britanniques
La sociologie des organisations s’est intéressée, ces dernières années, à la relation entre le genre et les organisations de travail en particulier dans le cadre de recherches sur le changement organisationnel. L’« identité » s’impose comme une notion centrale dans ces travaux, au moment où les organisations exigent de la main-d’œuvre de nouvelles « performances » liées aux constructions discursives de la masculinité et de la féminité. Cet article explore les exigences organisaitonnelles de « perfor­mance » genrée et la construction des identités individuelles. Il s’appuie sur l’analyse d’entretiens menés avec cinq infirmiers et infirmières travaillant dans deux hôpitaux du National Health Service (nhs) britannique. L’étude met au jour des pro­cessus d’ajustement complexes, puisque les individus construi­sent activement leurs identités genrées fondées notamment sur leur interprétation des changements organisation­nels et profession­nels. Cela permet, en retour, de réfléchir sur la nature et la forme de la politique au travail et sur de nouvelles formes d’organisation du travail.
Guillaume Malochet 

Des femmes dans la maison des hommes. L’exemple des surveillantes de prison
Cet article s’intéresse à la féminisation du personnel de surveillance dans les prisons pour hommes. Il en fait le point d’observation privilégié de la dynamique des rapports de genre en prison. Il montre, d’une part, que l’arrivée de surveillantes offre un miroir grossissant très utile pour mettre au jour les mécanismes organisationnels par lesquels passe la domination masculine dans l’univers carcéral. Il met en lumière, d’autre part, comment la féminisation, dans un métier et un espace organisés selon des impératifs sécuritaires qui apparaissent indissociablement « genrés », révèle les principes et les représentations de cette « maison des hommes ». Ce faisant, l’analyse proposée lie trois niveaux souvent disjoints : celui des principes d’organisation observables en prison, celui des interactions sociales qui s’y nouent et celui des rapports de genre qui y prévalent.
Céline Marc et Hélène Zajdela 

Politique familiale et emplois des mères, peut-on importer le modèle suédois ? 

L’objectif de cet article est d’évaluer la pertinence des mesures visant à articuler vie familiale et vie professionnelle en France et en Suède, en examinant plus particulièrement leurs effets sur l’emploi des mères. Afin de comparer les effets de la politique familiale, nous examinons dans un premier temps, les structures institutionnelles des deux pays concernant les congés parentaux et la garde des jeunes enfants. Puis nous proposons une analyse statistique comparative du recours au temps partiel et de son influence sur la ségrégation professionnelle. En France, le recours au temps partiel des mères découle en partie de la structure du marché du travail. En Suède, le temps partiel est apparemment choisi mais l’articulation des vies familiale et professionnelle le rend inéluctable. Il crée des obstacles pernicieux à l’accès des mères à certaines professions qui sont considérablement plus concentrées dans des professions fémini­sées que les mères françaises. Ainsi, si le modèle suédois facilite effectivement l’emploi des mères, il présente néanmoins des faiblesses : tant que le congé parental ne concernera que les mères, il restera une source d’inégalité professionnelle entre les hommes et les femmes.
Carlos Prieto

La querelle des sexes dans l’histoire de la modernité espagnole

Partant du présupposé selon lequel les définitions des composantes de l’ordre social ont toujours une dimension normative, l’objet principal de cet article est de cerner la définition de la femme, de l’homme et de leur rapport qui sous-tend la problématique de la « conciliation » tel qu’elle qu’est formulée par la Loi espagnole de 1999 : une définition qui les voit comme égaux et identiques. Pour mieux comprendre sa spécificité on creusera, d’abord, dans l’histoire de la modernité espagnole à la recherche de son archéologie. On verra ainsi comment avec la révolution libérale émerge au xixe siècle la définition de l’être humain comme un individu qui travaille. On montrera ensuite que cette première définition en cache une autre qui différencie entre « l’homme » et « la femme » tout en assignant au premier l’activité de « travail » ainsi qu’une position de domination, et à la deuxième l’activité de « soins » associée à une position subordonnée. Le moment de la « conciliation » sera le troisième volet.
Ina Wagner et Andrea Birbaumer

Les femmes cadres dans les entreprises innovantes 

Cet article se base sur une étude des femmes leaders dans des entreprises innovatrices des secteurs des médias, de l’architecture et des services financiers dans l’agglomération urbaine de Vienne. Notre analyse des données de terrain nous est fournie par le débat en cours sur l’approche sexuée des organisations et des professions. Nous regardons comment les femmes s’affirment au travail dans un processus de négociation avec leurs collègues, comment d’une part, elles répondent à la culture de l’organisation et aux normes des communautés professionnelles de leur domaine, et d’autre part, elles modifient cette culture particulière. Nous regardons également les pratiques professionnelles des femmes dans la perspective de leur biographie individuelle, cherchant à comprendre l’influence des thèmes de vie, le rôle des partenaires de vie et celui de tournants dans leurs carrières.Haut de la page

N°18, 2007 – Genre et organisations

Parcours
Viviane Isambert-Jamati

Controverse
Y a-t-il une féminisation de la vie politique ?

Nathalie Bosse et Christine Guégnard

Les représentations des métiers par les jeunes : entre résistances et avancées

En s’appuyant sur une enquête réalisée auprès de 1 149 élèves, l’article met en lumière leurs représentations des métiers où se mêlent des visions de monde différenciées selon les caracté­ristiques individuelles de ces jeunes. Une large majorité de lycéennes, et plus particulièrement des sections scientifiques et industrielles, ont une appréciation des métiers qui tend vers la mixité, alors qu’une résistance et une persistance des stéréo­types de sexe demeurent du côté des garçons. Les écrits des jeunes soulignent également la constance des représen­tations rattachées aux qualités naturelles et aux rôles tradition­nels des femmes et des hommes. « Maternité, douceur et compré­hension »
sont les mots associés aux professions des femmes, alors que « 
force, résistance et courage »
caractérisent les métiers des hommes.
Dominique Epiphane 

My tailor is a man… La représentation des métiers dans les livres pour enfants

Dans une perspective de compréhension du marché du travail fortement sexué, en amont duquel les orientations scolaires des filles et des garçons sont extrêmement clivées, cet article propose une analyse de la représentation du monde du travail et des professions dans les albums illustrés pour enfants. Cet article vise à montrer combien, dès leurs premières lectures, les enfants sont confrontés à une vision du marché du travail ségrégué. Les métiers présentés aux enfants sont des archétypes sexués dépassant la réalité même du marché du travail : les professions occupées, les responsabilités exercées et les secteurs investis par les unes et les autres y sont encore davantage clivés ; la ségrégation, aussi bien horizontale que verticale, y est encore plus forte.
Clotilde Lemarchant 

La mixité inachevée. Garçons et filles minoritaires dans les filières techniques

Centrée sur les orientations scolaires atypiques de garçons et filles minoritaires dans les formations techniques (moins de 20 %), cette recherche vise à mieux connaître les motivations, les modalités d’accueil et les projets scolaires et professionnels de ces lycéens et lycéennes. L’enquête, combinant entretiens, ques­tionnaires auprès de lycéen/nes mais aussi de proviseurs et enseignants normands, montre des résultats contrastés. Les garçons, bien intégrés, soulignent des difficultés d’orientation (la moitié suit cette formation par défaut) ; les filles, davantage motivées, ressentent comme un handicap leur situation minoritaire lors de la formation et pour l’avenir, soulignant des difficultés liées aux rapports inégalitaires entre les sexes.
Françoise Vouillot 

L’orientation aux prises avec le genre 

Les statistiques révèlent toujours une inégale répartition des filles et des garçons dans les différentes filières de formation. On a souvent invoqué le manque de diversification des choix d’orientation des filles pour expliquer la ségrégation sexuée du marché  du travail et ses conséquences négatives sur l’insertion professionnelle et le déroulement de carrière des femmes. Cette vision centrée sur l’orientation des filles occulte que les garçons ont également des choix sexués et désertent eux aussi certaines filières. L’article montre qu’en France, un des pays pionnier de l’orientation, la longue indifférence à l’influence du genre dans la détermination des projets scolaires et professionnels, tant dans la recherche en psychologie de l’orientation que dans les préoccupations des praticiens et usagers, a freiné l’élaboration d’analyses critiques et d’éléments théoriques pour fonder des politiques d’actions et des pratiques susceptibles de produire une dé-sexuation de l’orientation.
Claudio Zanier 

La fabrication de la soie : un domaine réservé aux femmes 

Depuis qu’au Moyen-Âge la culture de la soie a fait son entrée en Europe, les femmes ont joué un rôle central dans l’élevage des vers à soie et le tissage des fils de soie. Un rôle similaire existait en Asie et en Afrique du Nord – de la Chine à l’Iran et au Maroc – indépendamment de la religion et de la distribution sexuée des rôles. De plus, elles contrôlaient substantiellement les bénéfices dérivés de la fabrication de la soie. Les hommes tentèrent à plusieurs reprises de maîtriser le processus de production de la soie, mais les femmes réussirent à conserver leur rôle central jusqu’au xixe siècle. En plus de la transmission dans les lignées de femmes d’un savoir technique sophistiqué, incluant les « secrets » concernant la santé des vers à soie et la protection diabolique, un certain nombre de rituels et de croyances en la capacité exclusive des corps féminins à couver les œufs des vers leur donna la main sur les hommes. Beaucoup de ces croyances pourraient avoir migré vers l’ouest en partant de la Chine, suivant la progression de la culture de la soie elle-même.

N°15, 2006 – Salaires féminins, le point et l’appoint 

Parcours

Judith Butler 

Controverse

La condition fœtale. Une sociologie de l’engendrement et de l’avortement de Luc Boltanski  

Christian Baudelot et Delphine Serre

Les paradoxes d’une satisfaction. Ou comment les femmes jugent leurs salaires 

Lorsqu’on demande aux femmes si elles sont satisfaites de leur salaire, compte tenu du travail qu’elles fournissent, leurs réponses diffèrent à peine de celles des hommes alors que leurs salaires sont inférieurs de 20 %. Le paradoxe s’explique dès lors qu’on prend en compte le poids de la représentation du salaire féminin comme salaire d’appoint et que l’on cherche à comprendre les points de référence qui servent aux unes et aux autres pour évaluer leur salaire. C’est en comparant leurs salaires à ceux de leurs supérieurs immédiats ou de leurs collègues masculins que les hommes expriment leur satisfaction ou insatisfaction alors que c’est en mesurant le chemin parcouru depuis la génération de leurs mères et en comparant leurs salaires à ceux d’autres femmes souvent moins bien payées que les femmes évaluent le niveau de satisfaction qu’elles retirent de leur travail et de leur salaire.

François Beck, Stéphane Legleye et Gaël de Peretti

L’alcool donne-t-il un genre ? 

L’étude des comportements de consommation d’alcool et de leur perception par la société est une approche intéressante de la notion de genre, en particulier en France où cette consommation est fortement intégrée aux relations sociales (repas de famille ou entre amis, célébrations en tout genre, etc.) et donc a priori
moins stigmatisée que dans certains autres pays. En nous appuyant sur les travaux de Sidsel Eriksen (1999) qui définit l’alcool comme un « symbole » du genre et une exploitation statistique de nombreuses sources récentes (Baromètre santé 2000, Eropp 2002), nous montrons que la dichotomie entre genre et perception par la société de la consommation d’alcool qui s’affirme au xixe siècle se prolonge aujourd’hui. En particulier, bien que la consommation d’alcool reste faible chez les femmes et très inférieure à celle des hommes, le spectre de l’explosion de cette consommation est régulièrement agité comme une réelle menace pour la société.

Delphine Roy

L’argent du ménage : qui paie quoi ? 

Loin d’être fondus en un unique « budget du ménage », l’argent de l’homme et celui de la femme restent, dans un couple, différenciés. Une analyse élémentaire des données de l’enquête « Budget des Familles » de l’Insee indique que l’argent des deux conjoints ne sert pas toujours à la même chose : certains postes de dépenses sont clairement sexués. D’un point de vue ethnographique, on observe que l’ampleur et les modalités de la mise en commun des ressources au sein du couple ne vont pas de soi. Le domaine du budget collectif est plus ou moins étendu, et sa négociation explicite, pas toujours possible ni souhaitée. Enfin, dans le cas où la femme gagne moins que l’homme et où il n’y a pas de compte commun, on constate que tous les ménages rencontrés procèdent d’une façon totalement opposée à la notion de « salaire d’appoint » : c’est le « petit » salaire de la femme qui constitue la base de l’argent collectif.

Laura Lee Downs

Salaires et valeur du travail 

L’entrée des femmes dans les industries mécaniques sous le sceau de l’inégalité en France et en Grande-Bretagne (1914-1920) 

Quelles sont les origines du décalage quasi universel entre les salaires féminins et les salaires masculins dans le travail industriel ? Cet article explore cette question à travers une étude comparée de l’entrée massive des femmes dans une industrie masculine – celle de la métallurgie – en France et en Grande-Bretagne à partir de l’automne 1914. L’entrée des femmes a transformé ces usines des espaces masculins en espaces mixtes, structurés par de nouvelles divisions sexuées de travail et de nouvelles hiérarchies de qualifications et de salaires. À travers l’étude des négociations salariales entre patrons, ouvriers, l’État et les ouvrières, cet article montre l’incapacité de l’État de protéger les ouvrières contre la stratégie patronale d’accorder aux femmes un salaire plus bas pour un travail égal, voire supérieure à l’homme qu’elle remplace. En effet, les bureaucrates d’une part et d’autre de la Manche furent convaincus que l’infériorité des salaires des femmes était non seulement traditionnelle mais encore quasi naturelle. Les interventions des ministères de l’Armement des deux pays dans les négociations salariales avaient pour résultat une nette amélioration des salaires féminins qui n’étaient souvent que des salaires de famine avant 1917. Or, après toutes ces interventions musculaires des deux ministères de l’Armement, le décalage entre les salaires féminins et les salaires masculins pour un même travail, qui était de l’ordre de 50 % au début de la guerre, restait autour de 20 % en France, et de 30 % en Grande Bretagne en 1918. La main-d’œuvre féminine gardait alors son statut de main-d’œuvre peu cher, et les industriels français et britanniques émergeaient de la guerre fourbis d’une nouvelle arme redoutable dans leur lutte pour faire baisser le coût de la production : la femme métallurgiste, payée selon sa propre échelle de bas salaires pour un travail accompli, auparavant, par un homme.

Marie-Thérèse Lanquetin

Chronique juridique des inégalités de salaires entre les femmes et les hommes 

La revendication « à travail égal, salaire égal », est ancienne et a pu être ambiguë. Elle s’est d’abord exprimée dans un contexte de concurrence économique avant d’être reconnue comme un principe de justice puis comme un droit fondamental. La notion de salaire « féminin » a perduré jusqu’à l’affirmation du principe d’égalité entre hommes et femmes. Mais des difficultés se sont maintenues face à la liberté de fixation des salaires par l’employeur au-delà des minima
légaux et conventionnels. Des « outils » juridiques et judiciaires existent pourtant, construits d’abord par le droit communautaire afin de renforcer le principe d’égalité de rémunération et de lutter contre les discriminations. La construction du sens et de l’efficacité du principe d’égalité s’est faite par la voie judiciaire. Elle est d’abord l’affaire des acteurs car une loi ne signifie rien par elle-même, elle implique la construction de son sens. Or la lutte contre de telles inégalités de rémunérations est encore faible en France. Pourquoi ?

Séverine Lemière

Un salaire égal pour un emploi de valeur comparable


L’objectif des politiques de « valeur comparable », ou selon l’expression canadienne « d’équité salariale », est l’application concrète du principe « un salaire égal pour un travail de valeur comparable » pour lutter contre la dévalorisation des emplois occupés majoritairement par des femmes. Différentes expériences étrangères ont amené à proposer des critères d’évaluation des emplois. Ces méthodes fondées sur la « valeur comparable » des emplois donnent lieu à de nombreuses controverses.

Dominique Meurs et Sophie Ponthieux

Quand la variable « femme » ne sera plus significative dans les équations de gain… 

Dans la logique de l’analyse orthodoxe des déterminants des salaires, le rapprochement des niveaux d’éducation des femmes et des hommes devrait se traduire par un resserrement de l’écart des salaires. Cette prédiction peine à se réaliser : le niveau moyen d’éducation des femmes qui travaillent est supérieur à celui des hommes, mais leurs salaires restent en moyenne inférieurs. L’avantage éducatif n’est en effet pas de taille face aux différences de structure des emplois et de durée de travail, qui expliquent l’essentiel de l’écart des salaires. Ces différences sont liées à des phénomènes de ségrégation, eux-mêmes largement issus des comportements sociaux et de la distribution des tâches domestiques et familiales entre les femmes et les hommes.

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N°16, 2006 – Les dégâts de la violence économique 

Hommage

Madeleine Guilbert 

Controverse

Le « genre » interdit ? 

Stéphanie Gallioz 

Force physique et féminisation des métiers du bâtiment


L’objectif de l’article est de montrer que la notion de force physique comme caractéristique naturellement dévolue aux hommes, pendant de la fragilité de la femme, est le résultat de la construction sociale de la masculinité et de la féminité. Nous avons, pour cela, pris appui plus particulièrement sur le secteur du bâtiment. Dans ce dernier, la mobilisation de la notion de force physique a réussi à la fois à interdire et à occulter la présence des femmes. Le bâtiment, s’il ne peut être désigné de secteur non mixte par excellence, les femmes y jouant depuis toujours un rôle important, se construit autour des caractères de la masculinité. La force physique apparaît alors comme une notion structurelle pour les métiers de ce secteur. Ainsi, être femme dans le bâtiment n’est pas quelque chose d’anodin, voire naturel. De ce fait, celles qui y travaillent malgré tout, sont soit niées, soit confinées sur certains métiers, tâches et fonctions.

Gao Yun, Florence Lévy et  Véronique Poisson 

De la migration au travail illégal : l’exploitation extrême des Chinois-e-s à Paris

La vulnérabilité est au cœur des parcours migratoires des Chinois vers la France. Elle commence lors du trajet et se poursuit bien après leur arrivée. Leur voyage se déroule souvent sur plusieurs mois dans des conditions inhumaines. L’arrivée en France ne marque pas la fin du calvaire, bien au contraire. Ils se retrouvent en situation irrégulière et pris en tenaille entre l’impossibilité d’obtenir  une autorisation de travail et la nécessité de rembourser leurs dettes au plus vite. L’économie souterraine, grande pourvoyeuse d’emplois illégaux, et en particu­lier l’économie ethnique apparaît comme la seule issue possible. Une issue qui prend la forme d’une exploitation extrême par le travail. Cet article met en lumière ce type d’exploitation mis en œuvre par des employeurs souvent issus de la communauté chinoise et à ce titre les mieux placés pour abuser de la vulné­rabilité des nouveaux migrants.

Blanche Le Bihan-Youinou et Claude Martin

Travailler et prendre soin d’un parent âgé dépendant

Dans cet article, les auteurs proposent d’analyser la situation de femmes qui font face en même temps à une activité profession­nelle à plein temps et à la prise en charge quotidienne d’un parent ou d’un beau-parent âgé dépendant. Ils analysent à la fois la manière dont les femmes organisent cette prise en charge et l’impact que celle-ci a sur leur vie personnelle, familiale et professionnelle. A la différence des soins dispensés aux enfants en bas âge, ces femmes puisent dans leurs temps personnel et familial le temps nécessaire pour faire face à cette pression, tout en préservant leur implication professionnelle.

Isabelle Puech  

Femmes et immigrées : corvéables à merci 

Dans le secteur des services, des milliers de femmes connaissent des formes d’exploitation salariale diffuses, peu visibles, socia­lement tolérées. Cet article propose de mettre en lumière un mode de gestion de la main-d’œuvre non qualifiée qui, sous couvert de flexibilité et de compression maximale des coûts, utilise les femmes les plus vulnérables sur le marché du travail – en particulier les femmes immigrées – comme variable d’ajus­te­ment. À partir d’une enquête de terrain menée auprès d’une population de femmes de chambre, l’article s’attachera à mettre au jour une face cachée des emplois précaires. Des emplois souvent à durée indéterminée qui ne protègent pas des conditions de travail pénibles, des temps de travail à rallonge, des salaires au rabais et des prati­ques patronales frauduleuses.

Christian Trotzier  

Le choc du licenciement : femmes et hommes dans la tourmente

Deux enquêtes de terrain ont été conduites, l’une en 1999, l’autre entre 2003 et 2005, auprès d’ouvrières et d’ouvriers licencié-e-s en 1979 et 1983 dans le cadre de réductions d’effectifs. Le caractère sélectif de l’exclusion génère de forts sentiments d’injustice et d’humiliation que l’on ne retrouve pas dans le cas d’une fermeture d’établissement. Le désarroi qui suit le licenciement, lié princi­palement à l’estimation des perspectives d’emploi, apparaît plus fréquemment chez les femmes. Les troubles de la santé qui surgissent sont spécifiques à chaque sexe. Chez les femmes, des états dépressifs s’installent sur le long terme. La vulnérabilité sociale enclenchée par le licenciement se ponctue, chez les hom­mes, par une surmortalité. Le capital collectif est détruit. La défian­ce définitive des licencié-e-s envers le syndicalisme en est un aspect. Le sentiment d’injustice se vit dans la solitude. Il nourrit le ressentiment. La violence des licenciements apparaît ici comme une violence cachée.

N° 13, 2005 – Les patronnes

Parcours

Mayant Faty

Controverse

Être féministe aujourd’hui

Annie Fouquet

Les femmes chefs d’entreprise : le cas français

Qui sont aujourd’hui les femmes chefs d’entreprise ? Combien sont-elles ? Comment devient-on chef d’entreprise quand on est une femme ? Pourquoi entreprendre ? Telles sont quelques-unes des questions auquel cet article répond, à partir de données statistiques tirées des enquêtes Emploi de l’Insee, et d’une enquête monographique réalisée auprès de femmes chefs d’entreprise en Ile de France. L’article se concentre sur les dirigeantes d’entreprises ayant des salariés. Ce n’est pas pour faire reconnaître des capacités mal reconnues dans leur parcours professionnel antérieur, mais par volonté d’entre-prendre que ces femmes ont créé ou repris une telle entreprise. La création vient dans la continuité d’un parcours de réussite. Elles manifestent des qualités traditionnellement féminines, dans les choix d’activité, les formes de management. Majoritairement dans le secteur des services, elles y réussissent mieux que les hommes. L’accès à la fonction de chef d’entreprise par succession fait exception à ce tableau : ce parcours est plus souvent subi que choisi, les activités plus réparties, et leur satisfaction moindre.
Clare Haru Crowston

La reine et sa « ministre des modes » : genre, crédit et politique dans la France pré-révolutionnaire  

Cet article porte sur le rôle économique, culturel et polique des circuits de crédit pendant l’Ancien Régime à travers une étude de la carrière de la marchande des modes Rose Bertin. Il traite de trois aspects des pratiques autour des circuits de crédit de Rose Bertin : son implication dans des réseaux de crédit marchand, sa manipulation de sa réputation comme forme  particulière de crédit, et la façon dont ses ennemis ont souligné ses relations de crédit avec Marie Antoinette afin de discréditer l’économie politique de l’Ancien Régime. L’article utilise l’étude de la carrière de Rose Bertin pour révéler l’implication des femmes dans plusieurs circuits de crédit, et il met l’accent sur les liens pratiques et conceptuels entre crédit et d’autres formes sexuées de circulation comme la mode ou le sexe.
Jackie Clarke

L’organisation ménagère comme pédagogie. 

Paulette Bernège et la formation d’une nouvelle classe moyenne dans les années 1930 et 1940 

Cet article porte sur le mouvement de rationalisation (c’est-à-dire l’organisation scientifique) de l’espace et du travail domestique qui s’est développé en France dans l’entre-deux-guerres, sous la houlette de Paulette Bernège. Il traite de son projet éducatif de Bernège qui visait à construire, pour les familles de la classe moyenne, une nouvelle femme et un nouvel espace domestique. Cet article met en lumière l’inter-pénétration des rôles d’organisateur scientifique et d’éducateur, montrant comment Bernège a élaboré des théories pédagogiques basées sur le mouvement pour une éducation nouvelle et sur les méthodes d’organisation du travail industriel, telles que le taylorisme et l’ergonomie. Les leçons d’organisation domestique de Bernège reposent sur une autodiscipline stricte devant façonner l’esprit et le corps des étudiants. La femme et l’espace domestique ainsi « rationalisés » sont censés inculquer aux époux et aux fils les bases d’une efficacité productive dans l’espace professionnel.
Christine Mennesson

Les femmes guides de haute montagne : modes d’engagement et rapports au métier
La profession de guide de haute montagne se féminise à partir du milieu des années 80 en France, mais reste actuellement essentiellement investie par les hommes. Cet article analyse, d’une part, les conditions sociales permettant l’engagement de femmes dans cette profession, et d’autre part, leurs carrières professionnelles et leurs rapports au métier. Deux modes de découverte des activités de montagne (précoce et familial ou plus tardif en compagnie d’hommes), ainsi qu’une socialisation sexuée enfantine au sein du groupe des pairs masculins, favorisent l’investissement des femmes dans les pratiques sportives de haute montagne. Si la constitution du goût pour ces activités renvoie à des modes d’initiation spécifique, leur conversion en activité professionnelle se réalise au terme d’un parcours long et difficile. Les femmes accèdent ainsi relativement tardivement au métier, notamment en raison de leur difficulté à construire un « crédit réputationnel » suffisant pour accéder à la formation. Par ailleurs, les femmes guides exercent leur métier dans des conditions souvent peu valorisées. Pour les mères, il semble d’autant plus difficile de réussir leur carrière qu’elles vivent avec des hommes guides peu dotés en capital culturel. Pour les autres, ne pas avoir d’enfants apparaît comme un choix indispensable à leur investissement professionnel. Enfin, pour s’imposer sur un marché du travail dominé par les hommes, les femmes guides privilégient majoritairement une conception dite féminine du métier, en valorisant notamment les aspects relationnels de la profession. Leur souci d’expliquer en permanence leur démarche à des clients parfois inquiets leur permet d’attirer une clientèle spécifique et de se placer en position favorable dans une conjoncture où la question de la sécurité constitue une préoccupation majeure.
Mary Yeager

Regard sur l’histoire américaine des affaires

Les femmes ont toujours été dans les affaires, et certaines avec un esprit d’entreprise plus développé que d’autres. Mais jusqu’à une période relativement récente, les business women demeuraient les grandes absentes des récits dominants de l’histoire des femmes et de l’histoire des affaires. Une récente émission à succès de la télévision américaine, The Apprentice a mis en lumière les interactions à l’œuvre sur le marché du travail entre les jeunes femmes et les jeunes hommes travaillant dans les affaires. Cela répond à une question majeure : pourquoi, dans la société la plus individualiste et la plus orientée vers le marché, les hommes et les femmes se sont-ils forgés des parcours tellement distincts et dissemblables dans le monde des affaires ?
Claire Zalc

Femmes, entreprises et dépendance. 

Les entrepreneuses étrangères à Paris dans l’entre-deux-guerres 

Le rôle de « patronne » d’entreprise est-il synonyme, pour une femme, et qui plus est, pour une étrangère, d’émancipation ? L’étude des formes de participation des femmes immigrantes au monde de la petite entreprise parisienne dans l’entre-deux-guerres permet d’apporter quelques réponses à cette question. Cet article s’attache à faire état de l’importance de l’engagement des femmes dans le monde de la boutique et de l’atelier, engagement souvent essentiel à l’activité bien que passé sous silence dans les sources administratives. Mener l’étude des femmes dans l’univers de l’indépendance engendre alors la question des rapports entre rôle économique et rôle familial. En outre, lorsqu’on s’intéresse au monde de la petite entreprise étrangère, l’angle de vue se complexifie puisque s’y adjoint la question de la place des femmes entrepreneuses dans le dispositif des stratégies professionnelles, urbaines et économiques des immigrants.
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N°14, 2005 – Sciences, recherche et genre

Parcours

Gisèle Halimi

Controverse

Métamorphose de la parenté  de Maurice Godelier

Sandra Beaufaÿs et Beate Krais

Femmes dans les carrières scientifiques en Allemagne : les mécanismes cachés du pouvoir
Les statistiques de l’Union européenne montrent chaque année de nouveau la sous-représentation des femmes aux sommets des carrières scientifiques. L’Allemagne fait généralement partie des pays où des femmes sont très rarement dans ces positions. Jusqu’à la période actuelle, la recherche tente d’expliquer cet état de fait surtout par des facteurs liés aux femmes elles-mêmes, comme leurs intérêts, leur manière spécifique d’envisager leur carrière, leur personnalité « peu adaptée à la science », etc. Notre enquête n’étudie pas les femmes, mais le champ scientifique. L’article traite de l’organisation, des relations sociales et des interactions au sein du travail qui consiste à produire des résultats scientifiques. Ce contexte n’est pas neutre mais fondé sur des rapports sociaux de sexe. À partir de deux enquêtes empiriques, l’analyse montre qu’au centre d’un ensemble de conditions complexes qui mènent à l’exclusion des femmes des carrières scientifiques, se situe le problème de la non-reconnaissance des femmes comme « co-joueuses » du champ scientifique.
Delphine Gardey

La part de l’ombre ou celle des Lumières ? Les sciences et la recherche au risque du genre

Cet article propose une lecture de la façon dont les sciences sociales contemporaines ont envisagé les liens entre les femmes (puis le genre) et les sciences et finalement la recherche au cours des trente dernières années. Son objectif est de souligner la vitalité de ces domaines, leur diversité empirique, méthodologique et théorique, les modalités de leur relation avec des réflexions sociales et politiques plus larges, leurs limites mais aussi leurs potentialités. Suivant en cela la façon dont ces travaux se sont historiquement développés, l’article s’intéresse d’abord à la question – classique – de la part et de la place des femmes dans la production des sciences et des savoirs. La question initiale : ‘qui a pu (qui peut) produire des sciences dans les sociétés occidentales ?’ permet d’ouvrir une série d’attendus ayant trait à la façon dont les sciences sont ordinairement produites, dont elles s’insèrent dans les valeurs et les cultures dominantes d’une époque, dont elles contribuent à définir et redéfinir des rapports sociaux et notamment de sexe. L’article tente finalement de mettre en évidence trois apports de ce champ de réflexion critique : les études de genre ont transformé et transforment les conceptions ordinaires sur ce que sont les sciences et permettent d’en donner une vision plus réaliste ; la contribution des femmes aux sciences (sociales et dures) devrait être envisagée comme une opportunité d’enrichissement et d’universalisation des sciences ; l’ouverture de la recherche à la société dans la diversité de ses composantes (aussi bien du point de vue des acteurs légitimes de la production des connaissances que de la définition de ses contenus et agendas, et de l’évaluation de ses pratiques) devrait être à l’agenda du monde de la recherche dans l’avenir.
Emmanuelle Houzé-Robert

La mémoire n’est pas neutre. Souvenirs de femmes à la faculté des sciences et techniques de Nantes

Ce texte propose d’explorer la mémoire d’universitaires pour cerner certains aspects de la dynamique des rapports sociaux de sexe dans une faculté peu féminisée, la Faculté des Sciences et Techniques de Nantes, considérant que la place sociale est déterminante de la structure, de la forme et de l’étendue de la mémoire. Dans les souvenirs portant sur les enseignantes s’exprime l’androcentrisme de l’institution. Dans les récits de vie professionnelle des enseignantes chercheures se révèle la forte ségrégation horizontale et verticale des emplois qui existe dans l’établissement, à cet échelon pourtant élevé du salariat d’encadrement. L’entrée par la mémoire permet cependant de se garder de tout constat misérabiliste : les femmes jouent du caractère composite de leur métier pour construire des carrières en rapport avec leurs ambitions.
Ilana Löwy

Le féminisme a-t-il changé la recherche biomédicale ? Le Women Health Movement et les transformations de la médecine aux États-Unis 

Pour certains observateurs, la médecine a radicalement changé sous la double pression du mouvement féministe et des femmes médecins – de plus en plus nombreuses dans la profession. Cet article examine la pertinence d’une telle affirmation, ainsi que la contribution du mouvement des femmes dans la modification des pratiques médicales, notamment à travers l’étude du rôle du « Women Health Movement » (WHM) sur les attitudes des femmes et des médecins. Ce mouvement a contesté le pouvoir des experts, proclamé le droit des femmes à prendre en charge leur corps et développé des structures médicales « parallèles », co-animées par des professionnels/elles et des militantes. Si la formidable charge radicale portée par le WHM dans les années 1970 s’est diluée par la suite, des actions inspirées par le mouvement continuent cependant à façonner la médecine et la recherche biomédicale aux États-Unis.
Catherine Marry et Irène Jonas

Chercheuses entre deux passions : l’exemple des biologistes

Le monde académique n’échappe pas au plafond de verre ou au ciel de plomb qui pèse sur les carrières des femmes : dans toutes les disciplines, leur part s’étiole au fil de la hiérarchie des grades et des honneurs. Cet article, appuyé sur des données statistiques et des entretiens, se propose d’apporter des pistes d’explication à ces inégalités sexuées dans le monde académique en explorant un coin du ciel de plomb : celui qui pèse sur les chercheuses en sciences de la vie en France. Il met l’accent sur la dimension subjective, c’est-à-dire sur les plaisirs et souffrances du métier de chercheur et sur les contradictions, particulièrement vives chez les femmes, générées par les injonctions contradictoires à l’exercice idéal de ce métier et de celui de mère.
Anne-Lise Moreau

Sur l’éducation des enfants et les droits à la retraite

Quel est le sens de la reconnaissance du temps d’éducation des enfants pour les droits à la retraite alors que la situation de femme au foyer concerne beaucoup moins les générations qui vont partir à la retraite désormais ? La question de l’équité des droits entre pères et mères en la matière est sous-jacente depuis l’affaire Griesmar, dans la fonction publique. Dès lors, elle devait nécessairement être traitée à l’occasion de la réforme des retraites. Cependant, faute d’avoir pris en compte plus fondamentalement la dimension d’égalité des droits à la retraite entre les hommes et les femmes, la question reste encore à débattre. Au-delà de la stricte problématique des genres, peut se poser la question du droit des familles.

N°11, 2004 – Statistiques : retour aux sources

Parcours

Thérèse Locoh

Controverse


La mixité en question

Thomas Amossé

Professions au féminin :

représentation statistique, construction sociale


La présence des femmes sur le marché du travail ne va pas de soi, dans les statistiques comme dans la réalité. En témoigne notamment la place des emplois féminins dans la nomenclature des professions et des catégories socioprofessionnelles (PCS) de l’Insee : au regard de professions masculines le plus souvent décrites avec une précision de diamantaire, les professions féminines apparaissent comme des agrégats statistiques aux contours et aux contenus imprécis ; trois fois moins nombreuses, elles ont en moyenne des effectifs trois fois supérieurs. La concentration statistique des emplois féminins, qui reflète une double ségrégation à la fois réelle et symbolique – d’une part les femmes accèdent peu à une majorité de professions, d’autre part celles qu’elles exercent n’occupent que peu de place dans la nomenclature –, renvoie à une construction socio-politique sexuée des métiers et qualifications qui s’exprime jusque dans la définition des catégories et règles de classement statistiques. Sans être neutre (comment pourrait-elle prétendre l’être ?), la nomenclature des PCS ne fait ainsi qu’enregistrer et prolonger les inégalités de représentation professionnelle entre hommes et femmes.
Annie Fouquet

L’invention de l’inactivité


Cet article part à la recherche de la création du concept d’inactivité utilisée de façon naturelle pour parler des femmes au foyer ou des femmes de paysan. On le trouve défini ainsi pour la première fois au recensement de 1896 où la population active s’oppose à celle des oisifs, la frontière entre les oisifs et les chômeurs étant un grand thème du débat de l’époque. L’inactivité n’est jamais définie que par son contraire, l’actif, au sens de l’économie politique qui naît au XVIIIe siècle avec Adam Smith puis les physiocrates qui recherchent les moyens d’agir sur l’économie en mettant à jour les lois. L’invention de l’adjectif inactif date de la même époque et prend son sens initial dans la recherche physico chimique pour parler d’une substance inerte ou d’un remède sans effet. C’est pour trouver des principes d’action sur la société, que les « économistes » ont exclu du travail productif la sphère domestique sur laquelle le politique ne saurait agir. Limitant avec Malthus leur champ d’action au seul domaine quantifiable, ils laissent dans l’ombre la part d’échange symbolique et de création de lien social que comporte tout échange.
Jacques Freyssinet

Taux de chômage ou taux d’emploi, retour sur les objectifs européens


L’introduction du taux d’emploi, de préférence au taux de chômage, comme objectif de la politique de l’emploi, en particulier de la stratégie européenne de l’emploi, est riche d’enseignements sur le mode de construction des catégories jugées pertinentes pour le débat social. L’effet principal de ce choix est de polariser l’intérêt sur les catégories dont le taux d’activité est susceptible de varier fortement. L’accord n’a été possible que sur la base de l’ambiguïté. D’un côté, accroître le taux d’emploi peut être présenté comme une condition pour assurer le respect effectif du droit au travail pour tous. De l’autre, au nom de cet objectif, sont légitimées des politiques qui visent à attirer les inactifs sur le marché du travail et à contraindre les actifs à accepter les emplois tels qu’ils sont proposés. Les contradictions potentielles entre ces deux démarches apparaissent le plus clairement dans le cas du travail féminin.
Pierre Leroux et Philippe Teillet

La domestication du féminisme en campagne


La place problématique des femmes en politique en France, et les perspectives ouvertes par la mise en œuvre des règles relatives à la parité, conduit à s’interroger sur le poids du genre dans l’échange électoral. Au-delà des apparences qui font oublier que l’univers politique est marqué de multiples façons par une domination masculine, l’investissement des femmes en politique renvoie à l’ambiguïté des profits et des risques liés à la valorisation du « féminisme » ou du « genre » dans cette sphère d’activité. Etudié à travers l’exemple emblématique d’une ministre en campagne électorale pour les élections législatives, la gestion de l’identité publique et des biens « féministes » se trouve confrontée à des contraintes qui imposent de les présenter sous une forme « domestiquée ».
Maryse Marpsat

Les personnes sans domicile ou mal logées


Réaliser des enquêtes statistiques implique de donner une définition précise du champ visé par l’enquête et de trouver une méthode permettant de le couvrir au mieux. Au-delà de la définition « spontanée » liée à la visibilité de certains sans-domicile dans l’espace public, les statisticiens français ont adopté une définition des personnes sans domicile liée à la situation de logement et à elle seule, à l’exclusion d’autres facteurs qui font partie de la représentation courante des sans-domicile comme la rupture des liens sociaux ou la maladie mentale. Pour autant, dans chaque « situation de logement », centre d’hébergement d’urgence, foyers de longue durée, rue, la structure de la population est différente, en particulier selon le genre. Enfin, la façon dont les personnes perçoivent leur propre situation influe sur les réponses qu’ils donnent aux enquêteurs et doit être prise en compte pour l’interprétation des résultats. Mais ces difficultés dans l’établissement de définitions et la construction de nomenclatures sont aussi une source de connaissances, permettant à la fois de réfléchir aux limites des instruments statistiques et au type de vision qu’ils donnent de la réalité et à la fois de mieux connaître l’univers sur lequel nous essayons de construire ces statistiques.
Marion Paoletti

L’usage stratégique du genre en campagne électorale


La position particulière de candidate (aux élections législatives de 2002, pour le Parti socialiste, face à Alain Juppé dans la seconde circonscription de Gironde) incite à appréhender le genre comme une ressource politique, en dépit de l’effacement du thème paritaire après le 21 avril 2002. Cette observation particulière, alliée à la volonté de repérer pratiquement l’utilitarisme dans l’univers militant, si elle conduit à une présentation excessivement intentionnaliste du genre, permet de mieux cerner les contraintes qui pèsent sur cette identité stratégique particulière. Comme ressource individuelle, les mises en avant de l’identité féminine doivent se faire dans les limites du code admis et néanmoins variable chez chacun. Cette mise en avant fait l’objet d’attentes contradictoires de la part des militants, à l’intérieur du parti et vers l’extérieur, vers les électeurs. Si c’est une ressource injouable individuellement, elle est, dans le contexte paritaire, davantage mobilisable collectivement même si cette possibilité est jusqu’à présent largement tributaire du degré de politisation des élections.
Sophie Ponthieux

Les travailleurs pauvres : identification d’une catégorie


La catégorie « travailleurs pauvres » s’articule autour de deux notions : le travail, et la pauvreté, ce qui en fait une catégorie hybride, définie au carrefour de deux unités statistiques : l’individu et le ménage. On verra que quelques-unes des caractéristiques de cette population, mises bout à bout avec d’autres informations et lues en termes de genre, composent un puzzle particulièrement intéressant : alors que les femmes ont en moyenne un risque de pauvreté égal à celui des hommes (la parité !) et représentent une vaste majorité des travailleurs dont les caractéristiques d’emploi sont défavorables, la majorité des travailleurs pauvres sont des hommes. Plus qu’un paradoxe, ce puzzle met en évidence les deux inégalités entre hommes et femmes : inégalité d’une part dans l’accès au marché du travail, inégalité d’autre part sur le marché du travail.
Thibaut de Saint Pol, Aurélie Deney et Olivier Monso

Ménage et chef de ménage : deux notions bien ancrées

Depuis 1982, le ménage ne désigne plus lui-même son « chef ». La « personne de référence » est déterminée par une règle systématique, privilégiant notamment l’homme sur la femme dans le couple. Les statisticiens ont entériné une vision masculine de la société qui trouve son origine dans une représentation traditionnelle de la hiérarchie familiale, exprimée de façon plus ou moins visible dans les recensements français depuis deux siècles. L’utilisateur doit donc garder à l’esprit que le passage par la personne de la référence impose une grille de lecture de la société. Les tentatives en cours pour proposer de nouveaux concepts (remplacement du ménage par l’unité de vie, critère budgétaire dans la désignation du chef de ménage…) devront pallier les imperfections des outils précédents tout en conservant la maniabilité qui, s’ajoutant à un ancrage historique fort, constitue l’avantage indéniable de ces derniers. Haut de la page

N°12, 2004 – Le travail du corps

Parcours

Louise Vandelac

Controverse


L’égalité professionnelle, vingt ans après

Philippe Charrier

Comment envisage-t-on d’être sage-femme quand on est un homme ?

L’intégration professionnelle des étudiants hommes sages-femmes


La profession de sage-femme, très marquée par le genre féminin, est une carrière qui a été choisie par quelques hommes depuis 1982, date à laquelle elle leur a été ouverte. Or, en raison d’un changement dans le système de recrutement, où les futures sages-femmes passeront par une première année de médecine, l’hypothèse est très forte de voir une augmentation de la présence d’hommes dans ce métier. L’école de Grenoble expérimente ce système depuis dix ans ; elle est donc le lieu idéal pour saisir les dynamiques professionnelles en cours. À partir du discours de douze étudiants garçons de cette école, nous analysons leurs formes d’intégration professionnelle, et s’il y a lieu de penser que les hommes sages-femmes créent ou non un nouveau segment professionnel, et quel rôle ils pensent jouer dans la professionnalisation en cours ?
Christophe Falcoz

Réflexions sur les rapports entre virilité et management.

Le point de vue des cadres homosexuel-le-s


La virilité moderne a été jusqu’alors peu étudiée en relation avec la question du travail et des organisations. Dans une perspective sociohistorique, l’auteur rappelle comment s’est construit la virilité, dès la deuxième moitié du XVIIIe siècle, sur la base de deux contretypes que sont les femmes et les homosexuels. Trois institutions sont évoquées plus en détail (Armée, Sport et Médecine) avant d’entamer l’analyse de l’Entreprise, une autre « maison-des-hommes » où les cadres, la carrière et les systèmes de gestion jouent un rôle clé dans la domination masculine. La présentation des résultats d’une enquête par questionnaire auprès de 194 cadres homosexuel-le-s permet enfin de montrer comment s’organise le contrôle de la conformité aux principes virils lors de l’accès aux postes de pouvoir dans les organisations. En particulier, sont étudiés, à travers les représentations des dominés, les registres et stratégies homophobes, les épreuves viriles, ainsi que leurs stratégies de masques et les conséquences des discriminations, inégalités et injures sur leur santé.
Rossella Ghigi

Le corps féminin entre science et culpabilisation : Autour d’une histoire de la cellulite


Cet article retrace l’émergence dans les discours scientifiques du début du siècle d’un nouveau objet, la « cellulite » et son apparition dans deux revues françaises des années trente, Votre Beauté et Marie Claire. Il décrit comment la cellulite, avant d’être « inventée », n’était que de la chair féminine adulte qui fut « localisée » par différents médecins tout le long du corps dans les endroits les plus divers (chevilles, régions abdominales, jusqu’à la nuque) et en quels termes ces endroits commencèrent à relever du « pathologique », devenant une marque de laideur à la fois corporelle et morale (dans la mesure où la cellulite naissait de la négligence de celles qui « se sont laissées aller »). Son but est précisément de montrer comment la croisade contre la « cellulite » a produit et reproduit une certaine construction du « féminin » et de quelle façon cette croisade s’intégrait bien avec l’idée de l’individu responsable de sa condition physique. La beauté n’est pas une grâce mais le signe visible d’un travail volontaire sur le corps ; l’article montre la culpabilisation morale liée à l’obésité pendant la période de l’entre-deux-guerres et examine les discours de l’époque qui ont esquissé l’image d’un corps féminin malsain et de sa dégénérescence, de l’intoxication due à la vie dans les grandes villes et au travail féminin, en se traduisant par une accusation contre la modernité même.
Karen Messing, Maude Randoin, France Tissot, Geneviève Rail, Sylvie Fortin

La souffrance inutile : la posture debout statique dans les emplois de service

La posture debout prolongée, observée chez la majorité des travailleuses québécoises, est associée à des troubles cardiovasculaires et des douleurs au dos, aux membres inférieurs et aux pieds. En effet, dans deux des cinq professions où l’on retrouve le plus de travailleuses, on observe une posture de travail debout prolongée et relativement statique. Cette contrainte posturale est typique de certaines expositions professionnelles des femmes parce que l’effort demeure peu évident et ne produit pas d’effet visible à court terme. Malgré les rapports de douleur, il y a beaucoup de résistance au changement. Le présent article rapporte les résultats de plusieurs études sur les postures de travail des femmes, sur les conséquences physiologiques de la posture debout statique prolongée et sur les attitudes des femmes et des hommes face à la posture debout, le tout, afin de comprendre le pourquoi de cette résistance.
Stéphane Portet

Le temps partiel en Pologne : un trompe-l’oeil de la segmentation sexuée du marché du travail


L’article s’ouvre sur le constat de la relativement faible féminisation du travail à temps partiel en Pologne. Sur la base du traitement des données brutes de l’enquête emploi polonaise mais aussi d’une recherche de terrain ayant duré trois ans, nous nous proposons de montrer ce qui se cache derrière cette réalité à la fois du point de vue des caractéristiques du travail à temps partiel en Pologne mais aussi plus largement du rôle du temps de travail dans la segmentation sexuée des professions. Le temps partiel polonais n’est pas un marqueur de genre, il est avant tout un palliatif aux carences de l’État providence qui force souvent les bénéficiaires de revenus de transferts à maintenir une activité professionnelle. Cependant, le temps de travail, est un des éléments clés pour comprendre la reconstruction de nouvelles inégalités de genre sur le marché du travail. Face à l’intensification et à l’allongement du temps de travail, les stratégies des hommes et des femmes se distinguent, un des effets directs de cette dynamique est l’accroissement de la segmentation sexuée des professions et du chômage.
Pierre-Emmanuel Sorignet

Être danseuse contemporaine : une carrière « corps et âme »


Le corps de la danseuse a cristallisé les enjeux quasi idéologiques sous jacents à la volonté de rupture avec l’académisme. S’écartant du modèle de la danseuse classique, la danseuse contemporaine apparaît libérée des contraintes physiques et morales imposées tout particulièrement dans les institutions de formation. Cependant, l’enquête montre la persistance, sous une autre forme, de l’imposition d’un modèle corporel féminin stéréotypé. Le marché du travail de la danse contemporaine permet ainsi de mettre à jour le décalage entre le discours idéologique propre au champ de la danse contemporaine (multiplicité des physiques féminins autorisés à danser, intérêt premier pour « la singularité » de l’individu) et les exigences requises pour obtenir un emploi sur le marché du travail de la danse contemporaine. Enfin l’importation des contraintes du métier dans les choix intimes (choix du conjoint et maternité) traduit l’ambiguïté d’un métier qui se vit comme une « libération » et une « vocation ».

N°9, 2003 – Filles et garçons : pour le meilleur et pour le pire
Parcours

Cynthia Cockburn

Controverse

Retraites : inégalités en tous genres !

Sohie Divay

L’IVG : un droit concédé, encore à conquérir

Cet article s’appuie sur les témoignages de femmes recueillis par observation participante dans le cadre d’entretiens obligatoires préalables à l’IVG. Elles relatent les obstacles qu’elles ont dû surmonter pour faire valoir un droit. Une part de leurs difficultés, voire souffrances, résulte des jugements de valeurs proférés par des professionnels du milieu médico-social ou par des membres de leur entourage, et également contenus dans les textes de loi. Force est donc de constater que l’avortement constitue, trente ans après sa légalisation, un stigmate moral dont il est en partie possible de se protéger à condition de vivre l’IVG dans la plus grande discrétion. L’association X, où le travail de terrain s’est déroulé, agit pour que les droits des femmes soient respectés et pour ce faire, revendique la suppression de l’entretien obligatoire. Les conseillères ont notamment aménagé les conditions de cet entretien afin de se démarquer de la fonction de contrôle social que la loi leur attribue. Ainsi rassurées, les femmes livrent les raisons de leur décision, ainsi que leur propre positionnement moral par rapport à l’IVG toujours aussi mal acceptée socialement.
Florence Maillochon

Le jeu de l’amour et de l’amitié au lycée. Mélange des genres

Au lieu d’étudier l’influence unilatérale du « groupe de pairs » sur les comportements sexuels des jeunes, cet article propose d’étudier les transformations de l’environnement amical des lycéens corrélatives de leurs premières relations sexuelles, à partir d’une double approche quantitative et qualitative effectuée auprès de lycéens de 15 à 18 ans. L’initiation sexuelle des jeunes s’inscrit dans un contexte de développement de l’ensemble des relations hétérosexuées, mais cette dynamique ne prend pas les mêmes formes pour les garçons et pour les filles. Les filles affichent des environnements relationnels plus mixtes que ceux des garçons, de sorte que la composante masculine des réseaux de sociabilité adolescents apparaît toujours la plus importante. Les réseaux amicaux des filles sont en outre toujours plus affectés par une relation amoureuse ou sexuelle que ne le sont ceux des garçons. Elles adoptent plus fréquemment que les garçons les relations amicales de leur partenaire, parfois au détriment des leurs. Au gré des rencontres amoureuses, les filles semblent donc sujettes à une sorte de « nomadisme relationnel », reflétant une forme de domination des réseaux masculins dans la sociabilité adolescente qui s’instaure avec les premières relations sexuelles.
Nicole Mosconi et Rosine Dahl-Lanotte

C’est technique, est-ce pour elles ?

Les filles dans les sections techniques industrielles des lycées


Cet article décrit, à partir de l’analyse d’entretiens, l’expérience scolaire de filles qui ont choisi des filières non-traditionnelles de l’enseignement technologique, génie civil et génie thermique. Sont examinées successivement les motivations de leur choix, leurs relations avec leurs pairs garçons marquées aussi bien par l’accueil favorable de quelques-uns et les résistances du plus grand nombre, qui se marquent par les plaisanteries sexistes et, en atelier, par la surprotection, la mise à l’écart ou l’assignation à des tâches subalternes ; les relations avec les enseignants, aidantes de la part de certains, plus ou moins discriminatoires chez d’autres ; et enfin leurs projets professionnels, là encore différenciés, entre celles qui espèrent pouvoir exercer un métier en relation avec leur formation et celles qui tirent de leurs stages des conséquences pessimistes sur leur insertion professionnelle et qui envisagent une réorientation plus ou moins complète. La division des territoires, qui fait du technique industriel un territoire masculin, reste encore très prégnante et fait de la présence des filles un combat quotidien.
Hyacinthe Ravet

Professionnalisation féminine et féminisation d’une profession : les artistes interprètes de musique

A l’égal d’autres professions qualifiées, l’accès des femmes à la pratique musicale comme professionnelles est récent et inachevé. En tant qu’artistes interprètes, en particulier comme instrumentistes, les musiciennes ont trouvé place dans les orchestres symphoniques permanents au cours de la seconde moitié du XXe siècle, sans toutefois investir tous les postes et tous les rôles : la division du travail reste forte et limite l’accès des femmes aux postes à responsabilité tels que solistes et chefs d’orchestre. L’article étudie ainsi la féminisation des professions d’orchestre en la confrontant aux résultats obtenus sur la place des femmes dans d’autres professions et à l’égard de l’emploi de manière générale. En examinant les étapes successives d’une féminisation d’ordre quantitatif puis les modalités de professionnalisation différenciées entre hommes et femmes, l’article interroge les rapports entre la féminisation et les craintes qu’elle suscite, et pose ainsi la question de la valorisation/dévalorisation de cette activité professionnelle. L’observation des interrelations entre la transformation des professions d’orchestre et leur féminisation, qui ne permet pas de conclure à une dégradation générale de l’activité, montre combien la perception de la situation varie en fonction de la position des acteurs engagés dans la pratique.
Stéphanie Rubi

Les comportements déviants des adolescentes des quartiers populaires : être « crapuleuse », pourquoi et comment ?

Les enquêtes de délinquance auto-déclarée ou de « victimation » montrent la moindre participation des filles – par rapport à celle des garçons – dans les délits ou les déviances. Cependant, en reconnaissant l’implication des adolescentes dans certaines formes de violence, on est amené à appréhender ces conduites violentes et déviantes au travers de l’étude de la « complexité anthropologique de cette violence » . Nous comparons les résultats de ces études, en particulier celle qui a été menée par Eric Debarbieux sur le climat scolaire, aux statistiques officielles de la délinquance. Cette confrontation fournit les premiers éléments de réponse quant à l’implication des filles dans les conduites violentes, quant aux spécificités de leurs comportements déviants. Des travaux ethnographiques effectués sur la socialisation juvénile des adolescentes des quartiers populaires de Marseille, Paris et Bordeaux, ont été réalisés conjointement avec l’enquête nationale sur le climat scolaire. Or, si les adolescentes ont généralement de meilleures relations que les collégiens avec l’école, nous verrons que parmi ces jeunes filles se profilent des attitudes en rupture avec la culture scolaire. Leur rejet de l’école peut alors s’accompagner de défis comme les violences verbales et physiques à l’encontre des pairs et des adultes, les atteintes morales destinées aux plus « faibles », et parfois les actes délictueux. Si ces « défis » n’ont qu’un caractère déviant et répréhensible pour la culture légitime, ils revêtent une tout autre signification au sein de la loi du plus fort, mécanisme de socialisation juvénile régissant les interactions entre adolescent(e)s des quartiers populaires. Démonstration du statut social acquis entre pairs, ces conduites « violentes » deviennent aussi le mode de relation privilégié des « crapuleuses » dans leurs interactions avec les adolescents.
Anne-Marie Sohn

Les « relations filles-garçons » : du chaperonnage à la mixité (1870-1970)

Les relations entre les jeunes gens des deux sexes ont toujours suscité la vigilance des adultes inquiets des conséquences du commerce amoureux. Elles s’effectuent donc sous l’oeil vigilant des parents et de l’entourage. Le siècle qui s’étend de 1870 à 1970 voit, cependant, l’émancipation progressive des jeunes qui secouent les tutelles familiales pour obtenir la liberté de sortir et de se distraire avec leurs pairs. Le chaperonnage des débuts de la Troisième République s’érode ainsi parallèlement à l’essor de la mixité: mixité au travail, sur le finage et sur le cours ; mixité scolaire qui s’amorce dans l’entre-deux-guerres et se banalise dans les années 1960. La mixité des loisirs surtout dont l’offre commerciale explose à partir de la Belle Epoque, rend les contrôles d’autant plus illusoires que le mariage d’inclination renvoie aux jeunes la responsabilité de la rencontre et du choix amoureux. Dans ces conditions, les parents, au surcroît de plus en plus attentifs au bonheur de leurs enfants, passent des interdits et du chaperonnage au contrôle a posteriori, puis à une confiance fondée sur la responsabilité réciproque. Ce sont les jeunes filles qui ont au premier chef bénéficié du relâchement des surveillances et conquis, fût-ce avec retard, fût-ce au prix de combats opiniâtres, les mêmes droits que les garçons.
Bernard Vernier

Gallimessé 1966-1997 L’invention de nouvelles formes de flirt chez les pomaques musulmans de Grèce : structures, histoire et stratégies

L’article décrit l’invention de nouvelles formes de rencontres entre jeunes chez les Pomaques, musulmans de Grèce. Ces rencontres observées en 1997, dans six villages différents, offrent des occasions journalières et quasi institutionnalisées de flirt. Leur forme structurale varie d’un village à l’autre selon l’âge des participants, le moment de la rencontre (de jour ou de nuit), la présence ou non de musique, le type d’habit féminin et la façon de le porter, le degré d’individualisation et de mixité des rencontres, la distance physique entre filles et garçons, la mobilité des différents acteurs etc. Chaque village se différencie par une combinaison particulière de traits. La sélection de l’une de ces formes structurales est le produit de plusieurs contraintes comme le système de valeurs lié à l’ancienneté de l’émigration et l’organisation physique et sociale de l’espace. Le mouvement de libération engagé par les jeunes (singulièrement par les filles) est le produit d’un ensemble de stratégies collectives et individuelles qui rusent avec l’état, dans un village donné, du rapport de forces entre les sexes et entre les générations, de telle sorte qu’une avancée trop spectaculaire dans un domaine (ex : rencontre de nuit) se paie parfois du maintien de l’habit traditionnel (ex : voile).

N°10, 2003 – Prostitution : marchés, organisation, mobilisations
Parcours

Lynn Hunt

Controverse

Masculin-Féminin II – Dissoudre la hiérarchie de Françoise Héritier

Cristina Bruschini et Maria Rosa Lombardi

Hommes et femmes sur le marché du travail au Brésil. Un panorama des années quatre-vingt-dix

Ce texte propose une analyse comparative de la position des femmes et des hommes sur le marché du travail au Brésil pendant les années quatre-vingt-dix. Elle prend comme référence les années qui ouvrent et ferment cette décennie ainsi que deux moments importants de la conjoncture économique brésilienne qui sont les années 1993 et 1995. Il s’agit donc de donner une plus grande profondeur temporelle aux analyses antérieures tout en explorant de nouveaux angles de vue comme la distinction de race/couleur et le niveau de scolarité des femmes et des hommes, qui est déterminant pour l’obtention de meilleurs emplois ou l’exercice de professions reconnues. Cet article se fonde principalement sur les données de l’Institut Brésilien de Géographie et de Statistique (IBGE), du Ministère du Travail et de l’Emploi (MTE) et du Ministère de l’Education (MEC). Ces données sont consultables sur internet. Bruschini, Cristina, Lombardi Maria Rosa, Banco de Dados sobre o Trabalho das Mulheres, Fundação Carlos Chagas, 1998 [http://www.fcc.org.br].
Chen Mei Hua

Les désirs sexuels masculins et leurs contradictions : masculinité, style de vie et sexualité. Le cas des clients de prostituées à Taïwan


La plupart des études féministes voient dans la prostitution une expression de la masculinité ; or une telle perception néglige les différences entre les clients et les diverses significations sociales conférées à la fréquentation des prostituées. A partir d’entretiens approfondis avec des clients et des travailleuses du sexe à Taïwan, cet article se propose d’analyser le recours à la prostitution en prenant en compte la sexualité masculine et l’appartenance de classe des clients. Il montre comment les clients de différentes classes sociales vivent différemment leur relation sexuelle avec les prostituées ; comment ils négocient la contradiction entre la morale sociale construite autour de la prostitution, comme la stigmatisation des clients, ou la fidélité dans le mariage, et le fait de transformer les femmes en objets de transaction sexuelle. Néanmoins, l’article conteste l’idéologie qui explique la prostitution à Taïwan par « les pulsions sexuelles des hommes » et démontre qu’en fait, la consommation sexuelle est en partie très planifiée, spécialement par les hommes socialement considérés de la classe moyenne. L’article montre surtout que les demandes émotionnelles des clients, qui ne se limitent pas pour eux au sexe, sont très étroitement liées à la façon dont ils conçoivent le plaisir sexuel.
Chris Corrin

Le trafic des femmes dans l’Europe du Sud-Est. Particularités locales, généralités internationales

 

Les débats féministes sur la traite des femmes et la prostitution sont ici liés aux discours et aux politiques concernant les droits de l’homme afin d’évaluer les propositions destinées à atténuer les tensions qui pèsent sur la situation des femmes. La façon dont on conçoit politiquement la prostitution joue sur les décisions et la formulation des stratégies politiques adoptées, les pays voisins pouvant opter pour des approches législatives radicalement différentes. La liberté de choix des femmes, leur victimisation et leurs pratiques de résistance sont des questions centrales. Le trafic des femmes, par sa nature, conduit à des situations de violence et à des formes de contrôle social ; il crée des relations complexes entre migration, traite des êtres humains et contrebande. Une rapide vision d’ensemble sur la traite des femmes, dans la partie Sud-Est de l’Europe (SEE), met en relief d’abord l’impact de la militarisation sur certaines sociétés de l’ancienne Yougoslavie. La traite des femmes dans un contexte militarisé cumule les effets de l’usage de la force et du contrôle social exercé sur elles pour les obliger, par des moyens spécifiques, à se prostituer. Le droit pénal et la législation sur les droits de l’homme ne coexistent pas aisément avec les actions militaires et les sanctions des Nations Unies destinées à renforcer ou à déclencher la lutte contre les atteintes à ces droits. Au premier plan de ces débats se pose le problème, à la fois social et intellectuel, de la culpabilisation des femmes et des jugements moraux formulés à leur encontre. Des chercheuses féministes considèrent que des changements pratiques dans la législation portant sur les droits et les migrations favoriseraient la lutte contre la traite des femmes.
Viviane Dubol

Je suis une prostituée, tu seras un travailleur du sexe, une filiation impossible

Cet article reprend, pour la dépasser, l’histoire universitaire et inter-associative d’une recherche clinique sur l’acte de se prostituer. Si l’on peut indiquer ce qui caractériserait le positionnement psychique de la prostituée, plus obscur est de décrire les mécanismes, entre injonction et quatrième personnage, qui participent de la déclaration : « Je suis une prostituée ». L’érotologie dont on ferait l’erreur de priver la prostituée dans le cadre des passes peut participer de la quête d’un savoir sur soi-même et contribuer entre mot et orifice du corps à une expérience de subjectivation. L’auteure attire l’attention sur la figure moderne de la prostituée que notre époque construit et les enjeux qu’il y a pour un sujet de s’entendre dire qu’il est un « travailleur du sexe ».
Lilian Mathieu

Prostituées et féministes en 1975 et 2002 : l’impossible reconduction d’une alliance

Confrontées en 1975 et 2002 à la répression policière, les prostituées ont en ces deux occasions tenté de se mobiliser. Si, lors de leur premier mouvement de protestation, elles ont pu disposer du soutien actif de militant-e-s abolitionnistes et féministes malgré de profondes divergences de vision de la prostitution, une telle alliance n’a pu être reconduite 27 ans plus tard. Les raisons de cette désolidarisation des anciens soutiens de la cause des prostituées doivent être recherchées dans les transformations qu’ont connues entre 1975 et 2002 tant l’espace de la prostitution que le secteur de l’assistance médico-sociale aux prostituées ainsi que la réflexion et le militantisme féministes.
Insa Meinen

La réglementation de la prostitution et des relations sexuelles par les occupants

Cette contribution se situe à l’intersection de la sociologie des professions, des études de genre et de l’histoire militaire. A partir de sources inédites allemandes et françaises, il s’agit d’analyser la réglementation de la prostitution par les forces de l’occupation allemandes entre 1940 et 1944. En apparence, il s’agissait de mesures épidémiologiques, puisque la « Wehrmacht » était obsédée par la peur de maladies vénériennes. En réalité, l’état major allemand cherchait à empêcher toute prise de contact hors de son contrôle de ses soldats avec les Françaises. Sur le fond, l’objectif de ces mesures était la réglementation des relations hommes-femmes entre les forces de l’occupation et la population féminine civile – une réglementation qui s’appuyait sur un rapport de force et de mesures répressives des femmes françaises et qui ouvraient aux soldats allemands la possibilité de participer aux bénéfices de la victoire.
Cyril Olivier

Bucoliques et emmurées, les prostituées et le régime de Vichy

Dans la France des années noires, la prostitution revêt de singuliers atours. Si l’activité vénale ne subit pas de radicales transformations, il reste néanmoins que les conditions créées par le contexte d’occupation, doublées de l’avènement au pouvoir d’un régime des plus conservateurs, sont à l’origine de mutations de la sphère décisionnelle entraînant des pratiques inédites. À partir du dépouillement systématique d’archives judiciaires inexploitées, ce texte se propose d’évoquer plusieurs aspects de l’activité prostitutionnelle dans la France de Vichy, tout en conservant le point de vue de la prostituée et de son lieu d’exercice.

N°7, 2002 – Égalité, parité, discrimination : l’histoire continue

Parcours

Yvette Roudy

Controverse

Le nom du père en question

Nadya Araujo Guimarães

Le sexe de la mobilité : le travail industriel dans le Brésil des années 1990

L’article examine la mobilité intersectorielle des travailleurs de l’industrie brésilienne à partir des données longitudinales du Ministère du Travail sur les recrutements et les licenciements intervenus au cours des années quatre-vingt-dix. A travers la comparaison de deux branches industrielles (pétrochimie et construction automobile) situées dans deux marchés régionaux de travail, l’auteure montre l’importance des différences de genre pour comprendre les types de mobilité sur les marchés de travail formels, indépendamment de la capacité d’absorption de l’emploi féminin et de la nature du processus de restructuration de ces deux branches industrielles étudiées.
Geneviève Fraisse

La parité, un mot bon à tout faire

Débats et arguments ont nourri l’action politique en faveur de la parité. Au moment où la loi est mise en pratique, il est possible de prendre un peu de recul. Au temps des souvenirs s’ajoutent les premiers bilans. Le caractère mathématique de la parité s’est accompagnée d’une confusion, positive mais aussi négative, avec le principe égalité. Les transferts de signification et les phantasmes sur les prétendus valeurs de chaque sexe ont ignoré la valeur mathématique de la parité au profit de querelles parfois surprenantes tant elles semblaient surannées. La peur est souvent présente dans les débats entre démocrates, et le neutre est invoqué comme une garantie. Mais le neutre n’a-t-il pas un meilleure rôle à jouer, celui d’une fiction, dynamique historique.
Fausta Guarriello

La promotion de l’égalité professionnelle : cadre juridique et mobilisation des acteurs en Italie

Le passage de la notion d’égalité de traitement à celle d’égalité de chances a marqué le décennie suivant la mise en œuvre de la loi 125, dernier fruit des mouvements des femmes, par l’activité d’un vaste réseau d’organismes institutionnels et conventionnels qui ont essayé de promouvoir une culture d’actions positives en faveur des femmes pour remédier à des situations de déséquilibre existantes et de perfectionner les instruments de lutte aux discriminations. Cette mobilisation institutionnelle, malgré l’affinement des techniques et une œuvre de sensibilisation assez vaste, n’a toutefois que rarement produit des effets durables sur les politiques organisationnelles des entreprises et des syndicats, qui n’ont jamais considéré l’égalité professionnelle comme une réelle priorité. La loi sur les congés parentaux et la réforme de la figure des conseillères d’égalité visaient à renouveler l’engagement des institutions envers des conditions effectives d’égalité : le changement de la culture du nouveau gouvernement paraît congeler ces réformes.
Nathalie Havet et Catherine Sofer

Les nouvelles théories économiques de la discrimination

Les théories économiques peuvent-elles rendre compte de la situation comparée des hommes et des femmes sur le marché du travail ? Les premiers modèles de discrimination prédisaient une élimination spontanée des différences. Les modèles de la deuxième génération permettent, mieux que les premières approches, de formaliser et d’expliquer un certain nombre de faits d’observation sur le marché du travail : persistance des écarts de salaire, ségrégation partielle du marché du travail entre emplois féminins et masculins, mais aussi différences dans le déroulement des carrières, sur-représentation des hommes dans les emplois les plus qualifiés, plus grandes difficultés de promotion et sur-qualification des femmes. Pour cela, il mobilisent des approches récentes d’économie du travail, telles que la théorie de la recherche d’emploi, et celle de l’appariement, ou des travaux actuels en information asymétrique.
Janine Mossuz-Lavau

La parité en politique : histoire et premier bilan

La loi « tendant à favoriser l’égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives » a été promulguée le 6 juin 2000 après bien des débats et combats . Désormais en France -et c’est une première mondiale- pour la plupart des élections, les candidats devront être pour moitié des femmes. Cette loi a été appliquée à deux reprises en 2001. Cet article retrace l’histoire de cette loi et dresse un bilan des élections concernées par celle-ci et des élections qui ne lui étaient pas soumises afin de voir s’il y a eu un effet d’entraînement du processus paritaire.
Christian Trotzier

La déstabilisation des ouvrières licenciées

L’analyse, sur dix-huit ans, des trajectoires de cent huit ouvrières licenciées dans la vallée de la Bruche, près de Strasbourg, conclut, pour une majorité, à la déstabilisation de longue durée. Le déficit d’emplois favorise les processus de retrait de la vie active. Liés à l’âge et à la situation familiale, ils ne sont donc jamais étrangers aux inégalités de genre. Cependant, la détermination à retrouver une activité professionnelle reste forte. Le fonctionnement du marché de l’emploi féminin allié aux contraintes de la vie familiale tend à maintenir les ouvrières licenciées sur le territoire alors que les ouvriers, eux, migrent quotidiennement en grand nombre. Le mode d’accès au nouveau poste de travail détermine fortement nature, degré de stabilité et localisation de celui-ci. L’aide d’une relation permet ainsi d’accéder à des postes stables, souvent dans les services. Les licenciées disposant d’un capital social moindre échappent difficilement à une longue instabilité professionnelle. Elle s’accompagne bien souvent d’un durcissement des conditions de travail.

N°8, 2002 – Ouvrières : les dessous de l’embellie

Parcours
Michelle Perrot

Controverse

Le nouvel esprit de famille de Claudine Attias-Donfut, Nicole Lapierre et Martine Segalen

Anne-Sophie Beau

Les salarié-e-s du grand commerce : des « employé-e-s » ?

Les parcours professionnels des salarié-e-s du Grand Bazar de Lyon aux 19e et 20e siècles


Les parcours professionnels des salarié-e-s du Grand Bazar de Lyon aux 19e et 20e siècles, profondément marqués par l’instabilité, ne correspondent pas à la présentation par opposition aux ouvrières et ouvriers que donnent habituellement les études historiques de la catégorie des « employé-e-s ». Les conditions d’emploi et de rémunération proposées au Grand Bazar, d’abord, ne sont pas celles, bien supérieures à la condition ouvrière, que devrait procurer le « statut d’employé-e ». Ensuite, les postes de travail occupés successivement voire simultanément par ces salarié-e-s au cours de leur carrière, ceux du marché du travail non qualifié commun à l’ensemble des secteurs d’activité, ne permettent pas d’identifier les salarié-e-s du Grand Bazar comme des « employé-e-s » et confirment que, dès le 19e siècle, les « ouvriers » ou « ouvrières » et les « employé-e-s » sont, pour partie au moins, les mêmes personnes.
Stéphane Beaud et Michel Pialoux

Jeunes ouvrier(e)s à l’usine.

Notes de recherche sur la concurrence garçons / filles et sur la remise en cause de la masculinité ouvrière
A partir d’une enquête de terrain de longue durée dans la région ouvrière de Sochaux-Montbéliard, les auteurs analysent les transformations récentes du marché du travail liées à la forte reprise économique des années 1998-2001. Ils mettent l’accent sur la mise au travail des jeunes « de cité », longtemps tenus à l’écart des entreprises, qui entrent alors massivement, via l’intérim, à l’usine de Sochaux et chez les équipementiers de l’automobile. La comparaison des attitudes au travail, telles quelles apparaissent à travers les entretiens réalisés tant avec les jeunes ouvrier(e)s qu’avec les ouvriers ou chefs d’équipe plus âgés, donne un net avantage aux filles (« sérieuses », « motivées », « sociables ») au détriment des garçons. Ces derniers, souvent prisonniers de la « culture de rue » dans laquelle ils ont baigné toute leur adolescence se retrouvent, au travail, mis en question dans leur masculinité ouvrière.
Elizabeth Brown, Dominique Fougeyrollas-Schwebel et Maryse Jaspard

Les paroxysmes de la conciliation. Violence au travail et violence du conjoint

L’enquête nationale sur les violences envers les femmes en France (enquête Enveff) apporte sur la conciliation entre travail et famille un éclairage supplémentaire, différent de ce que révèle d’ordinaire le seul angle des contraintes spatio-temporelles. Alors que les inégalités entre les sexes ont souvent été analysées au travers des contraintes qui s’imposent aux femmes dans le travail et la famille, les hommes bénéficiant d’une liberté tangible, l’enquête Enveff permet de mettre directement en relation les situations de violence repérées au cours des douze derniers mois dans la vie de travail avec les situations de vie en couple. Le caractère multiforme de la violence est analysé en prenant en compte les divers types de violences interpersonnelles, verbales, psychologiques, physiques et sexuelles, perpétrées dans le cadre du travail et par le conjoint. Dans la majorité des cas, activité professionnelle et vie maritale n’apparaissent pas incompatibles, à condition d’accomplir la conciliation des deux vies dans l’harmonie, car la moindre difficulté ouvre la voie à des effets cumulatifs de violences dans les deux sphères.
Noëlle Burgi

Exiler, désœuvrer les femmes licenciées

Quand on suit la trajectoire des licenciées du textile au chômage depuis plusieurs années, on s’aperçoit que les arguments classiques invoquant leur manque de motivation, de mobilité et d’autonomie, ainsi que les dures réalités du marché du travail, ne sont pas tout à fait convaincants. En tant que femmes, elles ont doublement, triplement subi l’indifférente inertie de l’environnement politique et social qui tend à ne pas reconnaître un droit à l’emploi consistant aux chômeurs dépourvus de qualifications reconnues. Elles n’ont pas seulement été privées d’emploi. Elles ont aussi été privées, au nom du « deuil » de leur ex-entreprise et du réalisme des « emplois modernes », de leur histoire passée et de la possibilité de se réinvestir dignement dans une activité salariée future. Souvent vécu dans la souffrance du « désœuvrement », cet exil intérieur résultant de la négation par l’entourage de leur identité de femmes actives s’alimente à l’idéologie de l’épouse dépendante vouée au sacrifice pour ses proches et au service d’autrui.
Karine Clément

Les femmes ouvrières en Russie : confusion des genres et précarité

Les femmes ouvrières de Russie voient leur situation profondément détériorée par les transformations sociales de marché. Celles-ci aggravent la division sexuée du travail et les discriminations dont elles sont l’objet. Surtout, elles soumettent la majorité des ouvriers à une grande instabilité, ce qui les oblige à développer des pratiques de « débrouille » de toutes sortes. Les hommes ouvriers se chargent surtout de la « débrouille » dans le monde professionnel, alors que les femmes assument la charge physique et surtout nerveuse de la gestion de la sphère domestique. Discriminations et division sexuée du travail sont liées aux représentations sociales qui mettent en avant la femme-mère et la femme féminine. Dans les faits, la femme ouvrière est cependant avant tout une travailleuse du précaire usant sa vie à la gagner. Par ce trait principal, sa vie se distingue peu de celle des hommes ouvriers. Pour prendre toute la mesure de la condition des femmes ouvrières, la problématique du genre doit donc être articulée à celle de déconstruction du groupe ouvrier.
Michel Gollac et Serge Volkoff

La mise au travail des stéréotypes de genre. Les conditions de travail des ouvrières

La segmentation du travail ouvrier selon le genre apparaît, à travers les enquêtes statistiques sur les conditions de travail, comme une réalisation caricaturale de certains stéréotypes. Contrainte, répétitivité et isolement caractérisent le travail des femmes ouvrières. Par contre elles sont relativement à l’abri, si ce n’est des contraintes, du moins des atteintes les plus violentes à l’intégrité corporelle. Et leurs horaires sont censément compatibles avec une activité extra-professionnelle intense. Des modifications considérables dans les conditions et l’organisation du travail se sont produites sans guère changer les positions relatives des ouvriers et des ouvrières. Les conditions de travail des ouvrières sont peu objectivées. Leur naturalisation sous la figure d’un travail « féminin » est un obstacle à leur amélioration.
Martine Lurol et Jérôme Pélisse

Les 35 heures des hommes et des femmes

A partir de trois entreprises ayant signé des accords Aubry I, de taille, de secteur et de localisation variés, Martine Lurol et Jérôme Pélisse analysent dans cet article la question des différences entre les hommes et les femmes dans la mise en œuvre des 35 heures. Dans les trois entreprises étudiées, les représentations différenciées du travail jouent de façon implicite sur les choix des modalités de réduction du temps de travail retenus, ceux-ci renforçant les traitements différenciés selon le genre. Ainsi, l’égalité professionnelle, clairement identifiée dans le bilan social d’une entreprise, n’est en fait qu’un affichage, les pratiques de gestion du personnel étant sexuées et liées aux représentations de l’emploi féminin véhiculées par les employeurs et par les salariés. Ces pratiques entraînent une prise de jours RTT différente pour les hommes et pour les femmes. L’accroissement de la flexibilité dans une autre entreprise, avec en corollaire l’irrégularité des horaires et les variations de l’amplitude des temps travaillés consécutives aux 35 heures annualisées, ne facilite pas le développement d’un temps « libéré » du travail en particulier pour les femmes non qualifiées. La non prise en compte dans l’accord RTT d’une catégorie de personnel dans une troisième entreprise montre bien que le temps de travail joue comme un révélateur et un marqueur des disparités entre les sexes et entre les catégories sociales. Par ailleurs, des entretiens menés avec des couples travaillant dans la même entreprise permettent de mieux cerner les tensions et les arbitrages qui s’opèrent dans la vie privée où la répartition des rôles ne va pas de soi.
Diane-Gabrielle Tremblay

Les femmes et le marché du travail au Québec et au Canada

Cet article présente la situation des femmes sur les marchés du travail canadien et québécois. Il indique que le taux d’activité des femmes, et notamment des femmes avec enfants, s’est considérablement accru au cours des dernières décennies. De plus, avec l’avancement en âge des enfants, le taux d’activité des femmes augmente. Toutefois, les femmes se trouvent encore souvent dans des emplois précaires ou atypiques. Dans le contexte actuel de déstandardisation des formes d’emploi et d’horaires variables, les femmes vivent parfois difficilement l’articulation entre l’emploi et la famille.

N°5, 2001 – Harcèlement et violence : les maux du travail

Parcours

Thomas Lancelot-Viannais

Controverse

Le travail de nuit des femmes

Fabienne Bardot

L’auscultation de la violence dans l’entreprise : des médecins du travail parlent

De nouvelles organisations du travail et de nouvelles techniques de management ont rationalisé l’utilisation des femmes et des hommes comme instrument de rentabilité, oblitérant la question du travail. L’emploi devenu préoccupation première a sans doute autorisé le renforcement sur un mode plus arrogant des rapports de domination cependant que, dans l’espace public, la reconnaissance citoyenne s’imposait doucement et abaissait le seuil de tolérance aux « maltraitances » du monde privé du travail. La médiatisation du phénomène actuellement appelé « harcèlement moral » a révélé ce qui se vivait douloureusement dans l’insu, et la parole s’est soudainement libérée. De leur position, les médecins du travail ont largement fait ce constat, massivement du côté des femmes, mais aussi (différemment ?) du côté des hommes. Ces révélations troublantes prennent des formes multiples et ont des conséquences pathogènes redoutables. Ce sont de ces expériences que l’article va traiter.
Paul Bouaziz

Harcèlement moral, harcèlement sexué ? Les difficultés d’une approche juridique

Si l’on s’en tient aux évidences premières, il apparaît que les voix des femmes sont beaucoup plus présentes que celles des hommes, dans la riposte au harcèlement. Cependant, l’analyse des décisions de justice ne conduit pas clairement à distinguer un traitement spécial à l’encontre des salariées. Si le processus de harcèlement, dans ses techniques, ses finalités, ses sources, tel que saisi par la jurisprudence ne permet, en l’état, de faire apparaître une spécificité marquante en raison du sexe, on doit cependant s’interroger sur les conséquences éventuelles des nouveaux articles qui doivent être insérés dans le Code du travail.
Marlaine Cacouault-Bitaud

La féminisation d’une profession est-elle le signe d’une baisse de prestige ?

Lorsque des femmes commencent à exercer une profession supérieure, des discours dépréciatifs sont tenus. Ils visent les professionnelles et l’activité, qui subiraient une dévalorisation. La même réaction est observable quand les effectifs féminins augmentent ou dépassent ceux des hommes. Une analyse qui prend en compte des représentations et des données d’enquête, qui intègre la dimension de la comparaison entre les époques, les professions et les sexes, permet de saisir les enjeux d’un discours récurrent. On distingue ce qui relève de stratégies pour éliminer la concurrence et ce qui renvoie à des évolutions d’ordre social et institutionnel. Certaines apparaissent comme problématiques, mais le processus de féminisation n’est pas en cause. Par ailleurs, les femmes n’occupent pas, dans l’ensemble, les positions les plus valorisées et les moins exposées. Le poste détenu, la spécialité, le mode d’exercice, qui impliquent plus ou moins de disponibilité pour la sphère privée, seraient aujourd’hui des lignes de partage. Les situations et les choix concrets des femmes et des hommes sur le lieu de travail et dans la famille, sont-ils susceptibles de questionner les divisions et les hiérarchies traditionnelles ?
Damien Cru

Le mal-être au travail, comment intervenir ?

La violence au travail n’est pas seulement un phénomène médiatique. Des salariés aussi divers que les sapeurs pompiers professionnels, les conducteurs de bus, les enseignants, les travailleurs sociaux, d’autres encore et beaucoup au niveau individuel ont su montrer dans les conditions concrètes de leur activité, les agressions dont ils sont victimes. La question se pose de la place du travail dans ces phénomènes de violences diverses qui sont dénoncées. Comment agir sur l’organisation du travail pour prévenir le risque de persécution psychologique ? Comment, nous, intervenants en entreprise, rencontrons-nous la violence, quelle prise avons-nous sur elle ? Ceci en sachant que les genres ne sont pas indifférenciés, que c’est moins dans leur spécificité respective qu’ils m’intéressent mais plutôt dans leur commensurabilité.
Marie Grenier-Pezé

Contrainte par corps : le harcèlement moral

La présence médiatique du harcèlement moral interroge sa légitimité sociale et psychopathologique. Comprendre la redoutable toxicité de la situation de harcèlement impose de se pencher sur les enjeux identitaires liés à la situation de travail. Il s’agit de replacer ce nouveau syndrome dans le contexte plus large des effets positifs et négatifs de l’organisation du travail sur la santé psychique et physique. Les mécanismes de défense individuels et les stratégies collectives mobilisés par les sujets pour tenir au travail peuvent souder ou disloquer un collectif de travail entraînant la désignation d’un bouc émissaire. L’intériorisation des valeurs organisationnelles de l’entreprise autorise la banalisation du mal exercé sur autrui, sa systématisation en techniques de disciplinarisation du corps. La force symbolique des gestes de métier en font un levier de déstabilisation de l’économie psychosomatique particulièrement efficace. Les procédés utilisés sont comparables aux techniques de torture ou d’initiation rituelle. La désaffiliation du groupe d’appartenance inscrit le sujet dans une solitude majeure. La rencontre avec le réseau de prise en charge, médecin du travail, médecin inspecteur, médecin généraliste, psychologue n’est pas qu’une stratégie médico-administrative. Ce travail du lien met un terme symbolique à l’isolement du harcelé et un point d’arrêt à la désintrication psychosomatique en cours.
Armelle Testenoire

Les carrières féminines : contingence ou projet ?

Si le comportement d’activité des femmes de milieu populaire s’est profondément transformé en l’espace d’une trentaine d’années, leur carrière demeure problématique. L’analyse, menée à partir d’entretiens biographiques d’hommes et de femmes de milieu populaire, met en évidence le fait qu’ils interprètent et retracent différemment leur trajectoire professionnelle. Alors que les hommes inscrivent leur carrière dans le cadre d’un projet (initial ou reconstruit a posteriori), les récits féminins expriment un fort sentiment de contingence. Les carrières féminines, n’allant pas de soi, se négocient étape par étape au sein du couple. Les carrières masculines s’imposent comme une évidence et bénéficient, de ce fait, d’une grande marge d’autonomie. Hommes et femmes manifestent ainsi une inégale capacité d’individualisation au niveau professionnel qui modèle fortement leurs attitudes face à la carrière.

N°6, 2001 – Femmes providentielles, enfants et parents à charge

Parcours
Lucien Neuwirth

Controverse
Le plein emploi : avec ou sans les femmes ?
Jeanne Fagnani

La politique d’accueil de la petite enfance en France : ombres et lumières

A partir des années soixante-dix, en relation étroite avec l’insertion croissante des mères sur le marché du travail, la collectivité a déployé un arsenal de mesures en direction des familles qui ont de jeunes enfants et mis en place, en particulier, des équipements d’accueil de la petite enfance. Depuis les années quatre-vingt, au nom de la lutte contre le chômage, on a plutôt privilégié le renforcement des dispositifs liés aux modes de garde individuels. Toutefois, les lacunes restent nombreuses. Outre l’insuffisance des places en crèches, les soins et l’éducation des enfants restent l’apanage des femmes, aussi bien dans la sphère privée que dans la sphère professionnelle. Les emplois d’assistantes maternelles ou de gardes à domicile sont souvent précaires et mal rémunérés. Les inégalités sociales persistent en matière de choix et d’accès aux différents modes d’accueil bien que de récentes réformes contribuent à les atténuer.
Isabel Georges

Les emplois d’exécution dans les télécommunications : comparaisons France-Allemagne

Les transformations des comportements d’activité des femmes en France et en Allemagne depuis les années 1960 sont analysées à partir des emplois de bas statut de la fonction publique. Le statut de l’activité féminine est toujours différent au sein de deux pays européens similaires par ailleurs : à l’inverse de la France, en Allemagne le statut matrimonial, et le fait d’avoir des enfants, creuse toujours l’écart entre les femmes ayant une activité continue et celles qui ne l’ont pas. A partir de ce constat général, cette contribution entend analyser l’apport à cette dynamique des emplois de la fonction publique, ainsi que les pratiques des femmes qui exercent ces emplois. Plus particulièrement, elle étudie le rôle d’un prototype du travail salarié féminin considéré peu qualifié à travers une analyse qualitative des rapports au travail et à l’emploi d’un sous-groupe de la PCS (profession et catégorie socioprofessionnelle) des employé(e)s, les opératrices au service des renseignements téléphoniques.
Ute Gerhard

Politique sociale et maternité : le cas de l’Allemagne à l’Est et à l’Ouest

Cet article traite de la manière dont les politiques sociales, ou plus précisément les régulations institutionnelles et la loi affectent les pratiques sociales des mères et leur vie quotidienne. Dans la mesure où ces pratiques s’inscrivent dans les modèles culturels et dans les normes sociales des sociétés considérées, la question se pose de la manière dont la culture des différents États-Providence est déterminée par ces orientations et ces valeurs, qui sont le produit de l’histoire. Il s’agit ainsi de savoir quel effet la loi et l’ordre légal ont sur le comportement social. Ces questions sont ici posées à partir de l’analyse des différentes politiques sociales de l’ex-Allemagne de l’Est et de l’Allemagne de l’Ouest, et de leurs effets sur les pratiques quotidiennes et les opportunités des femmes. Il s’avère qu’il y a des différences tangibles dans la vie quotidienne des femmes et dans leur conception de la maternité : à l’est, les femmes tiennent pour acquis le fait qu’elles seront capables de combiner le travail salarié et la maternité, tandis qu’à l’ouest les femmes sont beaucoup plus ambivalentes en ce qui concerne leurs responsabilités. Le cas allemand est particulièrement instructif car les femmes de l’est et de l’ouest partagent des racines historiques communes. Ainsi il peut être utile d’explorer comment les idées, les pratiques, les politiques sont enfouies et refont surface au cours du temps. Les orientations très différentes des politiques sociales dans la période de l’après-guerre dans les deux Allemagne fournissent un terrain fertile pour l’exploration des significations de ces observations.
Jane Jenson

D’un régime de citoyenneté à un autre : la rémunération des soins

Dans plusieurs États-providence européens, la dépendance liée à l’âge est maintenant reconnue comme un risque presque équivalent au chômage ou à la maladie. Elle devient un risque auquel remédie la citoyenneté sociale. Cet article démontre que la mise sur pied de telles prestations va bien au-delà de la création d’une mesure sociale de plus. Elle est l’indice d’une mutation dans le régime de citoyenneté et elle participe à la fondation d’un nouveau régime. Ce texte analysera l’évolution de cet enjeu dans le contexte de régimes de citoyenneté restructurés suite à l’effondrement du consensus d’Après-guerre sur le rôle respectif de l’État et du marché ainsi que les conséquences des nouvelles prestations sur les rapports sociaux de sexe.
Marie-Thérèse Letablier

Le travail centré sur autrui et sa conceptualisation en Europe

L’objectif de cet article est d’examiner le concept de “care”, sa genèse et son utilisation dans les recherches féministes anglo-saxonnes. Les difficultés de traduction de ce concept montrent son caractère complexe au regard de l’approche française du travail pour autrui et des services aux particuliers. L’originalité des approches féministes anglo-saxonnes a été de situer les concepts de “care” et de “social care” par rapport aux typologies des systèmes européens de protection sociale d’une part et par rapport à la question du travail bénévole des femmes au sein de la famille d’autre part. Nous montrons l’intérêt de ces approches tout en soulignant la pluralité des conceptualisations de l’égalité de sexes qui les soutiennent.
Claude Martin

Les politiques de prise en charge des personnes âgées dépendantes

La dépendance des personnes âgées, c’est-à-dire leurs besoins d’aide pour des tâches quotidiennes, représente depuis le début des années quatre-vingt un nouveau problème public. Ce phénomène a des répercussions importantes en terme de genre, non seulement au sens où les femmes sont plus fréquemment confrontées à ce problème du fait de l’écart d’espérance de vie avec les hommes, mais aussi au sens où les principales pourvoyeuses de soin et d’aide dans les familles sont les femmes, qu’elles soient membres du réseau de parenté ou professionnelles. On comprend donc que toute définition d’une politique en la matière est cruciale du point de vue de l’égalité des chances entre hommes et femmes. Dans un premier temps, cet article propose un cadre d’analyse permettant de mettre en lumière ces enjeux de genre dans l’évolution des systèmes de protection sociale. Dans un second temps, il applique cette problématique à la production des réformes en matière de dépendance en France et repère leurs conséquences en termes de genre, que ce soit au plan des activités de “caring” profanes ou professionnelles.
Rachel Silvera

Genre et économie : des rendez-vous manqués

La question du genre est le plus souvent absente des théories et des politiques économiques. Certes, les courants néoclassiques (théories du capital humain, de la discrimination…) ont consacré de nombreux travaux à l’offre de travail des femmes, notamment mariées, en se fondant sur une spécialisation des rôles au sein de la famille, sans jamais la remettre en cause. Les courants hétérodoxes, quant à eux, tout au moins parmi les textes fondateurs et peut-être en dehors de la théorie de la segmentation, ont totalement occulté le genre, alors même que le cœur de leur analyse est celui des inégalités. Plus récemment, les politiques économiques ont perpétué ce silence, en gommant la dimension sexuée des mesures mises en œuvre. L’objet de cet article est donc d’amorcer une réflexion sur la place du genre en économie, en effectuant tout d’abord un tour d’horizon des principaux courants économiques en France depuis les années 1960-70. Puis une illustration de ce silence en matière de politique économique est proposée à travers la question du genre des travailleurs pauvres.

N°3, 2000 – Le genre masculin n’est pas neutre

Parcours

Marie Jahoda

Controverse

La féminisation des noms de métier 
de Anne-Marie Houdebine

Anne Cova

Généalogie d’une conquête : maternité et droits des femmes en France in XIXè – XXè siècles

De la fin du XIXe siècle jusqu’en 1939 des années s’écoulent durant lesquelles l’idée de protection de la maternité fait son chemin, long parcours qui n’est pas nécessairement linéaire et qui permet de saisir l’édification de l’Etat-providence en France. Il n’y a aucune loi spécifique en faveur de la protection maternelle jusqu’au début du XXe siècle. Les premières lois relatives à la protection de la maternité reconnaissent le droit de certaines mères à être protégées et l’obligation qui en découle pour l’Etat de leur assurer cette protection. Puis, ce sera l’entre-deux-guerres, où commence le cycle de l’assurance qui supplante celui de l’assistance. Les divers mouvements de femmes ne cesseront de revendiquer la protection de la maternité. Elles sont des actrices, parmi d’autres, dans la construction de cet Etat-protecteur.
Ute Frevert

L’armée, école de la masculinité. Le cas de l’Allemagne au XIXème siècle

Avec le service militaire obligatoire, l’armée n’est pas seulement devenue en Allemagne, au cours du XIXème siècle, une « école de la nation » mais aussi une « école de la masculinité ». Cette mission, formulée dans les discours des pédagogues et des politiques dès la fin du XVIIIème et au début du XIXème siècles, trouva aussi un écho favorable auprès des officiers au cours du XIXème. Il n’y avait pas d’accord, toutefois, sur le contenu des curriculum. L’évolution suivit celle des transformations internes à l’armée et celles de la place de l’armée dans la société.
Charles Gadéa et Catherine Marry

Les pères qui gagnent. Descendance et réussite professionnelle chez les ingénieurs

A l’inverse des femmes, les ingénieurs masculins connaissent une réussite professionnelle d’autant plus remarquable qu’ils ont une descendance nombreuse. A partir d’un examen de la littérature portant sur les hommes et sur les ingénieurs la discussion est menée sur les principales hypothèses que suggère ce constat. Ces pères à qui sourit la fortune professionnelle sont-ils des Breadwinners
au sens parsonien, soutenus dans leur carrière par une épouse bien dotée et dont la responsabilité d’enfants à nourrir stimule un zèle au travail apprécié par les employeurs, ou des ingénieurs plus conformes que les autres aux représentations dominantes de la virilité ? Au terme de l’analyse, appuyée sur diverses enquêtes statistiques sur les ingénieurs diplômés et cadres, il est difficile de trancher entre ces diverses figures, tout comme sur celle, plus étonnante, des ingénieurs célibataires et sans enfant, aux carrières nettement moins brillantes.
Pascale Molinier

Virilité défensive, masculinité créatrice

En s’appuyant sur les recherches cliniques et théoriques en psychodynamique du travail, l’auteur défend l’idée que l’analyse des processus sociaux et subjectifs qui construisent la masculinité créatrice, par différence avec la virilité défensive, est une étape capitale dans la déconstruction du système social de sexe.
Gilles Moreau

Les faux semblables de l’apprentissage

La structure sexuée des métiers, et en amont celle des formations, laisse à penser que les différenciations entre les trajectoires d’insertion professionnelles masculines et féminines relèvent essentiellement de l’organisation du marché du travail. Cette idée, sans nul doute indispensable, se garde néanmoins de toute réflexion sur ce que signifie le fait d’apprendre un métier. L’exemple de l’apprentissage en entreprise, secteur où le cloisonnement des sexes est fortement établi, montre qu’existent, au-delà de la structure sexuée des métiers, des structures mentales qui façonnent profondément le rapport à l’apprentissage d’un métier. Ainsi les filles apprenties sont-elles prioritairement tournées vers l’accès au métier et au savoir-faire, alors que les garçons s’inscrivent d’emblée dans une relation salariale, minimisant ainsi l’importance de la formation. Le fait que ces structures mentales socialisées perdurent dans le cas des apprentis atypiques (c’est-à-dire formés dans des spécialités dominées par l’autre sexe) montre combien elles sont intériorisées et qu’il ne suffit pas que femmes et hommes ne soient pas en concurrence directe sur le marché du travail pour que ces derniers puissent afficher une bienveillante neutralité.
Françoise Picq

Journée internationale des femmes. A la poursuite d’un mythe

Le 8 mars est célébré de par le monde comme la journée des femmes. Cette date, disait-on, commémore une grève des couturières, à New York en 1857. Il n’y a pourtant aucune trace d’un mouvement d’ouvrières à cette date dans l’histoire américaine. La Conférence Internationale des femmes socialistes, qui a décidé en 1910, d’organiser cette célébration annuelle, n’a ni fait référence à un tel événement, ni fixé la date du 8 mars. C’est plus tard, dans les années 1950 que la légende des couturières new yorkaises a pris forme et s’est diffusée. Cet article expose les étapes et les résultats de l’enquête qui a permis cette mise au point et s’interroge sur les motivations des femmes socialistes en 1910 et sur celles qui ont amené plus tard d’autres femmes à donner une origine nouvelle à cette ancienne célébration.
Sophie Pochic

Comment retrouver sa place ? Chômage et vie familiale de cadres masculins

Pour comprendre comment le chômage déstabilise la place de l’homme au sein de sa famille, il faut replacer cet événement dans une configuration familiale, dans une division du travail domestique, qui s’est construite avec l’histoire conjugale. Sur une population de cadres au chômage dans la région Sud, deux idéaux-types de masculinité ont été dégagés. Le modèle traditionnel de « l’homme-principal-apporteur de ressources » semble très déstabilisé, puisqu’il se retrouve avec des ressources dégressives pour continuer à assumer son rôle de père et de mari. Le modèle plus égalitaire de « l’homme-compagnon » paraît mieux traverser cette épreuve, puisqu’il peut justifier pendant cette période d’une présence et d’une disponibilité accrues pour son environnement familial. Mais le chômage demeure quand même un déni du pilier principal de la paternité moderne : le travail.

N°4, 2000 – Histoires de pionnières
Parcours

Jeannette Laot

Controverse

L’ennemi principal de Christine Delphy

Konstantinos Chatzis

Les femmes ingénieurs en Grèce
(1923-1996) :

la féminisation croissante d’une profession en crise

Consacré à la rencontre entre le métier de l’ingénieur et le sexe féminin en Grèce, cet article tente une première reconstitution et une analyse des épisodes les plus importants d’une « conquête » qui démarre il y a trois quarts de siècle et qui se poursuit, à des rythmes de plus en plus accélérés, jusqu’à nos jours. Les différentes étapes qui jalonnent l’accès croissant de la femme grecque à la profession de l’ingénieur sont ici éclairées par une analyse du monde des ingénieurs grecs dont la structure particulièrement atypique, par rapport aux caractéristiques prédominantes de la profession dans d’autres pays européens, est à mettre au compte d’un développement économique de la société grecque également original.
Carole Christen-Lécuyer

Les premières étudiantes de l’Université de Paris

Si quelques femmes ont fait une timide entrée à l’université en France sous le Second Empire, c’est sous la Troisième république que les femmes conquièrent ce lieu réservé aux hommes : au début du XXe siècle elles représentent 3% des inscrits contre 30% en 1938. Cette conquête est le fait de quatre types de pionnières. Le premier, la bachelière, résulte de l’autodidaxie des femmes puisque l’enseignement secondaire féminin mis en place tardivement en 1880, ne prépare pas au baccalauréat, premier grade de l’université. Le second, les étudiantes de l’université de Paris, révèle les difficultés rencontrées par ces femmes pour pénétrer dans certaines facultés – le Droit en particulier – et pour exister en tant que femmes qui étudient. Le troisième, les étudiantes étrangères, sort de l’oubli celles qui ont  ouvert la voie aux étudiantes françaises. Enfin, le quatrième, les diplômées, nous permet d’approcher la fonctionnalité ou la non-fonctionnalité des études féminines.
Marielle Delorme-Hoechstetter

Aux origines d’HEC Jeunes Filles, Louli Sanua

Figure singulière dans le monde du féminisme bourgeois du début du siècle, Louli Sanua a créé, en 1916,  la première école supérieure de commerce pour jeunes filles,  qui deviendra  HECJF,  école de haut enseignement commercial pour jeunes filles. Pédagogue et organisatrice de talent, cette jeune institutrice âgée de 30 ans, a réussi en quelques années à constituer un solide réseau d’appuis dans le monde  éducatif et politique qui lui a permis de faire exister en peu d’années un établissement  d’enseignement supérieur dont la réputation s’est affirmée rapidement. HECJF, qui a fermé ses portes en 1975, lorsque la mixité devenait la norme, a formé quelques 4500 jeunes femmes. Dès les débuts de l’École, sa fondatrice s’est battue pour faire admettre et reconnaître la légitimité du travail des femmes et leur aptitude à exercer des fonctions de cadres, à égalité de statut et de rémunération avec leurs collègues masculins.
Dmitri Gouzévitch et Irina Gouzévitch

La voie russe d’accès des femmes aux professions intellectuelles scientifiques et techniques (1850-1920)

Le cas russe que nous présentons ici a trait à la naissance et à l’histoire d’une institution très originale, l’Institut Polytechnique pour femmes, créé à Saint-Petersbourg en 1906. Cette étude de cas est intéressante à plus d’un titre. En premier lieu, il semble que ce soit le premier phénomène au XXème siècle dans l’histoire de l’enseignement pour filles. Un autre exemple comparable, l’École française Polytechnique pour filles, date en fait seulement de 1924. En second lieu, ce phénomène joue un rôle particulièrement stimulant dans l’émergence et le futur développement de l’enseignement technique pour filles à cette échelle. En troisième lieu, il est un symbole en quelque sorte en ce qu’il couronne un combat difficile mené durant plus d’un siècle pour l’égalité des droits et le libre accès des femmes russes à l’enseignement supérieur. Enfin, c’est un paradoxe, car son existence même était étroitement liée à l’histoire des révolutions russes, celle de 1905, comme celle de 1917 : la première étant à l’origine de l’enseignement pour filles, la seconde l’ayant annihilé en tant qu’institution autonome. Afin d’intégrer le cas russe dans l’histoire transnationale des femmes et des techniques, nous tenterons de répondre aux questions suivantes : comment cette institution a-t-elle pu émerger en Russie ? Pourquoi a-t-elle pris cette forme spécifique, à cette période particulière ? Quels furent ses demandes, ses buts, ses défis ? Qui furent ses principaux acteurs et supporters ? Quelle fut sa place dans l’enseignement général de la Russie impériale ? En quoi la voie russe dans l’enseignement technique des femmes fut-elle identique ou différente des autres pays de l’Europe de l’ouest ?
Michel Lallement

En poste à temps partiel

Pour s’adapter à la nouvelle donne économique qui s’impose à elle, La Poste a adopté depuis plusieurs années une série de mesures dont l’un des objectifs consiste à favoriser la professionnalisation du travail et la flexibilité de l’emploi. Le temps partiel a fait l’objet à ce titre d’une campagne de promotion interne. Fondé sur les résultats d’une enquête menée au sein de deux bureaux de poste de province, cet article met en évidence le fait que, loin de répondre à une logique de la conciliation « travail-famille », l’emploi à temps partiel est avant tout adopté par des salariées qui jugent leurs conditions de travail difficiles à supporter et pour lesquelles les perspectives de mobilité professionnelles sont réduites à néant. Pour dépasser par ailleurs l’opposition «choisi/contraint», il est proposé de typer les formes d’emploi à temps partiel observées à l’aide des catégories hirschmaniennes de l’action collective.
Carola Sachse

Travail domestique et injustice. Étude comparée dans les deux Allemagne après 1945

L’excédent de population féminine représenta dans l’après-guerre l’un des problèmes sociaux les plus débattus. Cette question disparut toutefois du discours public après 1949, date de la fondation des deux États allemands. Les femmes célibataires devinrent alors une minorité passée sous silence qui, sous maints aspects, se sentit désavantagée par rapport aux femmes mariées. Un point de cristallisation de ce sentiment de discrimination fut le “jour de ménage” et son organisation juridique. Il s’agissait d’un jour par mois de congé payé, réservé aux salariées pour leur permettre d’accomplir les gros travaux de ménage. Ce privilège fut refusé non seulement aux hommes mais encore, la plupart du temps, aux femmes célibataires. A l’Est comme à l’Ouest, ces dernières, ainsi que quelques hommes, s’élevèrent violemment contre cette mesure inégalitaire. A travers ces conflits, c’est – selon la thèse centrale du texte – un sentiment d’injustice qui s’exprimait et ce sentiment témoigne d’une continuité dans les mentalités au-delà des différences de système politique et de sexe.

N° 1, 1999 – Travail et pauvreté : la part des femmes

Parcours

Madeleine Guilbert
Controverse

La domination masculine
 de Pierre Bourdieu 

Tania Angeloff 

Des miettes d’emploi : temps partiel et pauvreté

Le chômage, en devenant, à bon escient, une idée fixe des politiques et des économistes, semble masquer une autre réalité : le sous-emploi et la flexibilité, qui vont de pair avec le développement du travail à temps partiel et sont synonymes de précarité et de pauvreté au travail. Cet article part de l’étude de travailleurs en situation de précarité (contrats précaires, ou pénurie du nombre d’heures de travail avec absence ou insuffisance de régulation institutionnelle), dans les secteurs de l’aide à domicile, du nettoyage et de la grande distribution. Il vise à dégager l’ambiguïté que revêt l’emploi dans certaines conditions d’exercice qui se déclinent au féminin, à temps partiel, sans qualification ou dans des emplois sous-qualifiés, sans garantie d’emploi à long terme, sans possibilité d’évolution de carrière. Sans dresser une typologie proprement dite de la pauvreté, il conviendra de montrer dans quelle mesure l’emploi tel qu’il est conçu ces dernières années (dans une politique de lutte contre l’indice à deux chiffres du chômage) conduit à aggraver la pauvreté au travail, en particulier par un développement du travail à temps partiel, qui touche en priorité les femmes.
Françoise Battagliola

Des femmes aux marges de l’activité, au cœur de la flexibilité

Depuis trois décennies, la hausse de l’activité professionnelle des femmes ne s’est pas démentie, même lorsqu’elles élèvent de jeunes enfants. Mais un renversement de tendance se fait jour au milieu des années 1990 : dès la naissance de leur deuxième enfant, les femmes, et surtout les plus jeunes et les plus modestes d’entre elles, interrompent fréquemment leur activité. L’imbrication précoce de l’engagement familial et de l’entrée dans le monde du travail affecte les itinéraires professionnels des jeunes mères, ponctués par le chômage et la précarité. Exposées à la flexibilité du temps de travail et aux formes atypiques d’emploi, incitées à se consacrer à l’éducation de leurs jeunes enfants par les politiques sociales, en butte aux rapports de force entre les sexes au sein de la famille, ces jeunes mères sont évincées du marché du travail, alors même que leur lien à l’emploi demeure vivace.
Pierre Concialdi et Sophie Ponthieux

L’emploi à bas salaire : les femmes d’abord

La montée de l’emploi à bas salaire depuis une quinzaine d’années a surtout pénalisé les femmes. Le risque de bas salaire est d’abord lié aux caractéristiques des emplois occupés et, principalement, au temps partiel qui concerne très majoritairement les femmes. La persistance accrue des bas salaires que l’on observe depuis quinze ans frappe surtout les femmes ; pour les hommes, l’emploi à bas salaire semble correspondre davantage à des situations transitoires. Les bas salaires ne sont pas systématiquement des  » salaires d’appoint  » : dans plus d’un tiers des cas, le bas salaire féminin est un revenu d’activité vital pour le ménage, et dans 15 à 30 % des autres cas, il constitue un apport de ressources substantiel.
Geneviève Fraisse

Des conditions de l’égalité économique

La légitimité du travail des femmes est toujours incertaine. L’autonomie salariale est évidemment, depuis le XIXème siècle, la clé de cette incertitude. Car le travail, en un mot, c’est la liberté. Avant d’examiner les moyens d’une égalité économique et professionnelle, il faut rappeler que le travail est une condition de la liberté des femmes. C’est pourquoi le mot de parité est inadéquat à ce propos. Certes, la parité est politique, linguistique et domestique. Ces adjectifs de la parité indiquent les lieux de pouvoir et de débat démocratique, de gouvernement, principalement domestique et politique. Ces lieux sont aussi une condition de l’égalité économique. Reste à prouver, par les textes et les actions juridiques, sociales, politiques, la nécessité de cette égalité. Prouver et produire l’égalité, tel est l’enjeu.
Maria Jepsen, Danièle Meulders et Isabelle Terraz

Les femmes à temps partiel : un nouveau risque de pauvreté en Belgique

Alors que le dilemme face au chômage semble se situer entre une plus grande flexibilité du marché du travail, laissant les bas salaires et la pauvreté se développer, et un système où la protection du travail est importante mais où la pauvreté concerne les  » exclus « , peu d’articles s’intéressent précisément au degré de recoupement entre bas salaires et pauvreté. En outre, ceux qui le font se focalisent sur les salariés à temps plein qui ont travaillé toute l’année et qui constituent une population stable par définition. Dans un contexte de généralisation du temps partiel prôné dans un grand nombre de pays comme moyen de partage du travail, il nous paraît essentiel de reconsidérer la relation entre bas salaire et pauvreté en incluant les travailleurs à temps partiel. En outre, le temps partiel constituant une activité typiquement féminine, il est apparu intéressant d’examiner cette relation en mettant l’accent sur le temps de travail et le genre. Les femmes travaillant à temps partiel forment en effet l’essentiel des bas salaires en Belgique. Néanmoins, ces personnes ne se trouvent pas fragilisées lorsqu’elles vivent en couple puisqu’on les retrouve essentiellement dans les ménages à revenus moyens. En revanche, cette situation constitue un facteur de risque futur de pauvreté dans un contexte de séparations croissantes des conjoints et pour leur période de retraite. En effet, les personnes susceptibles d’être concernées par la pauvreté sont les personnes qui ne bénéficient que de quelques droits propres ou d’aucun dans le système de sécurité sociale actuel.
Martine Lurol

Quand les institutions se chargent de la question du travail des femmes 1970-1995

La féminisation du salariat et l’augmentation constante des femmes sur le marché du travail sont à l’origine de la création d’institutions destinées à examiner les problèmes spécifiques posées par l’exercice du travail salarié des femmes et faciliter cette activité. Trois périodes peuvent être repérées dans la mise en place progressive des institutions qui marquent des temps forts dans l’évolution des structures et dans la prise en charge de la question du travail des femmes, selon les contextes des périodes étudiées. La période 1970-1980 correspond à une évolution lente mais progressive des institutions où l’on passe d’un Comité d’Étude et de Liaison à un secrétariat d’État ; la période 1981-1986 est marquée par une forte institutionnalisation et la création d’un ministère des Droits de la Femme qui entend donner des droits à la femme en tant qu’individu à part entière et notamment en terme d’égalité professionnelle avec les hommes ; la période 1988-1995 voit l’abandon d’une volonté politique envers les femmes qui se traduit dans les institutions par le passage d’un ministère à part entière, à un secrétariat d’État puis à un service à l’intérieur du ministère du Travail, structure administrative sans capacité de décision et d’impulsion.
Elisabetta Ruspini et Chiara Saraceno 

Précarité des revenus, pauvreté des salaires : le cas des femmes en Italie

L’analyse des données fournies par la Banque d’Italie permet aux auteures de vérifier l’hypothèse que la pauvreté des femmes qui travaillent est souvent compensée, mais aussi dissimulée, au sein de la famille. De fait, les données portant sur les ressources individuelles montrent que les femmes qui travaillent ont plus souvent que les hommes des revenus du travail inférieurs au seuil de pauvreté, en particulier si elles sont des indépendantes. D’autres recherches montrent aussi que les femmes sont deux fois plus nombreuses que les hommes chez les travailleurs pauvres et que l’écart entre les salaires moyens des hommes et les salaires moyens des femmes atteint 20% ; en outre, l’écart le plus important concerne les femmes mariées. Même si cela ne signifie pas toujours qu’elles se trouvent dans une situation de pauvreté, étant donné qu’elles peuvent avoir accès à une part du revenu familial, ces éléments dénotent en tout état de cause une vulnérabilité soit dans le cadre des négociations intra-conjugales, soit dans le cas où le mariage se dissout. Cette vulnérabilité est confirmée par les acquis des recherches menées sur les effets économiques de la séparation conjugale. En conclusion, les auteures mettent l’accent sur les risques que fait courir aux femmes le recours de plus en plus fréquent aux tests d’évaluation des moyens d’existence des familles dans le domaine des politiques sociales.
Agnès Thiercé

La pauvreté laborieuse au XIXème siècle vue par Julie-Victoire Daubié

La femme pauvre au XIXème siècle, paru en 1866, fruit d’une vaste enquête sur la condition et les moyens de subsistance des femmes, est un exposé inédit de la misère des travailleuses. L’auteur, Julie-Victoire Daubié, grande figure du féminisme du Second Empire, n’est autre que la première bachelière de France. Elle dénonce une misère plurielle, qui touche plus cruellement la femme seule, veuve ou célibataire. Cette misère est économique – avec l’inégalité salariale justifiée par la sous-qualification des femmes largement exclues des structures d’enseignement général et professionnel – mais aussi politique et morale, pointant la responsabilité de l’État et des hommes.

N°2, 1999L’emploi est-il un droit ?

Parcours

Huguette Bouchardeau 

Controverse
La femme seule et le Prince charmant de Jean-Claude Kaufmann 

Cynthia Cockburn

Les relations internationales ont un genre. Le dialogue social en Europe. 

L’Union Européenne a pris des mesures pour que syndicats (et employeurs) participent à la construction d’une politique européenne. Les structures et processus de ce « Dialogue social européen » constitueront ainsi un espace international dans lequel les syndicalistes des différents Etats-membres pourront se rencontrer et élaborer un programme commun. Les femmes se sont mobilisées à cet égard pour entrer dans l’arène et introduire une perspective de genre au cœur des interventions des mouvements de travailleurs dans la politique européenne. S’appuyant sur mes recherches les plus récentes, cet article vise à analyser ces développements. En partant de récentes critiques féministes sur la théorie des relations internationales, il montre de quelle manière les incursions des femmes dans l’espace international tendent à redéfinir les préoccupations des relations internationales, ses acteurs et ses concepts.
Annie Fouquet et Claude Rack

Les femmes et les politiques d’emploi

L’emploi est-il un droit ? Un droit pour les citoyens ? Un droit pour les femmes ? Comment les politiques d’emploi prennent-elles en compte la question du genre? L’emploi n’apparaît dans le droit qu’au début des années quatre-vingt quand la norme d’emploi cesse d’être un objectif de politique économique (« le plein emploi ») pour devenir un aspect des politiques sociales. Les femmes y sont peu présentes, car la notion d’emploi est fondée sur le poste de travail ouvrier industriel masculin, qualifié, stable et à temps plein, dont sont tirées des garanties sociales qui correspond peu à la place des femmes. Plus souvent non qualifiées, dans les services, à temps partiel, à durée déterminée, ou « inactives », celles-ci tirent leurs garanties sociales de leur double rôle de travailleuses salariées et d’épouses (droits dérivés). Les politiques spécifiques d’emploi qui se développent à partir des années quatre-vingt sans remettre en cause cette notion d’emploi, n’ont pas pensé la place spécifique des femmes, et ont globalement reproduit les inégalités des hommes et des femmes sur le marché du travail. Dotés de montants faibles voire symboliques, les dispositifs spécifiques mis en place au début des années quatre-vingt n’ont eu qu’un rôle très marginal avant d’être progressivement supprimés. L’héritage universaliste qui imprègne en France le droit et les pratiques des acteurs interdit de penser « l’action positive ». La nouvelle stratégie européenne pour l’emploi, appliquée en France dans le Plan National d’Action pour l’Emploi (PNAE) 1999 qui inscrit des indicateurs chiffrés concernant l’égalité entre hommes et femmes, entraînera-t-il un tournant durable des pratiques françaises ?
Antoine Jeammaud et Martine Le Friant

L’incertain droit à l’emploi

A lire le préambule de la Constitution française de 1946, « chacun a (…) le droit d’obtenir un emploi ». Les doutes persistent toutefois quant à la « positivité » d’un tel droit. Les spécialistes du droit du travail reconnaissent à cet énoncé une modeste « valeur juridique » : il serait le fondement constitutionnel de la politique publique de l’emploi, en particulier en habilitant le législateur à produire des règles prétendant favoriser le plein emploi. Mais une approche « réaliste » de ce qui est le droit valide sur le territoire de la République (le « droit positif ») laisse apercevoir que la proclamation de ce droit, d’abord étonnant, a une portée plus ample. L’analyse des effets – déjà avérés ou très probables – de cette disposition dans « le jeu du droit » (effet de légitimation, effet d’obstacle, orientation de l’interprétation d’autres dispositions) lui donne consistance. Elle autorise à conclure que le droit français fait place à un droit d’obtenir un emploi, aussi singulier soit-il du point de vue de sa titularité et de sa structure.
Sarah Lecomte

L’accès à l’emploi : un mirage pour les assistantes maternelles ?

Totalement inscrit dans l’univers privé domestique, l’activité professionnelle des assistantes maternelles « employées » directement par des particuliers, fondée juridiquement sur un statut salarial récent et plus que flottant, cumule les ingrédients à la fois de la précarité institutionnalisée et de l’invisibilité. Activité internalisée étroitement liée le plus souvent à du travail au noir, à des services rendus gratuitement et à des échanges extra-marchands, travail et activité effectués et devant être effectués dans « l’ordre naturel des choses », contournement de la base économique du rapport salarial, « naturalisation » des savoir-faire maternels, sont autant d’éléments qui enrayent l’accès au rang d’emploi de cette activité, qui reste dès lors une figure du sous-salariat et du sous-emploi. A domicile, l’emploi entre particuliers reste un mirage, socialement réservé aux femmes, de milieux populaires.
Michel Miné

La loi sur les 35 heures à l’épreuve des droits des femmes

Cet article juridique analyse les principales dispositions du projet de loi sur la réduction de la durée légale du travail au regard des droits des femmes. Il met notamment l’accent grâce à la méthode de la discrimination indirecte sur les effets défavorables possibles et parfois déjà constatés de certaines règles en matière de temps de travail. Mais il examine aussi des silences du projet, sources d’inégalités professionnelles pour les femmes. Il attire l’attention sur des points essentiels pour les salariées, souvent négligées dans le débat, comme la modification des horaires de travail ou les droits individuels. Il démontre l’importance, encore largement sous-évaluée, du droit de la négociation dans l’entreprise. Enfin, il ouvre des pistes de réflexion pour une réécriture du droit du temps de travail, s’appuyant notamment sur les droits fondamentaux de la personne et sur des principes juridiques, susceptible de garantir l’égalité de traitement aux femmes.
Sylvie Schweitzer

Quand des femmes représentent l’État

L’histoire des femmes au travail est souvent celle de contradictions entre les discours dominants et les faits, mais aussi celle de paradoxes. Interdits, pression sociale, objections sur les compétences et l’intelligence, les discours abondent pour justifier la mise à l’écart des femmes, pour réserver aux hommes les lieux de décision et d’autorité. Pourtant, fugacement et localement, l’État a su accorder à des femmes une place dans l’institution, comme pour les chefs de bureau et les inspectrices du travail, et parfois d’importance, avec les inspectrices des salles d’asiles et les inspectrices générales du ministère de l’Intérieur. Les recherches sur ces professions et fonctions sont pour l’instant à peine ébauchées, on veut juste essayer de rappeler que, en pleine misogynie affichée des XIXe et XXe siècles, des femmes sont présentes dans les hiérarchies de la fonction publique, pointant ainsi de fortes contradictions sociales.